L'infirmière Libérale Magazine n° 344 du 01/02/2018

 

COMPÉRAGE

Actualité

Sandra Mignot  

Dans l’Eure-et-Loir, un collectif d’une trentaine d’Idels a fait plier un service d’aide à domicile qui menaçait, selon elles, de marcher sur leurs plate bandes en créant un « centre de soins infirmiers ».

« Nous n’y croyions pas, s’enthousiasme Bernadette Rimbault, infirmière libérale à Châteaudun, dans l’Eure-et-Loir, après la condamnation d’une structure de soins de son secteur pour compérage. On ne pensait pas qu’on y arriverait, car nous pensions qu’ils avaient, en tant que structure, des droits de démarchage que nous, Idels, n’avions pas. » Avec une trentaine de confrères, cette professionnelle a appris avec soulagement la condamnation, publiée le 8 novembre dernier, par le tribunal de grand instance (TGI) de Chartres de l’association Service d’aide à domicile Schweitzer (SADS) de Châteaudun pour des pratiques de compérage.

« Pas de besoin en soins non pourvu »

L’affaire débute à l’été 2016, lorsque le SADS décide de créer un “centre de soins infirmiers”. « Ils sont venus nous en informer, indique Bernadette Rimbault. La création de cette activité semblait être une question de vie ou de mort pour leur association. Le problème, c’est qu’il n’y avait pas, à nos yeux, de besoin non pourvu à Châteaudun, sauf éventuellement pour des soins non remboursés ou très mal. »

À l’époque, les Idels apprennent également par leur réseau professionnel que l’infirmière recrutée pour coordonner le nouveau service démarche les établissements de soins pour présenter son nouveau service.

Inquiètes, elles se réunissent et interpellent leurs confrères exerçant dans le Pays Dunois, une cinquantaine de communes autour de leur secteur. « L’association SADS salarie 700 à 800 auxiliaires de vie. Vous imaginez, si toutes font passer le mot à leur réseau ? Les infirmiers ont eu peur », souligne Arnaud de Lavaur, l’avocat parisien qui s’est chargé de défendre les Idels.

Des courriers individuels

C’est l’un des Idels qui a contacté son syndicat et mis le collectif d’une trentaine de soignants en contact avec ce professionnel du droit. Celui-ci distingue rapidement des pratiques relevant du compérage ou de la publicité dans le dossier. « Il y aurait même eu des distributions de tracts dans les supermarchés », assure Arnaud de Lavaur.

Dans le jugement rendu, on apprend également que l’association a contacté, par courrier, chacune des personnes déjà prises en charge au titre de l’aide à domicile pour lui indiquer la création de son service de soins infirmiers, joignable au même numéro de téléphone que le service d’aide à domicile. Or, « en joignant individuellement chacun des bénéficiaires pour lui proposer indirectement, mais nécessairement, de faire appel à son service de soins infirmiers en cas de besoin, l’association s’est rendue coupable d’actes de compérage », a statué le TGI de Chartres.

Dans l’immédiat, les Idels de ce territoire ne semblent pas avoir perdu de patients. Ce qui justifie que le jugement n’ait pas donné droit à la demande de dommages et intérêts du collectif. Mais l’association a été condamnée à créer une ligne téléphonique séparée pour son centre de soins à domicile (sous astreinte de 50 € par jour de retard), à verser 80 € à chacune des Idels plaignantes, et à régler les dépens afférents à l’action en justice.

Après avoir indiqué à nos confrères de L’Écho Républicain qu’il réfléchissait à faire appel de ce jugement, le SADS de Châteaudun s’est avéré injoignable par téléphone. Aucune nouvelle ligne téléphonique ne semble avoir été créée, deux mois et demi après la publication du jugement. La coordinatrice de son service de soins fait également l’objet d’une procédure disciplinaire pendante devant le conseil départemental de l’Ordre des infirmiers. Celui-ci n’a pas souhaité commenté l’affaire qu’elle considère comme toujours en cours.

D’autres affaires similaires

« Ce jugement est important », se réjouit Arnaud de Lavaur, qui a engagé d’autres procédures similaires dans différentes régions de France et espère qu’il fera jurisprudence. Car les Idels n’en peuvent plus de voir qu’elles sont contraintes par des règles de déontologie alors que de grosses structures de soins à domicile en font fi. »

L’avocat est même contacté par des Idels qui disent avoir perdu des patients en abandonnant une collaboration avec l’hospitalisation à domicile. « Mais ce sont pour l’heure des affaires embryonnaires pour lesquelles il faut réunir plusieurs plaignants afin de pouvoir espérer aboutir… », conclut l’avocat.