L'infirmière Libérale Magazine n° 342 du 01/12/2017

 

CAS DE FRAUDES

L’exercice au quotidien

Malika Surbled*   Riki Blanco/Agence V.O.**  

Quand la presse généraliste met à la une des fraudes infirmières, les professionnelles sont souvent confrontées aux interrogations de leurs patients. Deux Idels témoignent.

Communiquer pour réduire les tensions…

« Quand l’un de mes patients est tombé sur un article du Progrès* disant que les infirmières devaient rester un temps minimum à domicile, je me suis sentie obligée de me justifier. L’article traitait d’une décision de justice concernant un professionnel qui avait consacré moins de trente minutes à son patient pour un AIS3. Mon patient regardait sa montre à chacun de mes passages pour être certain que je ne fraudais pas. Face à cette situation pesante, il fallait atténuer les tensions. Sans juger l’infirmier cité dans le journal, j’ai souhaité sensibiliser mon patient aux préoccupations infirmières : nomenclature, évolution de la profession, informatisation, facturation complexe, temps passé à la pharmacie… Nous avons parlé ouvertement de sa méfiance. Il s’avère que ce patient n’arrivait plus à accorder sa confiance aux professionnels à cause de propos lus et entendus ici ou là. Il était donc salutaire de pouvoir en parler », raconte Diah Bouguerra, Idel à Bron (Rhône-Alpes).

… et éviter la stigmatisation

« Les infirmières payent le prix fort pour le comportement absolument scandaleux d’une partie infime de la profession que l’on met en lumière dans les médias. Mais il y a un autre problème majeur à mon sens : dans les chiffres annoncés, aucune différence n’est faite entre les fraudes réelles et les erreurs de facturation qui conduisent à des indus. Les infirmières condamnées au pénal et celles qui se défendent devant le Tribunal des affaires de Sécurité sociale sont mises dans le même panier, c’est aberrant. C’est ce que j’ai essayé de démontrer à plusieurs de mes patients quand ils ont évoqué un reportage diffusé sur France 2. S’appuyant sur un rapport de la Cour des comptes, il expliquait que les professionnels de santé étaient les premiers fraudeurs de France. Tant qu’une infirmière ne prouve pas sa bonne foi, elle est considérée comme fraudeuse, c’est vraiment dommage. Je n’incrimine pas les médias. Ils traitent l’information avec les chiffres à leur disposition. À nous de faire de la pédagogie auprès d’eux, mais aussi de nos patients, pour expliquer ce que nous vivons », indique Jean-Marc Tridente, Idel à Villerupt (54).

* Le Progrès, “L’infirmier à domicile doit rester le temps prévu”, 24 avril 2017 (à lire via le lien bit.ly/2hGKWdI).

Yann Saint-Sernin, journaliste judiciaire pour le quotidien Sud-Ouest

« Le devoir d’un journaliste est de donner une information claire, explicite et exacte. Évoquer les fraudes des professionnels de santé, mais aussi celles d’autres professions, relève de l’intérêt général dès lors qu’il s’agit d’argent public. Il ne s’agit pas de stigmatiser le personnel médical ou paramédical, mais bien de rapporter des faits, même si cela n’est pas toujours plaisant à lire ou à entendre. Concernant notre façon de procéder, il faut savoir que les audiences judiciaires - assises, correctionnelles, civiles, TASS… - sont publiques. Nous y assistons et rédigeons des comptes rendus pour nos journaux, sur la base de ce que nous voyons et entendons à l’audience. S’il y a relaxe, nous devons aussi le dire, évidemment. »