L'infirmière Libérale Magazine n° 343 du 01/01/2018

 

Pharmacologie

Cahier de formation

Point sur

Marie Fuks  

On en parle peu. Et pour cause, l’usage du cannabis à visée thérapeutique est aujourd’hui très en retard en France, en comparaison de nombreux autres pays dans le monde. Dans ce contexte, comment accompagner les malades qui ne trouvent pas d’autres solutions ?

41 indications

Comme l’indique l’Union francophone pour les cannabinoïdes en médecine (UFMC)(1), « l’utilité médicale du cannabis et des cannabinoïdes pris séparément est aujourd’hui très largement acceptée par la communauté médicale ». L’Association internationale pour les cannabinoïdes en médecine(2) recense 41 indications dans lesquelles le cannabis thérapeutique (CT), sous forme de fleurs ou de feuilles séchées, peut être utilisé et prescrit dans les pays en autorisant l’usage. Toutes ces indications (cancers, sclérose en plaques [SEP], maladies inflammatoires de l’estomac ou de l’intestin comme la maladie de Crohn, anorexie du sida, épilepsie de l’enfant - syndrome de Dravet, syndrome de Lennox Gastaut -, maladies neurodégénératives, douleur, hyperactivité, glaucome, effets secondaires de certains traitements comme les antirétroviraux ou les chimiothérapies…) sont décrites dans Cannabis en médecine, le seul ouvrage en langue française traitant scientifiquement de l’usage médical des cannabinoïdes (lire la bibliographie page de droite).

Des politiques divergentes

« Dans les faits, l’approche de [l’usage du cannabis à visée thérapeutique] par les politiques de santé varie considérablement selon les pays », indique l’UFMC. En témoigne le retard pris par la France, la Grèce ou la Suède, comparés à d’autres pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l’Espagne, la Finlande, la République tchèque, Israël, le Canada (lire plus loin), l’Autriche ou encore plus d’une vingtaine d’États aux USA. Le potentiel thérapeutique du cannabis y est reconnu, et son accès à des fins médicales, légalisé.

En France, un usage extrêmement limité

La modification de la règlementation intervenue en 2013 (décret n° 2013-473 du 5 juin 2013) permet l’emploi de médicaments contenant du cannabis et bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) délivrée en France ou par l’Union européenne. En revanche, l’usage thérapeutique de la plante cannabis (chanvre) ou d’une préparation magistrale (cannabis sous une forme ne répondant pas à une spécialité pharmaceutique ayant une AMM) n’est pas autorisé et reste associé à l’usage de stupéfiant. Dans notre pays, seuls deux médicaments, le Marinol (avant la modification de la règlementation de 2013) et le Sativex depuis 2013, sont autorisés à la prescription dans des conditions particulières.

Le Marinol, sous conditions strictes

Il s’agit d’un médicament ne contenant pas de cannabis, mais l’un de ses composants, le tétrahydro-cannabinol (THC). Le Marinol (dronabinol ou delta-9-THC) est délivré pour le traitement des nausées et des vomissements induits par les chimiothérapies anticancéreuses et pour des douleurs neuropathiques centrales. Il est uniquement disponible dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) nominative(3) auprès des pharmacies hospitalières. En 2016, 116 patients ont été traités par Marinol à la demande d’un médecin hospitalier de la douleur et dans le cadre d’une structure spécialisée dans l’évaluation et le traitement de la douleur chronique(4).

Le Sativex, toujours pas commercialisé

Il s’agit d’une solution transmuqueuse pour pulvérisation buccale composée de deux extraits de cannabis : le delta-9-THC et le cannabidiol (CBD). Il est autorisé depuis le 8 janvier 2014 dans le « traitement des symptômes liés à une spasticité modérée à sévère due à une SEP chez des patients adultes n’ayant pas suffisamment répondu à d’autres traitements antispasmiques, mais chez lesquels une amélioration clinique de ces symptômes a été démontrée pendant un traitement initial ». Sa primo-prescription est réservée aux neurologues et aux médecins de médecine physique et de réadaptation exerçant à l’hôpital. Son renouvellement peut être réalisé par le médecin traitant pour une période limitée à vingt-huit jours. Le médicament devrait être disponible dans les pharmacies de ville, mais n’est toujours pas commercialisé, faute d’accord, sur le prix et les volumes, entre le Comité économique des produits de santé (CEPS), la direction de la Sécurité sociale et le laboratoire (Almirall). Pour l’heure, le CEPS a octroyé un prix dans le cadre d’un contrat prix/volume qui restreint l’accès au traitement à environ 350 patients par an, alors que 5 000 pourraient en bénéficier. En effet, sur les 100 000 patients qui présentent une SEP, 10 % répondent à l’indication du Sativex ; parmi eux, un sur deux en moyenne répond au traitement. Pour le moment, le laboratoire a fait une contre-proposition qui permettrait à plus de 3 000 patients de bénéficier du traitement. Le CEPS tarde à répondre. En attendant, les patients peuvent se procurer le Sativex en Allemagne, en Belgique ou en Suisse, sous réserve de disposer d’une ordonnance sécurisée (ce médicament est en effet classé comme stupéfiant) et de payer le prix fort : de 350 à 400 euros pour un mois de traitement.

L’exemple canadien(5)

Au Canada, à l’exception des médicaments à base de cannabis (Sativex/nabiximols, Césamet/nabilone) bénéficiant d’une AMM et d’un numéro d’identification du médicament en vertu de la loi sur les aliments et drogues, les autres formes de cannabis (séché, frais, huileux) ne sont pas autorisées en tant que produit thérapeutique. Toutefois, après des procès intentés par des patients pour bénéficier de traitements à base de cannabis, un système d’accès existe depuis la fin des années 1990. Ce dispositif est régi par la loi réglementant certaines drogues et autres substances, et par le règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales(6).

→ Les professionnels de santé peuvent autoriser les patients à obtenir du cannabis à des fins médicales, après avoir validé l’indication et fixé la quantité en grammes qu’ils peuvent consommer par jour. Afin d’éclairer ces professionnels et de leur fournir des éléments d’aide à la prescription, le ministère de la Santé canadien a publié des recommandations(7). Celles-ci comprennent une « monographie exhaustive de la pharmacologie, des utilisations thérapeutiques possibles et des risques de l’utilisation du cannabis à des fins médicales », ainsi qu’une « fiche d’information sur les doses journalières ». Enfin, la plupart des associations professionnelles proposent des lignes directrices ou des normes sur l’autorisation du cannabis à des fins médicales.

→ Depuis 2013, près de 10 000 professionnels canadiens de la santé ont autorisé l’usage du CT. Les patients concernés (environ 210 000) ont la possibilité, soit d’acheter du cannabis de qualité, contrôlé auprès d’un producteur autorisé par le gouvernement fédéral (cela concerne 200 000 personnes), soit, plus rarement (10 000 patients), de s’inscrire auprès du ministère de la Santé du Canada afin d’être autorisés à produire ou à désigner une personne qui produira une quantité limitée de cannabis.

(1) ufcmed.org

(2) Organisme réunissant des professionnels de santé, des chercheurs et des patients : cannabis-med.org

(3) ATU délivrée pour un patient donné par une pharmacie hospitalière à la suite d’une demande évaluée par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), à partir des données cliniques présentées sur la pathologie du patient et en l’absence d’alternative thérapeutique.

(4) Selon l’ANSM.

(5) Source : Santé Canada.

(6) Le texte complet ici : bit.ly/2zU79Ja

(7) “Renseignements pour les praticiens de la santé – Usage du cannabis à des fins médicales” (lien : bit.ly/2ivOwnw).

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêts.

Après avoir décrit ses risques santé dans notre numéro de décembre, nous présentons ici le second volet de notre diptyque sur les effets du cannabis.

Bibliographie +

• Dr Franjo Grotenhermen, Cannabis en médecine, Éditions Indica, 2009. Disponible en ligne : bit.ly/2A0BWrM

• Michka et coll., Se soigner avec le cannabis. État des lieux, Mama éditions, 2017. Ce petit livre complet, auquel a participé notamment l’Association internationale pour les cannabinoïdes en médecine, recense les effets du cannabis et les médicaments disponibles d’un pays à l’autre – se trompant néanmoins sur le Césamet qui, en France, n’a pas d’AMM et n’est donc pas disponible en RTU, selon l’ANSM. Il explique aussi comment aménager un jardin chez soi… mais précise en préambule : « Il incombe à chacun de respecter la législation en vigueur là où il se trouve ».

• Martine Schachtel, Cannabis sur ordonnance, éditions Albin Michel, 2014. Ce témoignage veut convaincre de l’utilité du cannabis à visée médicale en fin de vie. L’auteur, ancienne infirmière, donne à voir les effets quasi miraculeux de trois sablés au cannabis par jour, faits maison par sa sœur, en lutte contre un cancer du poumon. Ces gâteaux lui redonnent le goût de vivre et la soulagent, avec moins d’effets désagréables et un prix moins élevé que d’autres traitements - légaux.

Point de vue
Bertrand Rambaud
Président de l’Union francophone pour les cannabinoïdes en médecine

« Le dilemme des patients »

Pour tous les patients français souhaitant bénéficier d’un traitement au cannabis thérapeutique (CT), la seule possibilité, aujourd’hui, consiste à trouver un médecin qui le prescrive et à se rendre dans un pays voisin où les pharmacies le dispensent. « C’est souvent le traitement de la dernière chance, celui qu’on essaie lorsqu’on a tout tenté, comme je l’ai fait moi-même, témoigne Bertrand Rambaud, président de l’Union francophone pour les cannabinoïdes en médecine (UFCM), séropositif depuis trente ans, intolérant aux antirétroviraux et résistant à certaines molécules. Alors que les effets secondaires de ces traitements diminuent avec le temps pour la majorité des patients, chez moi, ils augmentent et me font vivre un calvaire. J’ai essayé tous les médicaments adjuvants possibles jusqu’au jour où, en accord avec mon médecin, j’ai tenté le cannabis thérapeutique (CT) qui, à raison de deux prises par jour, est le seul médicament qui me permette de supporter ma quadrithérapie actuellement.  » Hors-la-loi comme beaucoup d’autres patients, il s’approvisionne à l’étranger et prend le risque de se faire arrêter et confisquer son traitement, en dépit de la présentation de l’ordonnance et de la facture de la pharmacie. Sans compter les poursuites judiciaires qui s’ensuivent et qui engendrent des condamnations – sans peine au vu du dossier médical. Ainsi, au-delà des sommes engagées à perte, les malades sont privés du moyen de se soigner et condamnés. Car la loi française ne distingue pas l’usage thérapeutique de l’usage récréatif.

Pourtant, les modalités d’utilisation sont assez spécifiques. « En usage médical, le CT n’est généralement pas fumé, commente Bertrand Rambaud. Il est plus souvent inhalé, pris en infusion, ou sous forme plus concentrée de teinture mère ou d’huile, ce qui nécessite de maîtriser les techniques de macération et d’extraction, car ces formes ne sont pas disponibles dans les pharmacies étrangères où les patients se procurent leur CT. » L’UFCM a fait valider les produits, les techniques et les process par un professeur de la faculté de pharmacie de Strasbourg. Elle peut aider les malades dans cet apprentissage, qui réclame précision et méticulosité. « Nous avons conscience que nous sortons du cadre légal, mais c’est le seul moyen d’aider efficacement les malades en l’absence de produits accessibles sur prescription, disposant d’une traçabilité et de procédures de production validées et autorisées, commente Bertrand Rambaud. C’est un vrai dilemme pour les malades. Ils savent que ce médicament fonctionne sur les symptômes de leur maladie et sur les effets secondaires des traitements qu’ils prennent, mais ils ne disposent d’aucun moyen légal pour se les procurer et sont totalement livrés à eux-mêmes. »