Au nom du père - L'Infirmière Libérale Magazine n° 342 du 01/12/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 342 du 01/12/2017

 

La vie des autres

Ici

Sandrine Lana  

Le cancer de son père a changé la vie de Corinne Amouyal. Avant l’événement, elle était créatrice de mode pour sa propre marque de prêt-à-porter féminin. En 2013, elle décide de fabriquer pour lui un t-shirt adapté aux soins. Aujourd’hui, elle se bat pour sa diffusion.

Quand Corinne Amouyal se met à parler, tout son corps le fait avec elle : ses mains fines, ses bras dynamiques et de grands yeux gris s’activent pour défendre un projet original visant le bien-être des patients et des soignants. « Quand mon père était malade, il m’a demandé de lui créer un vêtement en ouvrant les coutures au niveau de l’épaule. Le but était de faciliter ses soins : d’accéder plus facilement aux pansements ou au port-à-cath », explique-t-elle en manipulant le t-shirt Adapt-iV qu’elle commercialise aujourd’hui. « En m’appuyant sur mon expérience de plus de quinze ans dans le prêt-à-porter, j’ai commencé par développer un pyjama, pour finalement commercialiser ce t-shirt unisexe, plus pratique. » Corinne Amouyal était la créatrice de la marque de prêt-à-porter féminin Helena Sorel, qui n’existe plus depuis son départ de l’entreprise. En 2013, l’entrepreneuse et ses sœurs suivent l’évolution du cancer de l’estomac de leur père. « Nous étions en permanence à l’hôpital et j’ai arrêté mes activités professionnelles pour m’occuper de lui. Une évidence pour moi, car chaque difficulté de son quotidien devenait la nôtre. » S’ensuit la découverte du milieu hospitalier, des soins, des patients, des cris de douleur dans les couloirs… Une routine à laquelle Corinne et sa famille essayent de prendre part. L’hôpital la rend « plus humaine », témoin clé des souffrances des autres. Elle apprivoise le travail et les gestes des soignants, observe leurs méthodes de soins, la toilette, les prises de sang ainsi que l’épreuve de l’habillage d’un patient affaibli. « Mon père a toujours été une personne délicate et élégante. Comme il était allergique au polyester des tenues de l’hôpital et qu’il refusait de recevoir ses amis vêtu d’une blouse qu’il jugeait disgracieuse, je me suis donc lancée dans la fabrication d’un beau t-shirt 100 % coton. » Pour Corinne Amouyal, le cahier des charges est simple : imaginer une tenue ergonomique qui s’ouvre au niveau de l’épaule. Aidée par ses tantes, elle se met en quête du matériau idéal : « Nous avons expérimenté la bande Velcro, mais elle irritait sa peau. Les boutons-pression que nous avions choisis abîmaient la maille du t-shirt… » Sans compter que, la maladie évoluant, il faut rapidement intégrer un nouveau paramètre : le vêtement doit pouvoir être gardé lors des IRM et radios.

Convaincre

À force de détermination et d’observations, Corinne finit par trouver le bon système : « J’ai opté pour une bande de pressions en plastique, qui guide l’ouverture et la fermeture du vêtement en quelques secondes. » Avant de mourir, son père lui demande de continuer à développer le t-shirt, pour les autres : « Le secteur de la mode est énorme et s’adresse au plus grand nombre. Mais que propose-t-il aux personnes malades ? Voilà pourquoi j’ai décidé de consacrer tout mon savoir-faire à ce concept : mon père tenait à ce qu’il profite au maximum de patients possible. » Mais pas seulement, puisque lors de l’étude de marché, Corinne découvre que les troubles musculo-squelettiques (TMS) sont l’une des premières causes d’arrêt maladie chez les professionnels de santé*. « Je propose un produit qui fait gagner du temps et du confort aussi aux soignants. »

Au siège de son entreprise lancée en 2016, rue Paradis à Marseille, Corinne est entourée de ses enfants. Dès qu’elle le peut, sa fille Anouck l’accompagne dans les salons professionnels et s’occupe des relations presse. Son fils s’est investi dans les photographies de présentation du t-shirt. À leurs côtés, une équipe de fidèles bénévoles s’active pour faire connaître le produit. L’ex-créatrice passe son temps dans les trains, en rendez-vous dans les hôpitaux ou en congrès à la rencontre des professionnels de la santé, son t-shirt sur le dos. Le produit est pour l’instant uniquement disponible en ligne (vendu au tarif de 29 euros). La volonté de Corinne Amouyal est, à terme, d’obtenir un remboursement du t-shirt adapté aux soins, comme c’est le cas lors de la prescription d’une perruque par un médecin. « J’aimerais que ce t-shirt soit accessible à tous. Les médecins, chefs de services et infirmières sont convaincus, mais les hôpitaux sont plutôt dans une optique de produit jetable et à moindre coût. » Concernant l’avenir, encore incertain, Corinne est résolue : « J’ai passé des heures à attendre des rendez-vous avec des patients malades, et je me dis qu’il y a beaucoup à faire pour eux », conclut-elle avec cette bienveillance qui ne la quitte jamais.

* En 2009, les TMS représentent plus de 80 % de l’ensemble des maladies professionnelles ayant entraîné un arrêt de travail ou une réparation financière en raison de séquelles. Source : Améli.

Peu de vêtements adaptés aux patients en France

Sur le marché français, il existe assez peu d’offres de vêtements adaptés aux pathologies permettant une manipulation aisée pour le soignant. Aux États-Unis et au Canada, des pantalons dotés d’une fermeture Éclair ou des robes à pressions sont en vente sur des sites spécialisés de la “silver économie” (l’économie liée aux seniors) ou pour des personnes en perte d’autonomie. En France, aucun vêtement ne fait partie de la liste des produits remboursables par la Sécurité sociale, à l’exception de blouses considérées comme consommables lors de prestations de nutrition parentérale à domicile.

Elle dit de vous !

« Je connais bien les infirmières depuis la maladie de mon père. Qu’elles soient libérales ou à l’hôpital, je pense que 80 % d’entre elles font très bien leur boulot. Les 20 %qui restent baissent la tête et les bras en raison de conditions de travail vraiment difficiles. Il y a une sensibilité à l’origine de leur engagement, qui se ressent lorsqu’on est malade ou famille de malade. Au fil du temps, elles sont devenues ma deuxième famille. À l’hôpital comme à domicile, elles nous encourageaient et ont toujours fait figure de rayon de soleil pour mon père. L’Idel qui venait à la maison était à nos yeux un membre de la famille à part entière. Il nous apportait le réconfort et l’autorité médicale quand nous ne savions pas comment faire. »