L'infirmière Libérale Magazine n° 342 du 01/12/2017

 

Addictologie

Cahier de formation

Point sur

Dr Mario Blaise  

Dans son exercice, l’Idel peut être régulièrement confrontée à des situations et des questions relatives à l’usage du cannabis et aux inquiétudes qu’il suscite. Mais que sait-on précisément des retentissements à court et long termes de sa consommation sur la santé ?

Les études observationnelles rétrospectives(1) permettent aujourd’hui de mieux appréhender les risques liés à l’usage du cannabis et ses effets négatifs sur la santé.

Contexte de consommation :un facteur déterminant

Les risques sont directement corrélés à trois facteurs.

Le mode d’usage

L’absorption par inhalation de la fumée du cannabis est non seulement plus rapide(2) mais aussi beaucoup plus nocive que son ingestion (gâteaux au cannabis par exemple), car le fumeur s’expose aux effets du goudron et du monoxyde de carbone contenus à la fois dans le cannabis (herbe ou résine) et le tabac auquel il est mélangé.

À noter : le cannabis sous forme d’huile ou de produit de synthèse est également « vapoté ». La nocivité de cet usage récent n’est pas connue.

L’intensité de l’usage

Un usage régulier de cannabis est logiquement plus à risque qu’un usage sporadique. Toutefois, il est difficile d’établir une échelle de risques ou un seuil de dangerosité liés à la fréquence d’utilisation car la toxicité de l’usage dépend aussi de la composition du produit, très variable selon la provenance du cannabis, notamment au niveau des taux des principaux cannabinoïdes, le tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD).

À noter : si le THC est responsable du principal effet psychoactif, le CBD en revanche a des vertus plus « régulatrices ». Ainsi, en fonction de la teneur en THC et CBD, certains cannabis seront plus ou moins toxiques que d’autres.

L’âge de la première exposition

Comme pour toutes les substances psychoactives, plus l’usage du cannabis est précoce, plus l’effet est délétère, et le risque, majoré de développer une addiction et de perturber le développement psychoaffectif et cognitif (perte de points de QI). L’adolescence est donc une période cruciale pour détecter les conduites à risque et proposer un accompagnement (lire l’encadré ci-contre).

À noter : en 2010, un collégien sur dix déclarait avoir expérimenté l’usage de cannabis, selon l’Observatoire français des drogues et de la toxicomanie (OFDT)(3). De marginale en classe de sixième (1,5 %), l’initiation au cannabis concerne pratiquement un adolescent sur quatre en troisième. En 2014, 47,8 % des jeunes de 17 ans déclaraient avoir fumé du cannabis au cours de leur vie, contre 41,5 % en 2011.

Des risques sanitaires multiples

Pour la grande majorité des usagers, la consommation de cannabis restera sporadique et pourra être diminuée ou arrêtée sans difficulté et sans effet majeur sur leur santé. En revanche, ceux qui en font un usage régulier, intensif et durable s’exposent à des troubles cognitifs, psychiques, psychiatriques et physiques. Selon plusieurs études, 5 à 10 % des usagers de cannabis développeraient un trouble lié à cet usage. Certains surviennent de manière aiguë tandis que d’autres s’installent sur le long terme.

Troubles cognitifs

Le cannabis diminue les capacités d’attention, de concentration, de mémorisation immédiate et d’encodage des informations, ce qui peut nuire aux apprentissages et engendrer des difficultés scolaires importantes. La perception visuelle, la vigilance et les réflexes sont également modifiés(4). « Certains de ces effets peuvent persister plus ou moins longtemps, mais il est important de préciser qu’ils sont réversibles à l’arrêt de l’usage dans la majorité des cas, précise le Dr Blaise, chef de service au Centre médical Marmottan. Les études montrent en effet que le fonctionnement cognitif se normalise après une abstinence complète de plus de trois mois chez des fumeurs réguliers. »

Troubles psychiques

Chez certaines personnes fragiles, le cannabis peut engendrer ou aggraver des troubles psychiques (anxiété, crises de panique…) et favoriser la survenue d’une dépression. « Il est aujourd’hui également attesté que la consommation de cannabis, associée à d’autres facteurs de risque (âge d’exposition, composition du cannabis consommé(5), vulnérabilité individuelle) peut favoriser, voire aggraver une psychose, ajoute le médecin. Elle peut également révéler ou aggraver les manifestations d’une schizophrénie. »

Troubles physiques

Les principales complications somatiques du cannabis concernent l’arbre respiratoire. L’association du tabac et du cannabis favorise et entretient les pathologies respiratoires (toux, infections pulmonaires, broncho-pneumopathie chronique obstructive…) et entraîne des cancers du poumon plus précoces que le tabac seul(4). Elle favorise également les cancers de la gorge et de la bouche ainsi que les gingivites, parodontites et stomatites. Le risque cardiovasculaire associé au tabagisme est majoré. En outre, le cannabis modifie le rythme cardiaque et amplifie le risque chez les personnes souffrant d’hypertension et de maladies cardiovasculaires préexistantes. Enfin, des études récentes indiquent que la structure du cerveau peut être durablement altérée chez des adultes ayant eu une consommation importante de cannabis depuis un âge précoce(4).

(1) Cf. notammentune revue de la littérature internationale de 2013 sur le site de l’Observatoire français des drogues et de la toxicomanie (OFDT) (lien : bit.ly/2zVHAdK).

(2) Le tétrahydro-cannabinol (THC) absorbé par inhalation est détecté dans le sang environ deux minutes après la première bouffée, et son pic est obtenu après 10 à 20 minutes. En cas d’administration orale, le pic de THC est obtenu entre 60 et 120 minutes en moyenne, explique Maad digital (lien : bit.ly/2yTG0Wh).

(3) À lire sur le site de l’OFDT (lien : bit.ly/2zKSUcy)

(4) Selon la fiche de 2015 sur le cannabis de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (lien : bit.ly/2zIIwlL).

(5) Le THC augmente le risque alors que le CBD aurait plutôt des effets antipsychotiques.

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêts.

Cet article est le premier volet d’un diptyque consacré aux effets du cannabis. Dans notre prochain numéro, nous en évoquerons les usages à visée thérapeutique.

À savoir

→ Chez un consommateur occasionnel, la concentration en tétrahydrocannabinol (THC) dans le sang est divisée par deux après environ une heure et demie. Ensuite, le THC capté par les tissus graisseux (il est lipophile) repasse très lentement dans le sang et s’élimine totalement en deux à trois jours. Son accumulation dans les graisses explique pourquoi, en cas de consommation régulière, les tests de recherche urinaires du cannabis peuvent rester positifs jusqu’à quatre à six semaines après arrêt de l’usage.

Comment aborder le sujet ?

Si les professionnels de santé libéraux repèrent assez facilement les signes d’un usage de substances psychoactives, il leur est plus difficile d’aborder franchement ce sujet avec le patient ou la famille. Afin de les y aider, la Haute Autorité de santé (HAS) propose, sur son site, un outil d’aide au repérage précoce et à l’intervention brève(1). Ce document présente notamment l’outil CAST, pour Cannabis Abuse Screening Test, comprenant six questions comme « Avez-vous déjà fumé du cannabis avant midi ? » ou « Avez-vous déjà eu des problèmes à cause de votre consommation de cannabis (dispute, bagarre, accident, mauvais résultat à l’école…) ? » L’outil suggère notamment aux professionnels de premier recours d’adopter « une posture partenariale favorisant la confiance et les échanges (alliance thérapeutique) ». Un autre site, élaboré par des professionnels des addictions(2), fournit conseils, outils et documents aux professionnels pour aborder la question des conduites addictives avec leurs patients, repérer d’éventuels usages problématiques de substances psychoactives et intervenir et/ou orienter les personnes.

(1) Sur le site de la HAS (lien : bit.ly/2zLWW45).

(2) intervenir-addictions.fr