Cahier de formation
Savoir faire
Parfois sollicitées pour effectuer une chimiothérapie à domicile, les Idels interviennent le plus souvent pour réaliser des soins de support visant notamment à prendre en charge les effets secondaires des traitements, comme les problèmes digestifs, les affections cutanées, la dénutrition… Au-delà des soins techniques, elles jouent un rôle clé dans l’accompagnement psychologique des patients atteints de cancers de mauvais pronostic à court ou moyen terme.
Le rôle principal de l’Idel est d’accueillir les réactions psychologiques négatives susceptibles d’apparaître avec la révélation du diagnostic : inquiétude, angoisse, voire effroi ou sidération. Il s’agit d’une première étape importante, où elle ne doit pas chercher à rassurer à tout prix, mais plutôt accompagner du mieux possible.
Il ne s’agit pas de minimiser la situation, car la réalité médicale s’impose à tout le monde, aussi bien au patient et à ses proches qu’aux soignants. Face à un cancer pancréatique avancé, chacun d’eux est confronté à une situation d’impuissance. La révélation du diagnostic est une nouvelle dramatique, un événement qui bouleverse l’équilibre de vie du patient et de ses proches.
Cela justifie que le patient puisse passer par un état initial de désorganisation psychique tout à fait légitime. Cette première phase où il évoque des émotions négatives peut être considérée comme normale. Elle signe le fait que le patient a bien compris les informations transmises par le médecin et les intègre au fur et à mesure de leur délivrance par l’oncologue. Ainsi, l’Idel accompagne ce mouvement. C’est un rôle qui lui revient.
Même si les Idels ne s’en rendent pas compte, cette phase peut avoir une dimension particulièrement thérapeutique. Le fait qu’un soignant puisse se rendre disponible, interagir ou tout simplement écouter ce que le patient ressent, constitue un moment important. Cette étape est l’occasion pour le patient de s’exprimer librement. Certains parlent beaucoup, alors que d’autres se mettent en retrait, voire traversent une forme de paralysie émotionnelle momentanée.
Dans tous les cas, l’Idel doit être présente, avoir ce rôle d’écoute active pour essayer d’appréhender où en est le patient et éventuellement lui suggérer d’en dire un peu plus, en le sollicitant avec des questions très ouvertes. L’Idel aide ainsi le patient à accepter ce moment, tout en lui montrant qu’il n’est pas seul.
Quand une Idel est sollicitée, cela signifie que le diagnostic est assorti d’une proposition de soins, avec chirurgie ou/et chimiothérapie. Sinon, l’Idel intervient dans le cadre de soins palliatifs (voir le cahier de formation de notre n° 341).
Tout d’abord, la question est de savoir si le patient a eu une discussion avec l’oncologue ou le chirurgien, et s’il a bien compris le type de traitement proposé. Quelle est son attitude ? Comment se positionne-t-il par rapport aux soins ? Comment se représente-t-il sa maladie ? Il est important que le patient s’informe au maximum de la situation dans laquelle il se trouve et du type de traitement auquel il peut prétendre.
Certains patients cherchent des informations sur Internet. C’est un réflexe pour nombre d’entre eux. Néanmoins, les résultats leur font parfois si peur qu’ils interrompent souvent d’eux-mêmes cette exploration. Le rôle de l’Idel est de suggérer au patient de confronter les informations générales qu’il a glanées sur les sites Internet avec celles délivrées par son oncologue. Le médecin pourra ensuite lui en parler de manière beaucoup plus personnalisée. Mais les patients ne vont pas tous sur Internet. Certains font confiance à leur médecin, d’autres encore, pour essayer de mettre à distance la maladie, ne veulent rien savoir. On ne peut considérer qu’il y ait une seule solution, une seule stratégie : aller chercher de l’information ou pas. L’objectif principal est que le patient se sente en confiance avec l’équipe médicale. Différents chemins sont possibles, et l’Idel peut aider le patient à construire cette relation de confiance.
L’Idel évalue aussi comment les symptômes de détresse évoluent avec le temps. Si elle repère un patient très abattu, désespéré, dans le découragement, avec des idées noires, ou qui refuse les médicaments car il sait qu’il est condamné, son rôle est d’évoquer le recours possible à un psychiatre ou un psychologue.
« Pour ma part, j’oriente tous les patients vers le psychologue, car l’annonce de cette tumeur est toujours très déstabilisante. Un traitement de cancer du pancréas ne peut être une période neutre pour la famille et le patient. C’est un combat de tous les instants », rapporte le Pr Pascal Hammel. C’est pourquoi la parole peut aider à libérer une tension désagréable et ainsi rassurer le patient. Ce dernier a également la possibilité de confier des inquiétudes qu’il n’a pas envie de communiquer à ses proches ou au médecin. Ainsi, les entretiens avec une psychologue peuvent améliorer l’observance aux chimiothérapies. Ils peuvent aussi être proposés aux proches pour surmonter l’annonce du diagnostic, la peur de l’avenir, les perturbations engendrées par la maladie.
Parfois, le patient est sidéré par l’annonce du diagnostic. C’est alors le proche qui va chercher des informations. Cette quête est-t-elle bénéfique ? Est-elle anxiogène ? Un proche qui s’est beaucoup renseigné mais qui cherche à protéger le patient peut lui-même être fortement angoissé. Il faut considérer cette situation, une nouvelle fois, en se demandant ce qui aide le patient. Il arrive aussi que les besoins d’information du patient et des proches soient très différents, ces derniers étant souvent dans une démarche de recherche de solutions.
Pour les professionnels de santé aussi, et notamment les infirmières libérales (lire les encadrés en page précédente), la prise en charge peut être difficile sur le plan émotionnel et susciter de l’épuisement.
Mme A., 75 ans, est considérée comme une femme très dynamique. Elle a appris récemment qu’elle était atteinte d’une tumeur pancréatique. Une splénopancréatectomie caudale lui a été proposée, associée à une chimiothérapie. La chimiothérapie sera effectuée à son domicile. Elle vous a sollicitée pour poser la perfusion et administrer les médicaments. Le regard vide, atterrée, elle se sent démunie. Elle sait qu’elle est atteinte d’une maladie très grave et vous fait part de son désarroi.
N’essayez pas de rassurer Mme A. à tout prix et de trouver immédiatement des solutions pour l’empêcher d’avoir des idées noires. Lors des premières rencontres, vous prenez du temps pour écouter et légitimer sa souffrance psychologique avant le démarrage des soins actifs. Vous la laissez s’exprimer. Puis vous tentez de savoir quelle représentation elle a de sa maladie. Dans son discours, il vous revient de repérer les signes de détresse qui pourraient être pathologiques : idées suicidaires ou délirantes, etc. Vous travaillez en collaboration avec son médecin traitant et/ou son oncologue.
Marie-Claude Daydé, Idel à Toulouse (Haute-Garonne), membre de notre comité scientifique, auteur de Soins palliatifs à domicile. Repères pour la pratique, Édition Le Coudrier, 2014
« Actuellement, des groupes de parole animés par des psychologues sont proposés à l’hôpital, en soins palliatifs et en oncologie notamment. Mais pour les Idels, il y a peu de ressources proposées en prévention de l’épuisement, hormis dans le cadre des réseaux de santé. Pour autant, elles peuvent vivre au quotidien des expériences difficiles et multiples : personnes âgées, sujets en grande précarité, patients en fin de vie… D’où l’importance, pour l’Idel, de travailler en équipe. En cabinet, il peut y avoir partage d’expérience dans un groupe de débriefing : cela aide pour prendre de la distance émotionnelle. Dans les situations complexes, l’idéal est de travailler à plusieurs pour pouvoir passer le relais et, ainsi, éviter l’épuisement. Le cas échéant, dans une démarche personnelle, l’Idel peut trouver un soutien en consultant un psychologue. »
Christelle G., ancienne Idel dans le Cantal
« Durant un an et demi, je suis intervenue auprès de Mme I., 65 ans, atteinte d’un cancer pancréatique. Les soins que je devais réaliser consistaient notamment à mettre en place la perfusion pour la nutrition parentérale. Elle souffrait énormément de douleurs dans le dos. À sa demande, je lui faisais des massages pour la soulager. L’expérience a été très éprouvante. Au fil des rencontres, des liens affectifs se sont tissés. Je me suis attachée à elle, son époux, ses enfants. Je l’ai accompagnée jusqu’aux obsèques. La commémoration à l’église m’a particulièrement touchée. J’ai moi-même perdu mon père d’un cancer du pancréas. Cette expérience m’a renvoyée à mon histoire, elle m’a bouleversée. Peu de temps après, j’ai décidé d’arrêter de travailler en libéral et de passer un concours de l’Éducation nationale. »
Cet item s’appuie en grande partie sur un entretien avec le Dr Sylvie Dolbeault, psychiatre, chef du pôle psycho-oncologie et social, département de soins de support, Institut Curie, Paris.