Aider le patient à cerner sa fatigue - L'Infirmière Libérale Magazine n° 342 du 01/12/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 342 du 01/12/2017

 

Cahier de formation

Savoir faire

Face à la fatigue, les Idels peuvent aider les patients à mieux définir leur plainte, donner des conseils appropriés et jouer un rôle d’alerte et d’orientation vers une prise en charge médicale lorsque la fatigue perdure, altère la qualité de vie et justifie des investigations plus approfondies.

LES QUESTIONS À POSER

Lorsqu’un patient exprime ou montre des signes de fatigue, les soignants peuvent essayer de cerner les caractéristiques de la fatigue par quelques questions simples :

→ la fatigue prédomine-t-elle le matin ou le soir, est-elle plutôt continue, ancienne ou récente, permanente ou non ?

→ est-elle en rapport avec une maladie et/ou associée à d’autres symptômes (fièvre, douleurs) ?

→ a-t-elle des retentissements sur l’état général, le moral et les activités quotidiennes du patient ?

→ le patient a-t-il une dette de sommeil, présente-t-il des troubles du sommeil, des somnolences diurnes ?

→ sa charge de travail a-t-elle augmenté ?

→ rencontre-t-il des difficultés relationnelles, familiales, professionnelles, un stress inhabituel ?

→ quelles sont ses habitudes alimentaires, a-t-il récemment fait un régime, perdu ou pris significativement du poids ?

→ prend-il des médicaments ?

→ consomme-t-il régulièrement de l’alcool, du tabac, des drogues (cannabis…) ?

« Une fois le contexte général de la fatigue cerné, les infirmières libérales peuvent le compléter par une évaluation permettant d’apprécier plus précisément l’impact de la fatigue et de déterminer la conduite à tenir », commente le Pr Jean-Dominique de Korwin, spécialiste de médecine interne et d’hépato-gastro-entérologie.

ÉVALUER LA FATIGUE

La fatigue est d’autant plus difficile à apprécier/mesurer objectivement que son aspect subjectif a un impact direct sur sa réalité objective(1). Tout comme la douleur, elle est ce que la personne affirme qu’elle est. Sa perception et son expression varient en fonction de la personnalité du sujet et de différentes variables environnementales, familiales, culturelles et sociales(2). C’est ce qui explique que les Idels sont souvent désemparées face à la fatigue, comme en témoignent Muriel Dulize, Nathalie Lamy et Françoise Quéré, que nous avons interrogées pour ce cahier de formation. Elles exercent respectivement à Évreux (Eure), à Boos (Seine-Maritime) et Rouen (Seine-Maritime) et sont toutes trois membres actives de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS)-infirmiers de Normandie. « Qu’il s’agisse des patients ou des aidants, nous sommes assez démunies quant aux moyens d’apprécier objectivement la fatigue, même si le vocabulaire et les comportements en disent long parfois », expliquent-elles.

Dans un domaine où il n’existe pas de démarche diagnostique officiellement validée, les Idels peuvent toutefois se saisir de certains outils d’évaluation afin de cerner la fatigue le plus rigoureusement possible. Certains auteurs suggèrent ainsi d’utiliser l’échelle visuelle analogique (EVA) pour évaluer, comme pour la douleur, le niveau et l’évolution de la fatigue(2). De même, les Idels peuvent avoir recours à l’échelle plus spécifique d’évaluation de la fatigue de Pichot (lire ci-contre). « Validé et très simple, ce support peut les aider à dépister une fatigue ressentie, significative mais sans cause évidente, et à étayer la marche à suivre quant aux conseils à donner ou à l’orientation des patients dont la fatigue relève d’une démarche diagnostique spécifique », poursuit le Pr de Korwin. Par ailleurs, le questionnaire d’Epworth (lire ci-contre) peut apporter des indications complémentaires en identifiant une somnolence diurne anormale, qui orientera vers la recherche d’un trouble du sommeil (très fréquent chez les sujets âgés), voire d’une pathologie plus grave (dépression, tumeur).

QUAND LE MODE DE VIE EST EN CAUSE : CONSEILS “ANTIFATIGUE”

Lorsque la fatigue résulte du mode de vie, les règles antifatigue reposent principalement sur le respect de bonnes pratiques que les Idels peuvent utilement conseiller ou rappeler. Elles concernent la gestion du temps et tous les facteurs qui concourent à une bonne hygiène de vie.

Gestion du temps et partage des tâches

La fatigue peut être limitée en respectant quelques principes de gestion du temps et d’organisation. À l’aide de quelques questions, par exemple : « Pensez-vous que votre mode de vie vous fatigue ? », « Que pourriez-vous faire pour être moins fatigué (e) », « Prenez-vous du temps pour vous dans la journée ? » ou « Qui peut vous aider au quotidien ? », l’Idel peut susciter une réflexion sur les moyens que le patient pourrait mettre en œuvre. L’objectif pour lui est de parvenir à segmenter, hiérarchiser et limiter ses activités, partager les tâches et responsabilités domestiques, savoir dire « non », être entièrement disponible pour l’activité qu’il a choisie, s’accorder des temps de pause (pause déjeuner, moment de détente avec ses enfants avant les devoirs et les activités domestiques) et profiter de ces moments en pleine conscience.

Sommeil

Dormir reste le meilleur remède à la fatigue physiologique. « C’est ce qui permet de récupérer et c’est la seule fonction en mesure de le faire », explique le Dr Éric Mullens, chef du service du Laboratoire du sommeil de la Fondation Bon Sauveur d’Alby (Tarn)(3). Le sommeil permet la mise en repos et l’économie du système cardiovasculaire. De plus, c’est au cours du sommeil que s’effectuent la régénération cellulaire et la production de l’hormone de croissance qui, chez l’adulte, contribue à la régulation des graisses et module l’équilibre alimentaire. Le sommeil favorise aussi la mémorisation et aide à éliminer les toxines et déchets accumulés dans le cerveau pendant la période de veille. Mais pour bénéficier de toutes ses vertus, chacun doit respecter une quantité, une qualité et un rythme de sommeil adaptés à ses besoins(1).

« Quant à la sieste, si elle permet de compenser ponctuellement une dette de sommeil, elle peut être tout à fait bénéfique et conseillée à condition qu’elle soit courte (cinq à trente minutes) et réalisée au calme et dans la pénombre, dans des conditions confortables mais pas nécessairement dans un lit », explique le Pr de Korwin. En revanche, avoir besoin de faire la sieste lorsqu’on dort suffisamment la nuit est anormal. Les personnes âgées comme les personnes anxieuses ont souvent un sommeil moins long et plus léger, qu’elles compensent en faisant une sieste de plusieurs heures. Une habitude à combattre car elle impacte la durée et la qualité du sommeil nocturne. Dans ce cas, la sieste doit rester courte et être réalisée entre 12 et 15 heures, lorsque la vigilance baisse naturellement. Au besoin, la personne peut programmer un réveil pour éviter de la prolonger.

Activité physique

L’activité physique (AP) a de nombreuses vertus pour lutter contre la fatigue :

→ elle active la circulation sanguine, donc l’oxygénation du corps, ce qui améliore les performances générales ;

→ elle renforce le potentiel musculaire et rend chaque effort moins fatiguant ;

→ elle favorise les relations sociales lorsqu’elle est pratiquée en groupe (ce qui est bon pour le moral) ;

→ elle permet d’évacuer le stress et elle joue un rôle régulateur face aux perturbations du sommeil lorsqu’elle est pratiquée de façon modérée, adaptée à ses capacités et à distance de l’heure du coucher.

Au-delà de la pratique sportive, il est important de souligner que les activités quotidiennes participent de l’AP et doivent être encouragées par les Idels. « Nous conseillons souvent une AP collective comme la marche pour maintenir le lien social et le moral des patients, précisent les infirmières normandes que nous avons interrogées. De même, il convient d’encourager la mobilisation passive des membres inférieurs, notamment pour ceux qui sont alités ou sont à mobilité réduite. »

Alimentation

Une alimentation équilibrée en qualité (justement dosée en protéines, glucides, oligo-éléments) et quantité (trois repas journaliers harmonieusement répartis) aide à lutter contre la fatigue, quelle qu’en soit la cause, en apportant l’énergie nécessaire aux cellules et aux muscles(1).

Inversement, tout régime ou comportement alimentaire volontairement restrictif (végétalisme/véganisme, par exemple)(4) nécessite un effort d’adaptation de l’organisme et induit des carences potentielles en nutriments, vitamines (B1, B6, B12, D), sels minéraux et oligo-éléments (magnésium, notamment). Ces carences peuvent se traduire par une altération des performances physiques et psychiques, associée à une sensation de fatigue d’autant plus importante que la quantité de calories fournie ne correspond pas aux besoins énergétiques de l’organisme.

En cas de régime, les sujets à surveiller particulièrement sont les personnes âgées (elles cumulent effectivement un déficit en vitamine B12 et une capacité d’absorption de cette vitamine physiologiquement altérée), les femmes enceintes et allaitantes, les bébés nourris exclusivement au sein par une mère présentant elle-même une carence en vitamine B12, et les adultes pratiquant des régimes non surveillés de longue date(5). Dans ce contexte, une supplémentation en vitamine B12 médicalement contrôlée doit être instaurée.

Thérapies complémentaires personnalisées

« Dans le domaine des traitements non académiquement confirmés mais qui apportent des bienfaits à certains patients, les thérapies complémentaires personnalisées (relaxation, hypnose, sophrologie, acupuncture, méditation en pleine conscience, cohérence cardiaque, tai-chi, yoga, qi-gong…) doivent aujourd’hui être prises en compte, car les retours des patients montrent que ces techniques utilisées de manière empirique ont de réelles vertus antifatigue chez certains d’entre eux », constate le Pr de Korwin. C’est la raison pour laquelle l’Association française de fatigue chronique conduit une étude pour recenser toutes ces thérapies et analyser les bénéfices perçus par les patients en créant une plateforme Internet d’autosoins (baptisée DOT-SFC), à partir de laquelle les personnes atteintes de fatigue chronique, mais aussi leurs proches et les professionnels de santé, pourront s’exprimer, rendre compte de leurs expériences, échanger et pendre connaissance de documents scientifiques et des nouveautés dans le traitement de la fatigue. Ce projet pourra également être utile aux Idels qui, à l’instar de Muriel Dulize, Nathalie Lamy et Françoise Quéré, s’intéressent et se forment à toutes les approches susceptibles d’aider les patients (lire l’encadré page précédente).

(1) Maurice Ferreri, Flavie Baudrier, Réponses à vos questions sur la fatigue, Éditions Solar, 2005.

(2) Hélène Patenaude, Céline Gélinas, Sylvie Vandal, Lise Fillion, “Élaboration d’un cadre conceptuel pour expliquer la fatigue secondaire à une difficulté de santé et implications pour la pratique infirmière”, Recherche en soins infirmiers, 2002 ; 70 : 66-81 (lien : bit.ly/2jqpYQG).

(3) Raphaëlle Bartet, “Sommeil. Comment obtenir un repos réparateur”, Le Figaro santé, 10-12/2016.

(4) Ces régimes excluent tout aliment d’origine animale, source quasi exclusive de vitamine B12.

(5) Certains laits de soja et céréales sont supplémentés en vitamine B12 et peuvent aider à compenser une partie des besoins. Ces régimes excluent tout aliment d’origine animale, source quasi exclusive de vitamine B12.

Cas pratique

Vous intervenez chez M. V., 39 ans, pour l’administration d’anticoagulants à la suite d’une fracture des deux jambes. Bien que contraint au repos, il se plaint d’être anormalement fatigué.

Vous profitez du soin pour sonder plus avant sa plainte et découvrez qu’il était déjà, avant son accident, dans un état de fatigue important, associé à un sommeil agité, des réveils difficiles et des accès de somnolence diurne. Vous lui suggérez de consulter son médecin traitant pour avis et investigations complémentaires car ce tableau peut évoquer différentes pathologies sous-jacentes.

Mesurer la fatigue avec l’échelle de fatigue de Pichot

Prénom : Nom :

Date de naissance : Date du test :

Traitement en cours :

• Parmi les huit propositions suivantes, déterminez celles qui correspondent le mieux à votre état en affectant chaque item d’une note entre 0 et 4 (0 = pas du tout ; 1 = un peu ; 2 = moyennement ; 3 = beaucoup ; 4 = extrêmement).

Total (sur 32) :

 = un total supérieur à 22 est en faveur d’une fatigue excessive.

Source : J. Gardenas et al., “Échelles et outils d’évaluation en médecine générale”, Le Généraliste, supplément du n° 2187, mars 2002 (lien : bit.ly/2AFi21b).

L’échelle de somnolence d’Epworth

• Le test se remplit en moins d’une minute.

• Le patient doit répondre aux questions suivantes en cotant ses réponses de 0 à 3. Les réponses sont cotées de 0 à 3 pour : chance nulle (0), faible (1), modérée (2), forte (3) de s’endormir.

• Quels risques avez-vous de vous assoupir, de somnoler ou de vous endormir dans les situations suivantes ?

Total :

Interprétation :

• total < 11 : vigilance normale ;

• total entre 11 et 16 : somnolence anormale ;

• total >16 : somnolence sévère imposant l’arrêt de la conduite.

Source : Centre de médecine du sommeil, hôpital Antoine-Béclère (AP-HP) (lien : bit.ly/2mp30dU).

Point de vue

« Prendre conscience de notre propre fatigue »

Muriel Dulize, Nathalie Lamy, Françoise Quéré, infirmières libérales dans l’Eure et en Seine-Maritime

« De plus en plus de formations nous sont proposées par les organismes de formation professionnelle ou les syndicats infirmiers afin de nous familiariser aux thérapies complémentaires telles que l’hypnose, la relaxation ou la sophrologie. Au-delà de l’acquisition des connaissances nécessaires pour pouvoir conseiller ces techniques à nos patients, ces formations ont aussi pour intérêt de nous faire prendre conscience que nous devons être à l’écoute de notre propre fatigue et que c’est un prérequis fondamental pour pouvoir être totalement accessible à la plainte de nos patients. Négliger notre état de fatigue, c’est prendre le risque de nous enfermer dans une routine, dans une approche machinale de l’acte de soin ; c’est ne plus être suffisamment disponibles, présentes et à l’écoute de la plainte des patients, ni en mesure d’y apporter une réponse adaptée. Mieux connaître ce symptôme peut non seulement nous aider à nous en préserver nous-mêmes mais aussi nous permettre de mieux aider nos patients. »