L'infirmière Libérale Magazine n° 343 du 01/01/2018

 

RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ

Dossier

Géraldine Langlois*   Héloïse Chochois**  

La nature de la communication avec le patient peut faciliter ou compliquer les soins. Et sa qualité dépend des deux interlocuteurs, soignant comme soigné. Les Idels, en tant que professionnelles, ont une responsabilité particulière dans la réussite de cet échange.

« C’est important d’être conscient qu’un patient est une personne, tout comme le soignant, rappelle Brigitte Greis, Idel et administratrice de l’association Société médicale Balint. Le moment du soin est une rencontre entre deux personnes, avec ce qui se passe et avec ce qu’elles sont. » La personnalité de chacun intervient au premier chef. Pour Pascale Wanquet-Thibault, cadre de santé et formatrice en matière de communication en situations de soins difficiles(1), l’échange est facilité quand on identifie la personnalité des patients. Certains semblent calmes, confiants, d’autres tatillons, inquiets, méfiants, agressifs… Pour David, infirmier remplaçant dans le Nord, « il ne faut pas rester sur la première impression. Une patiente, très froide et sèche au début, a gagné en confiance et, finalement, la communication s’est bien passée. A contrario, un patient très sympa disait des choses négatives sur nous dans notre dos ».

Au-delà de la personnalité, le fait d’être malade ou de souffrir peut modifier le mode relationnel ou la capacité à communiquer des patients, en les facilitant ou en les compliquant. « Un individu est fait de ses traits de personnalité mais aussi de ce qu’il vit » au moment où on le rencontre, souligne Pascale Wanquet-Thibault. Le prendre en compte favorise la confiance que le patient peut placer dans le soignant. C’est un élément clé de l’alliance thérapeutique.

Empathie

L’empathie – le fait de ressentir ce que l’autre ressent sans en être affecté – constitue l’autre ingrédient essentiel d’une communication satisfaisante pour le patient comme pour l’Idel, estime Pascale Wanquet-Thibault. Elle peut être spontanée quand soignant et soigné s’accordent dans la relation de soin. Mais elle peut aussi être difficile, quand le patient n’a pas envie de poursuivre les soins ou les refuse. « Le soignant sera dans la bonne empathie s’il met en œuvre une communication adaptée, ajoute la formatrice. Il peut dire qu’il comprend, que c’est normal de ressentir ce que le patient ressent et qu’il est disponible pour en reparler. » Mieux percevoir et comprendre l’état d’esprit du patient, ses peurs ou ses réticences, permet au soignant d’éviter des positions qui pourraient rigidifier la relation et d’ajuster sa posture : haute (il prend en compte l’état du patient et se met à son niveau), neutre (il rassure ou s’affirme) ou basse (il admet ce que dit le patient).

« L’empathie, c’est inné ou ça se travaille », estime Nadine Frank, Idel et hypno-praticienne. Sans elle, « on ne comprend pas ce qui se passe dans la tête du patient, et cela peut renvoyer au soignant une mauvaise image de lui-même ». Ce qui n’améliore pas la communication… Face à la réticence d’un patient, par exemple, « je valide d’abord ce que je perçois en disant “j’ai l’impression, mais je me trompe peut-être, que lorsque vous parlez comme cela, vous n’êtes pas d’accord”, souligne Nadine Frank. Cela permet au patient de s’exprimer. Ensuite, je lui demande ce que je peux faire pour que le soin soit plus facile ou confortable pour lui. »

« Briser la glace »

La « partie émergée » de la communication passe naturellement par les échanges verbaux. Sur les soins tout d’abord, ne serait-ce que pour informer les patients de ceux qu’il va recevoir. « Mais la manière dont on informe a un impact », souligne Pascale Wanquet-Thibault. Prévenir un patient qu’il risque d’avoir mal active la zone cérébrale de la douleur avant même que le soin ait commencé. La formatrice préconise donc de privilégier des formulations et termes positifs (voir le tableau p. 32) et de demander par exemple « est-ce que vous avez déjà eu ce soin ? » pour savoir dans quelles dispositions se trouve la personne et pouvoir s’y ajuster. David a, quant à lui, arrêté de parler de « petite piqûre » ou de « petit pansement » quand une patiente lui a signalé que, pour une « petite piqûre », cela lui faisait bien mal… Les sujets de conversation eux-mêmes ont leur importance. Ils tournent souvent autour de la vie quotidienne et de l’actualité. Aux Antilles, la météo, avec ses cyclones et ouragans, occupe une partie des conversations, observe Leïla Arnaux, Idel en Martinique. Lors de la première rencontre avec un patient, Charline, Idel en Anjou et auteure de Bonjour, c’est l’infirmière(2), cherche le plus vite possible ce qui lui permettra de « briser la glace » : travail, enfants, jardin… Parfois, les patients n’ont pas envie de parler. « Au début, cela me gênait », note Leïla Arnaux. Le silence « fait partie intégrante de la communication », estime Charline. Nadine Frank observe les « canaux sensoriels » préférés du patient pour s’y adapter. Alors qu’elle échouait à distraire un petit garçon avant une intraveineuse, elle a compris qu’il était dans le contrôle et a opté pour l’hyperformulation de tous ses gestes : « Je vais prendre l’aiguille, je pompe le produit, je vais l’injecter, c’est toi qui me donnes le feu vert… »

Distance et intonation

À part avec les enfants ou, peut-être, les personnes qu’on a connues avant d’être soignant, le vouvoiement est impératif, estime par ailleurs Pascale Wanquet-Thibault. « Ça aide à être distancié, pas distancé », précise-t-elle. Et à gérer plus facilement les situations problématiques. De nombreuses Idels tiennent au vouvoiement. « Aux Antilles, la familiarité s’installe très vite, observe Leïla Arnaux. Des patients m’appellent par mon prénom, mais j’insiste pour qu’on se vouvoie. Je ne fais pas partie de la famille ou des amis. » Charline tutoie souvent les patients, même âgés, qui la tutoient, sans que cela ne crée, selon elle, de familiarité ni empêche le respect. « En milieu rural, les gens sont dans la simplicité des relations. » En revanche, elle vouvoie toujours et appelle par leur nom de famille les patients avec lesquels elle préfère conserver une distance. Parfois, les patients posent des questions personnelles. À certains qu’elle connaît depuis des années, il arrive que Leïla Arnaux réponde. Sinon, elle esquive avec humour. Charline évoque parfois des expériences personnelles partagées avec certains patients. « Dire à quelqu’un “moi aussi j’ai connu ça, tu n’es pas tout seul, on s’en sort”, ça peut aider, rassurer. Ce serait dommage de le garder pour soi », estime-t-elle. La dimension paraverbale – le ton et l’intonation de la voix, le rythme de la parole – compte aussi beaucoup. « C’est important de s’ajuster au patient sur ce plan afin de ne pas être trop décalé », estime Pascale Wanquet-Thibault. Face à un patient stressé, on peut par exemple commencer à parler comme lui et l’entraîner progressivement à ralentir son débit, à se calmer… « Avec un patient angoissé, poser sa voix permet souvent de le calmer », observe Charline. Selon les personnes, ajoute-t-elle, réagir vivement ou de manière détendue à l’agressivité permettra de la réduire…

Gestes et expressions

Les mouvements, gestes ou expressions du visage « représentent environ 80 % de la communication, ajoute Pascale Wanquet-Thibault. La façon dont on se présente est perçue quelques millisecondes avant les paroles prononcées. Tout dit quelque chose de la personne et peut avoir une conséquence sur la relation si on ne connaît pas le patient. Et ce n’est pas à lui de s’adapter. » Garder son manteau ou l’enlever, utiliser son téléphone portable ou l’éteindre, regarder le patient dans les yeux ou pas, en disent long sur la disponibilité des soignants à communiquer. Le sourire de l’infirmière peut décrisper le visage d’un patient. « Je regarde beaucoup les gens, souligne Brigitte Greis, qui mise plus sur le non-verbal que sur des techniques verbales. J’essaie aussi de m’asseoir près d’eux, même si j’ai peu de temps. Ce n’est pas le nombre de minutes que je passe avec eux qui compte, mais leur qualité. » Charline essaie aussi de « [se] trouver toujours à la même hauteur » que ses patients, de les regarder dans les yeux et de leur serrer la main. « Cela nous apprend beaucoup sur eux », note-t-elle. Avec les patients dont la communication verbale est brouillée, par la maladie d’Alzheimer par exemple (lire l’encadré p. 32), Nadine Frank a « appris à ralentir pour favoriser la communication non verbale et ne pas les bousculer ». Parfois aussi, elle chante avec eux et utilise beaucoup le toucher.

La congruence entre ces composantes de la communication (verbale, paraverbale et non-verbale) favorise une communication de qualité, authentique et sincère. « Cela nécessite que le soignant soit conscient de l’état émotionnel dans lequel il est », ajoute Pascale Wanquet-Thibault. Plusieurs outils peuvent aider. Pour Brigitte Greis, participer à un groupe Balint, par exemple (lire l’entretien p. 30), permet de décrypter les enjeux du lien entre soignant et soigné en travaillant sur les situations sensibles. Nadine Frank, quant à elle, utilise l’hypnose. « Au départ, c’est une technique de communication, explique-t-elle. Elle permet de s’adapter rapidement à l’autre pour qu’il se sente mieux et qu’on puisse réaliser le soin. Les infirmières font souvent de l’hypnose sans le savoir. » Cette technique lui permet aussi de « mettre à distance [son] ressenti pour vivre pleinement la relation à l’autre. On réapprend à accepter l’autre tel qu’il est et à réentendre la plainte et sa légitimité. » Quand la communication passe mal (lire l’encadré p. 30), l’hypnose aide l’infirmière à se placer dans une « bulle de sécurité » qui lui permet d’être bien présente et d’échanger avec le patient sans être elle-même, en tant que professionnelle, affectée par son mal-être.

En cas de problème, il peut être utile d’en parler avec le patient, mais « on ne peut travailler que sur sa propre adaptabilité », insiste Pascale Wanquet-Thibault. Selon elle, la communication entre patients et soignants doit être davantage professionnalisée, même si des enseignements sont inclus depuis 2009 dans le nouveau référentiel de formation initiale des infirmières (compétence 6 : communiquer et conduire une relation dans un contexte de soins). « Certaines choses, qui seront utiles pour les moments difficiles, nécessitent d’être apprises », estime la formatrice, notamment les récentes découvertes des neurosciences. « Elles bousculent nos certitudes et ont des impacts directs sur la communication », poursuit-elle. Les neurones-miroirs, par exemple. « Face à quelqu’un qui exprime une émotion, explique-t-elle, notre cerveau est activé de la même façon. C’est important de le savoir, car si un soignant est envahi par l’émotion du patient, il ne peut pas être efficace. Mais il doit être suffisamment sensible à ce que vit le patient pour répondre de manière adéquate. »

(1) Par ailleurs rédactrice en chef de la revue Objectif soins et management.

(2) Lire la chronique du livre paru chez Flammarion et l’interview de Charline dans notre numéro 340 d’octobre.

COMMENT COMMUNIQUEZ-VOUS À DISTANCE ?

Charline : « Je n’utilise que le téléphone, mais j’appelle en numéro caché et ne le donne à personne. Je n’envoie donc jamais de texto. Cela préserve ma vie privée. Je ne décroche jamais chez mes patients. Je n’utilise pas le mail, car je risquerais de passer à côté d’un message important, consultant plus mon téléphone. »

David : « Si je suis en retard, j’envoie un texto, entre deux patients. Si j’ai besoin d’appeler, je le fais entre deux patients, et je ne réponds jamais au téléphone chez eux. Je n’utilise jamais le mail, d’ailleurs je n’ai pas d’adresse professionnelle. »

Leïla : « Mon téléphone est toujours sur vibreur quand je suis chez un patient. Je ne réponds que si c’est un médecin qui me rappelle, car je ne suis jamais sûre de pouvoir le joindre plus tard. J’ai déjà utilisé le mail avec mes patients, pour qu’ils m’envoient une nouvelle prescription. Cela me permet de prévoir le matériel nécessaire. »

2 questions à… Brigitte Greis, Idel et administratrice de la Société médicale Balint

« Transmettre une pulsion de vie »

1 La communication avec les soignants est-elle évoquée lors des séances de groupes Balint ? Souvent. Ce type de groupe, composé de six à dix professionnels de santé et qui se réunit une fois par mois pendant au moins deux ans, échange sur une situation évoquée par un participant, en utilisant la parole libre et la pensée fugitive, une pensée qui capte sans contrainte ce qui se passe. On travaille notamment sur le transfert (ce qui se passe de positif ou de négatif avec une personne en relation) et le contre-transfert (la réaction du soignant à ces émotions). Les animateurs (deux leaders accrédités par la Société médicale Balint, souvent un généraliste et un psychanalyste ou psychiatre) observent ce qui se passe et veillent au respect des uns et des autres. Le cas évoqué peut être anodin, mais inquiéter le professionnel et le gêner dans son travail.

2 En tant qu’Idel, quel bénéfice en tirez-vous dans la communication avec vos patients ?

Cela a considérablement transformé ma pratique et amélioré mon bien-être au travail. Je communique plus facilement avec les patients. Je peux entendre leur parole, sans toujours la comprendre, mais dans la volonté de le faire. De ce fait, je peux leur transmettre une pulsion de vie parla parole, le silence, le rire. Je suis moins épuisée, et je souffre moins quand la communication n’est pas harmonieuse. Les séances de groupes Balint prennent du temps (deux heures), et les infirmières doivent en assumer le coût, mais c’est un soutien très fort.

COMMUNIQUER AVEC UN PATIENT « DIFFICILE »

« Certaines situations sont difficiles à vivre pour les professionnels de santé, souligne Pascale Wanquet-Thibault, cadre de santé et formatrice. L’enjeu réside dans le fait de poursuivre la prise en soin ou pas. On n’est pas obligé de tout subir. » L’arrêt d’une prise en charge est l’outil ultime du soignant, à condition de respecter la continuité des soins. L’Idel Charline confirme : « Il m’est arrivé d’arrêter des soins parce qu’un patient m’insultait. Avec une autre patiente dont la fille était agressive, il a suffi que je dise que j’allais arrêter de venir pour qu’elle se calme. » Certains malades s’excusent, note David, Idel. « On peut effectivement refuser de soigner des patients, mais on fait ce métier pour aider les gens, quels qu’ils soient. Si on passe le relais, c’est qu’ils sont vraiment allés très loin. »

« J’entends leur souffrance »

Toutes les infirmières ont aussi croisé un patient qui ne supporte pas le moindre retard. Il ne faut pas oublier que les situations que vivent les patients peuvent impacter leur communication. « Certains ont connu de mauvaises expériences avec le monde du soin », observe Charline. Pour d’autres, en fin de vie, la présence même du soignant incarne l’imminence de la mort. « Je leur disque j’entends leur souffrance et que je ne leur en veux pas. » Face à un patient jamais satisfait, certains utilisent l’humour. Nadine Frank entre parfois dans leur jeu (« ah oui, en effet, je pourrais faire autrement »), pour ne pas s’épuiser et faire en sorte que le soin soit le plus agréable possible. Ses formations en hypnose l’ont aidée. Certains soignants auront plus de mal à supporter tel « type » de patients. « C’est important d’identifier ce qui est difficile pour soi », insiste Pascale Wanquet-Thibault. Le patient tatillon, celui qui râle ou fait peur rappelle-t-il quelqu’un de particulier ou une situation douloureuse au soignant ? « Tenter de comprendre ce qui se passe, ça change tout », souligne Brigitte Greis.

VOS ASTUCES POUR FAIRE « RESET »

Leïla : « Je prends sur moi. Dans ma voiture, je mets de la musique ou j’appelle une collègue libérale. Chez le patient suivant, je fais comme si de rien n’était, mais certains sentent que je suis bouleversée. »

Charline : « Je pousse un grand cri dans ma voiture. Et puis j’écoute de la musique, même une minute ou une minute et demie. »

David : « J’appelle ma collègue et on discute de ce qui ne va pas. Elle sait exactement de quoi je parle. Avec mes proches, ce n’est pas la même chose. »

L’avis de Pascale Wanquet-Thibault, formatrice : « En formation, beaucoup d’infirmières disent qu’elles prennent sur elles. Elles accumulent, parfois jusqu’à ne plus pouvoir faire face alors qu’elles pourraient respirer profondément, écouter de la musique entre deux patients, faire quelques points de tricot… La première chose à faire, c’est de travailler sur la conscience de son état émotionnel. La respiration consciente permet de l’améliorer, c’est prouvé par IRM, et de se remettre dans de bonnes dispositions psychiques. On peut la pratiquer chez le patient pour se placer en retrait. »

Valérie Villieu, infirmière libérale à Paris et auteure*

« Ramener les patients Alzheimer vers la rive de la réalité »

« Je considère toujours les patients avec des troubles neurodégénératifs comme des personnes à part entière, avec leur propre personnalité.

Je m’adapte au mode de communication de chacun. C’est un peu un travail d’équilibriste, mais j’essaie de les maintenir dans un lien adulte, sans les infantiliser. Cela demande patience, diplomatie et répétition.

On a aussi beaucoup d’idées préconçues. Avec une patiente, j’évoquais le coût de la vie en francs, car je pensais qu’elle comprendrait mieux. “Il va falloir vous mettre à l’euro !”, m’a-t-elle dit. J’utilise l’humour et je n’alimente jamais les propos qui relèvent de leurs troubles ; je ne les rectifie pas toujours s’ils ne les mettent pas en danger. Quand une dame de 101 ans a absolument voulu aller voir sa mère, j’ai été obligée de l’amener à réaliser qu’elle n’était plus en vie. Elle a pleuré.

C’est difficile à vivre, mais il est parfois nécessaire de ramener ces patients vers la rive de la réalité. Quand ils sont en crise, je m’assois avec eux et on parle. Il y a énormément d’angoisse dans ces situations où ils ne reconnaissent plus leurs proches ou ne savent plus où il sont. J’essaie de leur faire formuler ces angoisses, de les rassurer, de leur donner des repères par une parole, une photo… L’empathie est le maître mot de notre métier. »

* Little Joséphine, avec Raphaël Sarfati (illustr.), La Boîte à bulles, 2012.