En voiture Vincent ! - L'Infirmière Libérale Magazine n° 344 du 01/02/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 344 du 01/02/2018

 

PATRIMOINE

Sur le terrain

Reportage

Jean-Michel Delage*   Hans Lucas**  

L’adjectif “incollable” pourrait sembler galvaudé. Pas dans son cas.Du premier guide touristique des Deux-Sèvres aux anciennes bornes Michelin, en passant par les grands noms de l’industrie du transport locale, l’Idel Vincent Dabin est un spécialiste de l’histoire automobile.

Plus jeune, Vincent, infirmier libéral dans les Deux-Sèvres, aurait pu devenir mécanicien. Une vraie passion pour la chose automobile, née auprès de son père, amateur de “vieilleries” en tout genre. « Il avait restauré une vieille Traction Citroën. À son contact, je suis devenu amateur de voitures anciennes. » Avant d’entrer à l’école d’infirmières, où il rencontrera sa femme Bérangère, devenue elle aussi Idel, Vincent décroche son permis de conduire et achète une… Traction.

Ce qui l’intéresse, c’est plutôt l’histoire de l’automobile. « Je me suis rendu compte qu’il y avait une vraie histoire de l’automobile dans mon département. J’ai commencé à gratter le sujet. Sur mon secteur, j’avais entendu parler de quelques initiatives. Comme cette association, Les Amis d’Ulysse, qui construisait une voiture amphibie. » Une réplique de celle inventée par Ulysse Texier de La Caillerie, né en 1885 à Clessé, dans les Deux-Sèvres. « J’avais un patient qui participait à ce chantier. Du coup, j’ai pu suivre tout le projet. » De fil en aiguille, Vincent Dabin découvre un patrimoine industriel lié au domaine automobile, plus largement au transport en tout genre.

L’épopée Heuliez

Cette passion devient vite une quête. « Avec deux ou trois copains, nous avons créé une association, Deux-Sèvres Auto Mémoire. » Sa vingtaine de membres se donnent pour but de mettre en lumière tout un pan du patrimoine. Une entreprise qui réserve son lot de surprises. « Bien sûr, les vide-greniers et autres brocantes nous permettent d’acquérir des objets et documents rares. » Comme ces guides touristiques des années 1930, édités par des compagnies d’assurances automobiles nées ici et qui, à quelques lettres près, sont toujours présentes en 2018. Leurs sièges se trouvent toujours à Niort, dans les Deux-Sèvres. Les Maaaf, Maaif… ont juste perdu un A, celui d’automobile, et sont devenues des sociétés d’assurance aux compétences élargies.

Dans la collection de l’association, on trouve aussi de vieilles cartes Michelin du département, des affiches ou encore des publicités pour des constructeurs locaux. L’entreprise Heuliez est certainement la plus connue. Pas simplement parce qu’elle a mis la clé sous la porte en 2013 (son nom perdure toutefois grâce à la marque Heuliez Bus). Cette société fondée en 1920 par Henri Heuliez a longtemps été à la pointe de l’industrie automobile française. « C’était un sous-traitant important pour les constructeurs automobiles du monde entier. PSA mais aussi Opel, Volkwagen ou Lamborghini, précise l’infirmier, qui a découvert l’envergure de ce fleuron local en 2005. Heuliez a aussi été le premier à fabriquer, dès 1996, des véhicules électriques français, AX et Saxo Citroën. » C’est aussi de cette usine qu’est sortie la Friendly, concept-car électrique présenté au Salon de l’automobile en 2008.

Tournées en électrique

Dans ces mêmes locaux d’Heuliez, a été conçue la Mia electric. Un véhicule à trois places plutôt original. « Cela m’a séduit. Surtout pour ce côté “circuit-court”. C’était notre première voiture neuve et nous l’avons achetée plutôt pour soutenir l’entreprise que pour le côté “écolo”. Sans doute a-t-elle quand même contribué à changer mon état d’esprit. D’ailleurs, nous avons fait installer, par la suite, des panneaux photovoltaïques sur le toit de notre grange. Notre puits de pétrole ! »

Avec une autonomie de 100 kilomètres, il fallait bien s’organiser pour réaliser les tournées. « On est tombé en panne de batterie plus d’une fois », reconnaît, hilare, Vincent Dabin. Aujourd’hui encore, avec ses 200 000 kilomètres au compteur, la Mia poursuit sa route et les tournées aux mains de Mme Dabin.

De chez Heuliez toujours, l’association possède aussi une maquette de voiture, à l’échelle 1/5e, en plâtre. Un prototype racheté en 2012 peu avant la fermeture de l’entreprise. L’association en possède deux autres, à l’échelle… 1 ! « Si un musée est intéressé, nous les lui donnerons volontiers ! »

Bric-à-brac hétéroclite

Pour l’instant, ce prototype à taille réduite se trouve dans une grange, l’un des lieux où sont entreposés les nombreux objets de la collection. Un bric-à-brac hétéroclite, fait de pièces détachées, d’une gouache d’un designer dans les années 70, quelques enseignes, un capot… Mais l’une des pièces-maîtresses reste cette voiture de la marque Sovam (également née dans les Deux-Sèvres), qui trône dans le garage. « Ce véhicule a récemment été exposé au Salon international de Munich, raconte fièrement l’infirmier-collectionneur d’histoires. La Sovam, Société des véhicules André Morin, créée en 1964, qui ne fabrique plus de voitures depuis longtemps, a été reprise cet automne par un groupe irlandais, Abbey International. C’est aujourd’hui une entreprise spécialisée dans l’équipement aéroportuaire. » De la route au tarmac…

Et du tarmac au sous-sol… Même la terre des Deux-Sèvres a un lien avec le monde des transports. « Savez-vous, demande ainsi Vincent, que les routes du grand-Ouest, mais aussi les voies ferrées (comme la LGV, ligne à grande vitesse), ont été empierrées avec des minerais, de la durite et du porphyre extraits des carrières du Thouarsais, dans le département ? » Quand il sillonne les routes, hors tournées professionnelles, Vincent n’hésite pas à prendre les itinéraires bis, les petites routes secondaires. Un œil sur la route et l’autre qui explore l’environnement. A la recherche de trésors : un vieux panneau indicateur de direction, une borne Michelin d’époque… « Je suis très attentif. Ce sont des témoins de nos routes. Je trouve même des plaques de cochers, encore plus anciennes. » Un mobilier qui tend à disparaître.

« Borne out »

Ces objets fabriqués en Auvergne avec de la pierre de lave ont depuis longtemps été remplacés par des signalétiques en ferraille ou en plastique… « Certaines communes en ont gardé par nostalgie mais la plupart ont été détruites. Parfois, on tombe sur un de ces spécimens ! Ces objets n’appartiennent à personne, c’est un bien public. » Alors l’association a lancé l’opération « Borne out ». Elle contacte les maires des communes où se trouvent ces vestiges d’un temps révolu. « Nous leur proposons de rénover le chapeau de la borne. Nous en avons déjà refait sept ou huit. Il en reste une cinquantaine sur tout le département. »

Mais c’est aussi parfois en tant qu’Idel que Vincent Dabin fait des découvertes étonnantes. Connu comme le loup blanc pour sa passion, il a eu l’occasion, à travers sa profession, de rencontrer des acteurs de l’industrie du transport. De formidables sources de documentation. « Comme ce monsieur créateur des caravanes Noirault qui nous a offert les archives de l’entreprise ! »

Un pur produit local

Vincent Dabin et ses copains de l’association aimeraient pouvoir compiler toutes leurs trouvailles dans un ouvrage. « Pour raconter notre département à travers ces richesses singulières. Partager notre patrimoine. »

Et tous les objets récupérés pendant des années, quand il n’y aura plus de place dans les maisons de ces quelques passionnés, ils aimeraient les déposer aux Archives départementales.

Le département, on y revient toujours, avec l’association de Vincent, dont la devise est « Laissez-vous transporter par les Deux-Sèvres »…Comme avec le parcours de Vincent lui-même, un pur produit régional…

Diplômé en 1987, il a d’abord travaillé en intérim. Puis à l’hôpital général de Parthenay. Sa femme et lui s’installent en libéral en 1988, chacun dans un secteur différent, avant, vingt ans plus tard, de travailler ensemble. Aujourd’hui, ils partagent un cabinet avec trois autres infirmiers. Les voilà au centre du département, près du village de Pougne-Hérisson, « le nombril du monde », rendu fameux par le comédien et raconteur d’histoires Yannick Jaulin.

Là, dans ce pays, la tournée de Vincent Dabin a quelque chose de bucolique. En cette matinée hivernale, froide et ensoleillée, où il nous a accueillis, il sillonnait une région vallonnée et bocagère située dans le nord des Deux-Sèvres, la Gâtine poitevine, « le pays gâté ».

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L’association de Vincent a un site Internet : deuxsevresautomemoire.wordpress.com.