En libéral, la séparation entre les temps professionnel et privé peut êtreassez ténue. C’est le roulement qui la définit en répartissant travail et repos. Son organisation constitue donc un enjeu, souvent le reflet (ou la cause) de la nature des relations au sein de l’équipe. En voici quelques exemples.
« Moi je me suis fait avoir tous les étés ! », confie Geneviève, infirmière libérale. En effet, le roulement, en particulier pour les vacances, les week-ends et le mercredi, représente un enjeu potentiellement conflictuel dans les cabinets. « Entre les malades, les divorces, les enfants qui vont au judo ou à la danse… », comme l’énumère Ève-Marie, Idel, comment faire pour que tous les confrères et consœurs s’y retrouvent et ne soient pas (trop) frustrés ? Un premier pas vers la conciliation est de s’entendre une fois pour toutes sur un roulement fixe où chacun pourra se projeter facilement dans l’année et organiser sa vie privée sans en faire état à ses collègues, quitte à l’aménager par la suite en suivant les besoins ponctuels de chacun. Ainsi, une récente étude de l’Union régionale des professionnels de santé-infirmiers de Provence-Alpes-Côte d’Azur
Les infirmières d’un cabinet n’ont pas de lien hiérarchique entre elles. Le mieux est donc de trouver un accord commun. À l’extrême, une trop grande autorité dans la définition du roulement pourrait même suggérer un lien de subordination et faire requalifier les contrats de collaboration en « salariat déguisé ». La négociation est donc importante. Pour éviter déceptions ou mauvaises surprises, il est important d’évoquer cette question dès le recrutement des collaborateurs.
Pour mettre au point un roulement, il faut d’abord connaître le nombre de jours de travail pour chaque Idel par mois. C’est d’ailleurs l’un des principaux objets à préciser dans le contrat des collaborateurs. Le plus simple est donc d’y exprimer le nombre de jours travaillés, en le formulant par mois et par an, pour ne pas se trouver coincé dans une organisation trop rigide (si le roulement évolue parfois d’un mois à l’autre par exemple). Le nombre de week-ends par mois peut être aussi fixé lors de la signature du contrat. Ensuite, par déduction, le nombre de jours des titulaires est le nombre de jours total par mois ou par an, moins le nombre de jours des collaborateurs.
Tout de suite après, doivent être exprimés les besoins et les préférences de chacun. Chaque type de roulement a ses avantages et ses inconvénients. Certaines Idels préféreront le confort d’avoir des jours de repos fixes pour prendre des rendez-vous à l’avance, quand d’autres trouveront que cette organisation rend les semaines identiques et monotones. « Ma collègue, qui prend de la bouteille, a le dos en miettes. Du coup, deux jours, ça va, mais quand il faut faire trois jours à la suite tous les quinze jours, elle déguste, car nous avons de gros nursings qui sont pénibles pour elle », rapporte Virginie, Idel dans le Pas-de-Calais. À l’inverse, Charline
Au moment de formaliser l’organisation du roulement, une question s’impose : sera-t-il ce que l’on pourrait appeler “à jour (de travail ou de repos) fixe” 1 (une telle travaille « tous les jeudis », par exemple) ou “à jour (de travail ou de repos) variable” (on parle par exemple de roulement grande semaine/petite semaine 2 ou du fameux roulement semaine complète, soit sept jours consécutifs 3 ou 4) ? Virginie a opté pour le roulement “à jour variable”. « Nous sommes un petit cabinet en milieu rural, et nous bossons à deux sur un roulement petite semaine/grande semaine, ce qui nous donne un week-end sur deux. Nous faisons appel à une remplaçante quand l’une ou l’autre veut souffler un peu. » On pourrait croire que le roulement “à jour fixe” est le plus confortable pour prendre des rendez-vous, puisque chacun sait quel jour il sera systématiquement disponible. Charline, qui fonctionne selon un roulement semaine complète, pense l’inverse. « Pour mes rendez-vous, c’est hypersimple : je les prends sur les semaines paires. Je peux ainsi les programmer des mois à l’avance ! »
Pour le commun des mortels, le week-end commence le vendredi soir et se termine le lundi matin. Pour les infirmières libérales, ce n’est pas si simple. Quand on travaille une semaine complète, vaut-il mieux commencer ou finir par un week-end ? Tout dépend par exemple si le week-end est plus ou moins “tranquille” que la semaine. De même, pour celui qui travaille le lendemain, l’appel pour les transmissions ne risque-t-il pas de franchement gâcher le dimanche ? Dans ce cas, il est possible de décaler les jours de début et de fin de roulement. Avec un roulement semaine complète, on peut décaler le début de la semaine de travail au samedi matin 4. « Chez nous, les week-ends ne sont pas cools du tout, donc ça ne changerait rien de finir par un dimanche, expose Charline. Mon collègue et moi faisons les transmissions au cabinet le vendredi vers 15 heures, pendant deux heures. Ce serait impossible de le faire un autre jour, du coup. De plus, on bosse déjà un week-end sur deux. Donc le week-end, c’est sacré et on ne veut pas saboter notre dimanche. » En pratique, il est donc souvent plus simple de commencer par définir les fins de semaine, puis de construire le reste du roulement autour.
Pour alléger une tournée trop lourde sur une journée et/ou prendre en charge plus de patients, il est aussi possible de dissocier les tournées du matin et du soir. En effet, être en coupure (travailler le matin, rentrer chez soi, puis à nouveau travailler le soir) rajoute parfois à la fatigue. « Le seul problème, c’est la fatigue accumulée. La coupure lors des grosses journées, ça nous scie les pattes ! », témoigne Virginie. Mais attention, si la personne qui fait la tournée du soir n’est pas la même que celle du matin, cela mobilise deux personnes par jour, la charge de travail n’est pas la même et la durée sans repos peut être difficile à tenir.
Une autre solution, pour les Idels qui réalisent deux tournées dans le même cabinet le matin, est de fusionner uniquement les tournées du soir. Dans un cabinet de trois Idels, cela permet à l’une d’entre elles de faire une journée complète, à une deuxième de faire la seule tournée du matin et à la troisième, d’être de repos. À l’image de ce roulement réalisé entre trois consœurs partageant deux tournées du matin et une du soir, en quantités égales de jours 5.
Pour créer un roulement, le plus simple consiste souvent à prévoir un nombre de jours travaillés par séquences de quatre semaines, car c’est le seul nombre qui permet de diviser les 52 semaines de l’année en un chiffre rond et donc de retomber sur ses pieds annuellement. Il faut en revanche bien se souvenir que c’est un roulement qui se reproduira treize fois dans l’année, et non douze !
Si le roulement sur quatre semaines est impossible, une solution, par exemple pour un cabinet de trois infirmières 6, est de partir de la périodicité la plus longue entre deux week-ends travaillés. Ainsi, si une infirmière travaille tous les quatre week-ends, le point de départ du calcul est une durée de quatre semaines. Ensuite, il s’agit d’attribuer les trois autres week-ends du mois aux deux autres infirmières du cabinet. Pour s’y retrouver, un deuxième mois est donc nécessaire. En effet, sur deux mois, ces deux autres Idels travailleront autant de week-ends chacune, soit deux week-ends en moyenne.
Imaginons un cabinet de cinq infirmières, dont quatre titulaires réparties en deux binômes sur une tournée chacun, et une cinquième Idel, la collaboratrice, qui passe d’une tournée à l’autre régulièrement.
L’équipe 1 veut un roulement “à jour fixe”, la collaboratrice assurant un week-end par mois 7.
L’équipe 2 préfère un roulement “à jour variable”, la collaboratrice travaillant quatre jours et un week-end toutes les quatre semaines (les binômes laissent à la collaboratrice la possibilité d’être libre le vendredi pour participer à l’autre tournée) 8.
Le roulement des vacances doit s’établir en concertation, en prenant en compte les souhaits de chacun (vacances en juillet, août ou septembre…) et l’historique de l’année précédente (il est d’ailleurs conseillé de garder ses roulements au minimum deux ans). Une fois encore, c’est le nombre de jours annuels (précisé « vacances comprises » ou pas) et un bon sens du dialogue qui permettront de vérifier que personne n’est lésé et que chacun a bien respecté son contrat. Une des règles importantes est de donner à chaque infirmière du cabinet la possibilité d’exprimer ses souhaits librement avant de commencer la négociation. Sans cela, le cabinet prend le risque que celles qui ne sont pas à l’aise à l’oral ou n’osent pas donner leur avis aient systématiquement un roulement qui ne les arrange pas et perdent patience.
Le roulement est un tel reflet de la vie personnelle que beaucoup d’infirmières ont l’impression d’être mariées à leurs collègues. Certains ont trouvé la solution en travaillant en couple… C’est le cas de Morgan Nieto (lire l’encadré ci-dessus) qui exerce avec sa femme « et une remplaçante de temps en temps quand même… ». Au risque de ne jamais débaucher alors ? « Même pas. Quand on rentre le soir, on parle du travail cinq minutes et on passe à autre chose. On a bien d’autres sujets plus intéressants dans notre vie de famille ! »
Le roulement est donc avant tout un accord entre plusieurs personnes et peut prendre, au final, des formes extrêmement variées. La seule constante est qu’il doit convenir à tout le monde.
(1) “Condition d’exercice des infirmiers libéraux en PACA”, étude réalisée en ligne de février à septembre 2017 (286 Idels y ont répondu).
(2) Charline est l’auteur du livre Bonjour, c’est l’infirmière, publié chez Flammarion, dans lequel elle décrit une de ses semaines de travail (chronique et interview à lire dans notre magazine n° 340 d’octobre).
Morgan Nieto, installé en libéral depuis 2014, a constaté que gérer les disponibilités des remplaçants habituels pouvait parfois tourner au casse-tête. Il a donc eu l’idée de partager en ligne ses roulements pour que chacun sache quand il a des besoins et à quelles dates les remplaçants sont disponibles. Autre invention : tous ceux qui suivent un roulement sont prévenus par e-mail lorsqu’une modification intervient et peuvent immédiatement en prendre connaissance – fini donc les roulements illisibles à force de réécrire et de gommer. Le site est gratuit et propose aussi d’éditer, pour de petites périodes, des contrats de remplacement standard réalisés par l’Ordre national des infirmiers ainsi que des petites annonces et un forum. Morgan améliore son site en continu grâce aux retours des utilisateurs et espère bientôt le financer avec de la publicité, « au moins pour rembourser les frais d’hébergement du site, je ne compte pas dessus pour vivre ! ».
Atypique, l’organisation du travail en libéral peut être assimilée au « travail posté », défini par une directive européenne du 4 novembre 2003 comme un « mode d’organisation du travail en équipe selon lequel des travailleurs sont occupés successivement sur les mêmes postes de travail, selon un certain rythme, y compris rotatif, de type continu ou discontinu, entraînant, pour les travailleurs, la nécessité d’accomplir un travail à des heures différentes sur une période donnée de jours ou de semaines ». Ce type d’organisation en équipes successives alternantes brouille les rythmes habituels du corps humain. Selon la chronobiologie, étude de l’impact des rythmes (jour/nuit, travail/repos, etc.) sur la santé humaine, les travailleurs « postés »sont sujets à la fatigue, aux troubles du sommeil et de la vigilance, un risque accidentel accru, des troubles gastro-intestinaux, un risque cardiovasculaire plus élevé, un déséquilibre métabolique et endocrinien. Sur son site (lien : bit.ly/2Bf6Z2R), le ministère du Travail suggère des actions qui pourraient aussi s’appliquer au roulement des Idels : privilégier un sens de rotation physiologiquement « naturel » (matin, après-midi, nuit) ; concernant les rythmes d’alternance, prévoir les conditions et délais de prévenance des changements d’horaires ; prévoir un temps consacré à la relève de poste, etc.