Après onze ans comme IDE hospitalière et en soins à domicile, Aline Sbranna est devenue gestionnaire de cas auprès des personnes âgées, une fonction qui fête ses dix ans d’existence mais demeure peu connue.
C’était qui au téléphone quand je suis arrivée ? Des démarcheurs ? » Dans le petit deux-pièces de Jacques, Aline Sbranna s’installe devant la table du salon. Une aide à domicile est en train de terminer le ménage. Le vieil homme cherche le chargeur de batterie de son aspirateur. « Oui, ils voulaient me vendre des fenêtres, je crois, dit-il. Mais je ne me laisse pas faire. » Rien n’est moins sûr : Jacques venait de proposer à son interlocuteur de le rappeler. Aline suit cet habitant du XIIIe arrondissement parisien depuis quatre ans. Gestionnaire de cas, elle a été sollicitée par l’association France Alzheimer pour évaluer les besoins de ce patient âgé de 85 ans, présentant des troubles cognitifs de type Alzheimer. Il refusait quasiment toute aide, sauf celle de ses filles, épuisées, et le passage de deux Idels. « En quatre ans, nous avons remis en place un suivi médical, une toilette quotidienne, le passage de l’aide à domicile et deux journées par semaine en accueil de jour, se réjouit Aline. Prochains objectifs : peut-être obtenir une mesure de protection officielle et préparer, à moyen ou long terme, une entrée en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). »
La profession de gestionnaire de cas a été créée en France en 2008. D’après une enquête de 2016 menée par la Fondation Médéric Alzheimer, elle est exercée à 93 % par des femmes. Au total, près de 800 professionnels œuvrent, dans le cadre des MAIA (lire l’encadré page de droite), à l’évaluation des besoins des personnes âgées en perte d’autonomie. Il s’agit de planifier et de coordonner les services répondant aux besoins globaux de santé. Leur intervention peut être sollicitée par un travailleur social ou un professionnel de santé, pour toute personne de plus de 60 ans en perte d’autonomie fonctionnelle et décisionnelle, présentant un problème d’ordre médical, ainsi qu’une carence en aide ou en soin, et ne disposant pas d’un proche à même d’installer et de coordonner les ressources nécessaires. Les gestionnaires de cas possèdent une formation initiale de travailleur social, de psychologue ou, comme Aline, d’infirmière. Ils doivent obtenir un diplôme inter-universitaire de coordination en gérontologie pour intégrer la fonction. « Je travaillais dans un service de soins à domicile quand j’ai eu des problèmes de santé, raconte Aline. On m’a alors parlé d’un poste au Centre local d’information et de coordination Paris Émeraude Sud. Je pouvais y garder le contact avec les personnes âgées, que j’apprécie, tout en travaillant avec une réelle autonomie. J’ai très vite accepté. »
Depuis 2013, le quotidien d’Aline se partage entre visites à domicile, réunions de synthèse avecles différents acteurs de la prise en charge des patients (médecin, service de soins infirmiers à domicile, travailleur social, Idel, aide à domicile, mandataire judiciaire, etc.), élaboration du plan de services individualisé de chaque bénéficiaire, coups de fil pour dénouer des situations, analyse des nouveaux besoins, dialogue avec les familles, rendez-vous auprès des acteurs sanitaires et sociaux pour se faire connaître, réunions de concertation pour faire remonter les problèmes organisationnels du terrain vers les décideurs… « Nous travaillons dans la pluridisciplinarité en permanence, résume la jeune femme. D’abord entre gestionnaires de cas, du fait de nos compétences initiales variées, mais également avec l’ensemble des partenaires impliqués autour du patient. » La découverte de ces intervenants auprès des personnes âgées a marqué ses débuts dans la fonction. « Je me suis beaucoup remise en question », résume Aline. Pour que chacun remplisse son rôle auprès du patient, il faut apprendre à déléguer et s’éloigner de son métier initial (pour elle, du geste technique de soin propre à l’infirmière). Ne pas faire en lieu et place d’autres professionnels, dont l’intervention est utile pour parfaire un diagnostic global et proposer un plan d’accompagnement, par exemple. Il faut aussi passer beaucoup de temps auprès de la personne pour comprendre ses besoins et ses souhaits. Également, « trouver la juste place auprès de chaque personne, évaluer jusqu’où aller dans son intimité et à quelle vitesse on peut progresser, poursuit Aline. Car nous sommes parfois orientées vers des situations très dégradées. » Et d’évoquer les nombreux appartements insalubres, infestés d’insectes ou de détritus, des états psychiques très délabrés, voire des familles maltraitantes qu’il faut “amadouer”… « Parfois, il faut aussi accepter de ne pas pouvoir tout faire. Certaines situations ne peuvent être résolues par notre intervention », observe la jeune femme. Malgré les difficultés, la motivation d’Aline demeure intacte. « Quand des familles vous remercient ou que vous parvenez à faire hospitaliser des personnes souffrant de pathologies jamais évaluées, on sait qu’on agit pour leur bien. »
Avec les deux autres volets de concertation et d’intégration, les gestionnaires de cas constituent le troisième mécanisme d’action des MAIA. En 2016, avec l’extension de leur champ d’activité à l’ensemble des personnes âgées en situation complexe, les MAIA, auparavant Maisons pour l’autonomie et l’intégration des malades Alzheimer, ont été renommées Méthodes d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie. Conçus pour simplifier le parcours médico-social des personnes âgées malades vivant à domicile, ces dispositifs d’accueil, de coordination et d’orientation permettent à tous les acteurs de l’accompagnement de la personne âgée de construire ensemble leurs moyens d’action, de décloisonner et d’harmoniser leurs interventions, et de proposer des réponses complètes adaptées aux besoins de l’individu.
« Vu l’âge et l’état de santé de nos patients, nous travaillons beaucoup avec les Idels. Je ne me présente jamais à elles en disant que j’étais infirmière. Mais le courant passe rapidement : nous parlons le même langage, elles voient bien que je connais leur fonction et le soin. Certaines peinent néanmoins à appréhender notre rôle. Il arrive par exemple qu’elles s’adressent à nous pour obtenir un renouvellement d’ordonnance, alors qu’elles peuvent appeler directement le médecin. Nous profitons donc des réunions de synthèse autour d’une situation, lorsque l’ensemble des professionnels concernés sont assis autour de la table et disponibles, pour expliquer notre mission. »