L'infirmière Libérale Magazine n° 341 du 01/11/2017

 

Fin de vie

Cahier de formation

Point sur

Élisabeth Balladur  

La loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie introduit la possibilité du recours à une sédation profonde et continue jusqu’au décès. Elle n’est possible à domicile que dans certaines situations. Les conditions nécessaires à sa réalisation sont exigeantes pour les professionnels de santé et nécessitent des moyens importants, pas toujours disponibles.

Quand parle-t-on de sédation en soins palliatifs ?

La sédation dans le contexte des soins palliatifs est une pratique médicale développée depuis plus de vingt ans, pour répondre à des situations de détresse en phase terminale : complications à risque vital immédiat ou situations de persistance de symptômes réfractaires. Elle a fait l’objet de recommandations de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) à partir de 2002.

La sédation pour détresse est la recherche par des moyens médicamenteux d’une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu’à la perte de conscience. Son but est de faire disparaître la perception d’une situation vécue comme insupportable par le patient alors que tous les moyens disponibles et adaptés à cette situation ont pu être proposés et/ou mis en œuvre sans obtenir l’effet escompté.

La sédation se différencie de l’anxiolyse, qui a pour objectif l’apaisement de l’anxiété, ainsi que de l’euthanasie dont la finalité est directement d’entraîner la mort.

Que dit la loi ?

La loi du 2 février 2016 introduit un droit à la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès (SPCMJD) sous certaines conditions. Ce droit peut être exercé à domicile.

La SPCMJD peut être mise en œuvre dans trois situations.

→ La première concerne peu le domicile. Il s’agit des patients ne pouvant pas exprimer leur volonté, chez lesquels le médecin arrête un traitement de maintien en vie au titre du refus de l’obstination déraisonnable (sur cette notion, lire p. 36).

→ Les deux autres situations concernent les patients atteints d’une affection grave et incurable qui peuvent exercer leur droit à demander une sédation. Celle-ci est possible soit lorsque le patient décide d’arrêter un traitement engageant son pronostic vital à court terme et que cet arrêt est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable, soit lorsque le pronostic vital est engagé à court terme et que le patient présente une souffrance réfractaire aux traitements.

Quelle que soit la situation, une réflexion collégiale est obligatoire, en particulier pour vérifier que les conditions de la loi sont respectées. La réflexion collégiale associe le médecin référent (médecin généraliste à domicile) et un médecin consultant ainsi que les membres présents de l’équipe de soins. Un second médecin consultant peut être sollicité. La décision reste médicale. Elle doit être tracée dans le dossier du patient ainsi que les éléments ayant contribué à la réflexion.

Pour les patients incapables d’exprimer leur volonté, le recueil des directives anticipées éventuelles est obligatoire ainsi que le recueil de l’avis de la personne de confiance, à défaut de la famille ou de l’un des proches. Pour ces patients, les directives anticipées ont une force particulière. Elles s’imposent au médecin, sauf en cas d’urgence vitale, le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation ou lorsqu’elles paraissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale.

Quelles problématiques induites par la loi ?

La loi évoque le pronostic vital engagé à court terme. La SFAP a proposé récemment de le définir comme une période de quelques heures à quelques jours, en cohérence avec la position européenne.

Le caractère réfractaire de la souffrance est complexe à évaluer. Le patient est le seul à pouvoir apprécier le caractère insupportable de la souffrance. Dans un contexte de fin de vie, la souffrance est définie comme réfractaire si tous les moyens thérapeutiques et d’accompagnement disponibles et adaptés ont été proposés ou mis en œuvre sans obtenir le soulagement escompté pour le patient, ou qu’ils entraînent des effets indésirables inacceptables ou que les effets thérapeutiques ne sont pas susceptibles d’agir dans un délai acceptable.

Comment la mettre en œuvre ?

La SPCMJD nécessite à la fois une équipe de professionnels compétents et disponibles et un accès aux médicaments nécessaires.

La molécule actuellement la plus utilisée est le midazolam, médicament de la réserve hospitalière rétrocédable dans le cadre des soins palliatifs et disponible en hospitalisation à domicile (HAD). L’induction de la sédation peut se faire selon deux modalités, progressive ou rapide, qui nécessitent la présence de façon prolongée au domicile d’un médecin compétent.

La surveillance doit être organisée sur la base d’interventions infirmières pluriquotidiennes permettant une réévaluation de la profondeur de la sédation et des symptômes éventuels, la mise en œuvre de soins de base indispensables chez un patient non communiquant et l’accompagnement de l’entourage. Cet accompagnement, pouvant durer plusieurs jours, peut être éprouvant si le patient est endormi, la famille et les soignants peinant à donner du sens à la situation.

Les réveils secondaires sont possibles, en particulier lors de la mobilisation des patients, et peuvent justifier de l’administration de bolus en prémédication. Une tolérance peut s’installer, nécessitant une augmentation progressive des doses de midazolam.

Les traitements antalgiques et symptomatiques doivent être maintenus et réévalués régulièrement, la sédation n’étant pas analgésique. Une faible hydratation peut être poursuivie si elle revêt une importance particulière pour l’entourage.

Quels repères pour une mise en œuvre de la SPCMJD à domicile ?

Les professionnels du domicile doivent être en capacité de recevoir, d’écouter et d’analyser une demande de sédation. Cela exige de leur part disponibilité et capacité de distinguer la nature de ce qui est demandé.

Une équipe doit se former autour du patient et associer au minimum médecin et infirmier ayant la capacité d’assurer le suivi du patient en continu 24 heures sur 24 pendant plusieurs jours. Cette contrainte n’est pas toujours possible pour des professionnels libéraux seuls et conduit souvent à s’appuyer sur les HAD ou certains réseaux territoriaux.

L’appui d’une équipe de soins palliatifs de proximité incluant un professionnel du soin psychique paraît indispensable pour assurer l’évaluation du caractère réfractaire de la souffrance, étayer la réflexion collégiale et permettre la mise en œuvre de la sédation.

Les professionnels doivent être en mesure de s’impliquer rapidement au vu de l’évolutivité des situations cliniques et de communiquer régulièrement et facilement entre eux. Les modalités de ces échanges peuvent être variables, une réunion physique étant à privilégier au moins une fois.

Le médecin doit impérativement être présent pour l’induction de la sédation et suffisamment disponible pour réévaluer régulièrement la situation et pouvoir intervenir en cas de nécessité sur un réajustement du traitement.

L’infirmier est le professionnel qui sera le plus présent à domicile lors de la sédation. Il doit être capable de surveiller la profondeur de la sédation (échelle de Richmond*), d’assurer les soins et l’accompagnement.

Dans tous les cas, il est nécessaire d’envisager la disponibilité d’un lit hospitalier “de repli” soit en cas d’échec de l’induction, soit en cas de difficulté particulière au cours de la sédation.

Lorsque la démarche en vue d’une SPCMJD a été initiée à partir d’un établissement de santé, elle ne peut être mise en œuvre à domicile sans qu’une nouvelle réflexion collégiale associant les professionnels concernés et le patient à son domicile ne soit organisée.

* Échelle de vigilance-agitation de Richmond, sur le site de la SFAP, via bit.ly/2gpKLPB

L’auteur déclare avoir un lien d’intérêts (formatrice HAD).