L'infirmière Libérale Magazine n° 341 du 01/11/2017

 

REMBOURSEMENT DES SOINS

Actualité

Laure Martin  

Notre système sanitaire se caractérise par l’importante place de l’assurance privée dans le financement des dépenses de santé (13 %) et par la large diffusion de cette couverture dans la population (95 %). Mais la complémentarité entre assurance publique et privée est-elle efficace ?

Le système français est atypique car deux assureurs couvrent les mêmes soins, les assurances maladies complémentaires (AMC) ayant notamment pour rôle de rembourser le reste à charge (RAC), à savoir la part des soins non couverte par l’assurance maladie obligatoire (AMO). Cependant, l’équité entre les assurés n’est pas totale, car « l’accès à l’AMC peut être inégale, a expliqué Denis Raynaud, directeur de l’Irdes(1) lors d’une conférence organisée le 19?octobre par le Collège des économistes de la santé. Si, en France, des politiques publiques veillent à sa généralisation, 5 % de la population n’a pas d’AMC. » Le système d’AMO compense néanmoins certaines inégalités éventuelles. Ainsi le RAC augmente moins avec l’âge en raison de mécanismes qui permettent de compenser. Par exemple, les dépenses des personnes plus âgées sont orientées vers des soins mieux remboursés, ou encore les affections longues durées (ALD) permettent une prise en charge à 100 % des soins liés à la maladie. « Cependant, si le système d’ALD limite le risque de sélection sur le marché privé, il laisse des RAC après l’AMO qui sont catastrophiques pour 1 % des consommateurs [de soins], allant parfois jusqu’à 5 000 euros en raison des dépenses hospitalières, ou des soins dentaires, d’optique ou d’audioprothèses, alerte Catherine Pollak, chef de bureau Assurance maladie et études sur les dépenses de santé à la Drees(2). Une situation qui justifie l’existence des AMC. »

« Gérer les dérives »

« Ce principe de co-paiement avec le ticket modérateur couvert par les complémentaires a permis aux pouvoirs publics de gérer les dérives de l’assurance de base alimentées par les dépenses des ALD et des soins les plus coûteux, rappelle Anne-Marie Brocas, présidente du Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie. Ils ont ainsi été dispensés de reconcevoir les règles de participation des assurés. » Cependant, certains tarifs de remboursement sont déconnectés de ceux appliqués par les professionnels, par exemple dans le dentaire. En conséquence, « le rôle des complémentaires est transformé car nous ne sommes plus dans une logique de complément, elles deviennent les principaux payeurs et assurent la solvabilisation », ajoute-t-elle. Aussi, la généralisation de la complémentaire devient-elle un problème politique et la situation explique l’hyper-réglementation des contrats et des interventions des complémentaires. Les pouvoirs publics proposent d’ailleurs des solutions pour garantir l’accès à l’assurance complémentaire avec la Couverture maladie universelle complémentaire pour les personnes à faible revenu ou encore l’Accord national interprofessionnel (ANI), qui rend obligatoire, depuis le 1er janvier 2016, la couverture santé collective des salariés. « Mais l’ANI pose problème, estime Anne-Marie Brocas. Il déstabilise le marché des complémentaires, notamment des contrats individuels, qui sont concentrés sur des personnes à gros risques, comme les personnes âgées ou les inactifs. »

Réfléchir aux prestations et pas juste aux prix

« Aujourd’hui, la solidarité horizontale est mise à mal, soutient Étienne Caniard, ancien président de la Mutualité française, membre du Conseil économique, social et environnemental. Il faut que l’on démontre le rôle que les complémentaires ont à jouer dans le système car l’AMO rencontre ses limites et la contractualisation doit s’entendre sur la qualité des prestations, l’organisation du parcours et pas uniquement sur le plafonnement des prix. »

« Les complémentaires ne sont pas que des financeurs », approuve Véronique Cazals, directrice santé de la Fédération française des sociétés d’assurances. Et d’expliquer : « Nous considérons que la concurrence est profitable au modèle, non pas sur les prix mais sur les services que l’on apporte aux assurés. » La limite à la complémentarité : « Nos coûts de gestion qui ne sont pas si simples, et bien supérieurs à ceux de l’AMO, rapporte-t-elle, s’interrogeant sur la logique des pouvoirs publics de vouloir diminuer le RAC pour les lunettes, les prothèses dentaires et les audioprothèses mais d’augmenter le forfait hospitalier. On pourrait peut-être remettre en cause la question du ticket modérateur à l’hôpital et dérembourser les médicaments à service médical faible. »

(1) Institut de recherche et de documentation en économie de la santé.

(2) Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques.