Au cours d’un colloque organisé mi-novembre, la Haute Autorité de santé (HAS) a invité les décideurs à réfléchir aux moyens de soigner moins pour soigner mieux. Objectif : passer du concept de pertinence des soins à sa mise en œuvre. Et il y a du boulot.
« 30 %. C’est la part des dépenses de santé qui ne sont pas pertinentes », a rappelé la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, dans une interview au JDD en octobre. Comment réduire ce chiffre ? Voilà une question à plusieurs milliards d’euros, à laquelle l’HAS a consacré, le 14 novembre, un colloque entier. Malheureusement, si les hauts responsables qu’elle a priés de plancher sur le sujet s’accordent sur le diagnostic, ils peinent à esquisser des solutions.
Les causes du problème sont en effet connues. Il y a, bien sûr, le paiement à l’acte. « Nous avons des modes de rémunération qui sont plutôt “pousse-au-crime” », estime lors du colloque Nicolas Revel, directeur général de l’Assurance maladie. D’où la volonté, déjà ancienne, d’introduire plus de rationalité dans la rémunération des professionnels de santé… en se heurtant parfois aux professionnels de santé eux-mêmes.
Le patron de l’Assurance maladie explique par exemple que, lors des dernières négociations conventionnelles avec les médecins libéraux, la priorité de ces derniers était de revaloriser la consultation de base de 23 à 25 euros. « Je leur ai dit qu’on pouvait prendre cet argent pour l’investir sur les consultations longues, raconte Nicolas Revel. La question a été vite réglée : pour les cinq syndicats, il était impossible de ne pas commencer par revaloriser les consultations de base. »
Bien sûr, l’aspect financier n’est pas seul en cause pour expliquer les actes inutiles ou inappropriés. Sur le banc des accusés, on trouve aussi les déficiences du système d’information : combien d’examens déjà effectués en ville sont-ils à nouveau prescrits lors d’une admission à l’hôpital ? Pour être sûr de ne pas refaire ce qui a déjà été fait, il faudrait pouvoir rassembler les informations d’un patient en un seul et même endroit.
Sur ce sujet, la réponse des décideurs invités par l’HAS est un outil dont on parle depuis quinze ans mais qui n’a toujours pas fait ses preuves : le dossier médical partagé (DMP), « support essentiel pour la limitation des doublons », d’après Cécile Courrèges, directrice générale de l’offre de soins au ministère de la Santé. Et pour calmer les impatiences des professionnels, Nicolas Revel promet que cet outil “miracle” sera pleinement fonctionnel dans le courant de l’année 2018.
Au-delà des aspects purement techniques, la surprescription a également des causes profondes, parmi lesquelles on peut citer le défaut de formation continue des médecins. « La médecine change très vite et de façon spectaculaire, explique le Pr Olivier Claris, président de la commission médicale d’établissement des Hospices civils de Lyon (Rhône). Il faut donc imaginer un système intelligent de recertification. »
Un chantier ancien, tout récemment relancé par la ministre de la Santé. Sur ce sujet comme sur les précédents, on peut donc choisir de voir le verre à moitié vide en estimant que tout continuera comme avant… ou à moitié plein en comptant sur le volontarisme gouvernemental.
Le Dr Renaud Benichou est obstétricien à la polyclinique Jean-Villar, maternité privée à but lucratif de la région bordelaise. En 2012, à l’occasion d’une évaluation des pratiques professionnelles (EPP, méthodologie promue par l’HAS), il se rend compte, avec son équipe, que le taux de césariennes de la clinique est de 30 %, contre environ 20 % au niveau national. Un tableau mensuel de suivi est donc mis en place, assorti de réunions mensuelles où chaque médecin doit présenter les césariennes programmées et effectuées, puis les justifier au regard des recommandations. Les patientes étant réparties entre les praticiens de façon aléatoire, les taux de césarienne auraient dû être les mêmes. « Or ce n’est pas ce que nous avons observé », constate Renaud Benichou lors du colloque de l’HAS. Les différences entre praticiens pouvaient en effet aller de 1 à 4. Mais au bout de cinq ans de travail, les résultats sont au rendez-vous. « Nous sommes fiers d’afficher aujourd’hui un taux de 21 % », indique le médecin, qui précise que les efforts se poursuivent pour faire encore diminuer ce chiffre.