L'infirmière Libérale Magazine n° 342 du 01/12/2017

 

ACCÈS AUX SOINS

Actualité

Carole Tymen  

L’offre de soins à Ouessant, commune la plus à l’ouest de France, n’est pas fragile, assure l’ARS. Pourtant, des patients expriment une gêne et une Idel remplaçante souligne le coût de l’activité insulaire. Reportage.

Le contrat local de santé (CLS) signé fin août entre Ouessant (Finistère) et l’Agence régionale de santé (ARS) de Bretagne(1) vise à « conforter et développer l’organisation des soins », « développer une culture de prévention » et permettre le « maintien à domicile des personnes en perte d’autonomie ». Des objectifs primordiaux au regard de la situation sanitaire de l’île, dressée par l’ARS, en juin 2016, lors d’un diagnostic(2) : « L’indice de défaveur sociale est l’un des plus élevés parmi les îles du Ponant. L’étude des consommations de soins montre que le recours aux services d’IDE est très inférieur au département. » « Tout reste à construire », reconnaît le maire, Denis Palluel, dans Ouest-France, au moment de la signature du CLS. Sur cette île de huit kilomètres sur quatre, à 90 minutes du continent en bateau, l’offre de soins est pourtant fournie : un cabinet infirmier, une kiné, un Ehpad de 24 places, des vacations mensuelles de chirurgien-dentiste et un médecin généraliste, dont la présence constitue un élément clé pour l’ARS, selon laquelle « on n’est pas au degré fragile. Il n’y a pas de problème de continuité de l’offre de soins ». Ouessant compte même une pharmacie pour 893 habitants, contre une moyenne de 3 040 habitants par officine en France(3).

Trouver un toit

Les conditions d’accueil des professionnels de santé sont-elles pour autant suffisantes ? Dans son diagnostic, l’ARS plaide pour « une organisation capable de [les] garantir ». Si les Idels bénéficient de tarifs insulaires pour l’avion (entre 54 et 115 € l’aller-retour contre 141,70 € pour les continentaux) et le bateau (environ 15 € l’aller-retour au lieu de 30 €), le coût de l’activité sur l’île reste élevé. « J’ai d’abord loué une voiture, 300 € pour trois semaines, puis j’ai fait venir la mienne (180 € de transport), mais le prix de l’essence reste supérieur à celui du continent », liste Nelly, Idel qui a exercé sur l’île comme remplaçante. Autre difficulté : le logement. Sur l’autre île finistérienne où elle travaille désormais, un logement collectif destiné aux soignants lui coûte 30 € par mois. « Cela relève du secteur privé, argue de son côté la municipalité d’Ouessant. Ici, il y a un parc de 35 logements communaux, mais ils sont à partager entre les saisonniers et ceux qui font des remplacements à la maison de retraite. » Pour pallier cette carence, Armelle, propriétaire du cabinet infirmier, a repensé l’organisation de son activité : deux remplaçantes, dix jours par mois, qu’elle héberge dans un logement qu’elle loue (400 € par mois). « Je facture les nuitées à mes remplaçantes. »

Nelly a fait partie de l’équipe d’Armelle. L’Idel, qui se voyait bien finir sa carrière dans l’île de la mer d’Iroise, a assuré des remplacements au cabinet, de février à juillet 2017. Mais très vite, elle redoute une situation estivale tendue à cause du coût de la vie, mais aussi du turnover des collègues, des tournées à rallonge soumises aux liaisons avec le continent et de l’augmentation du nombre de patients. Un dernier point dont se félicite au contraire Armelle : « J’ai pu prendre en charge 60 patients de plus durant la saison. C’est autant de touristes supplémentaires qui font vivre l’île. » Du 10 juillet au 22 août, elle a assuré seule les tournées.

Côté patients, âgés de plus de 75 ans à 20 % (la moyenne des îles du Ponant est de 14,4 % ; la moyenne régionale de 10,3 %)(4), le ressenti sur l’offre de soins est plus mitigé. Pour certains, c’est la débrouille. D’aucuns profitent d’un séjour sur le continent, à Brest, pour faire leurs prises de sang. D’autres ont le sentiment de ne pas être « correctement » pris en charge. « On est comme gênés d’avoir recours aux soins sur l’île, glisse même une habitante qui effectue ponctuellement les pansements d’ulcère de jambe de son mari. On s’arrange entre voisins. Si c’est une belle preuve de solidarité, c’est avant tout du bricolage. » « On a décliné une présence les jours fériés, pour rendre service aux soignants, tempête l’époux de cette patiente atteinte de sclérose en plaques. On a souvent eu l’impression de déranger. » Ce natif de l’île pense désormais aller vivre sur le continent, au moins durant l’hiver. « Tout cela à un coût que nous pourrions difficilement assumer, mais s’il le faut… » Certains patients verraient d’un bon œil l’installation d’un second cabinet infirmier dans l’île. Nelly aussi y a pensé. Mais parce qu’elle a travaillé plus de trois mois en remplacement de son ancienne collègue, son dossier n’a pas pu être accepté. Le motif ? La clause de non-concurrence (lire p. 57). L’intéressée pointe des « contraintes administratives irréalistes ».

“Singularités”

Des pistes émergent toutefois, à la faveur d’équipes soignantes renouvelées. L’arrivée du successeur du médecin de l’île en fait partie. L’idée d’un regroupement des soignants dans une maison de santé ou un centre de soins fait son chemin. « Rien n’est fixé, tempère l’ARS. Chaque île a ses singularités. Il faut en prendre note, faire preuve d’imagination et développer, ensemble, des formes d’organisation nouvelles. » L’adjointe en charge des affaires sociales croit, elle, au développement de la télémédecine avec les hôpitaux de Brest. Un axe qui correspond pleinement aux objectifs du CLS. « Les travaux de rénovation à l’Ehpad vont permettre la création d’une salle dédiée aux téléconsultations, pour tous les îliens. » Le système, prévu à l’horizon 2019, est déjà effectif pour les résidants actuels. Quant à Armelle, l’Idel installée depuis huit ans, elle aimerait voir se développer la formation des aides à domicile du centre communal d’action sociale de l’île pour « travailler en binôme. Cela me permettrait d’alléger la tournée et de m’occuper mieux des locaux. »

(1) Un CLS a été signé entre l’ARS et chacune des onze îles membres de l’Association des îles du Ponant.

(2) De mars à juin 2016, les travaux ont associé plus de 90 experts : élus et professionnels de santé des îles, établissements de santé, services départementaux d’intervention et de secours, Société nationale de sauvetage en mer, Groupement des armateurs de services publics maritimes de passages d’eau, Assurance maladie, conseils départementaux, conseil régional.

(3) Ordre national des pharmaciens, novembre 2017/Insee, 2014.

(4) Insee, 2012.

INFO +

• Dans un prochain numéro, nous embarquerons à nouveau pour une île en donnant la parole à une infirmière récemment installée sur l’île d’Aix, un peu plus au sud…