L'infirmière Libérale Magazine n° 344 du 01/02/2018

 

Cahier de formation

Savoir

Le « circuit de la récompense », responsable des sensations de plaisir et de satisfaction, s’est développé, dans un premier temps, pour « récompenser » et favoriser les activités indispensables à la survie de l’individu et de l’espèce. C’est le même circuit neuronal qui gouverne le phénomène de l’addiction.

DÉPENDANCE ET SEVRAGE

Le syndrome de sevrage est une caractéristique essentielle d’un syndrome de dépendance.

Le syndrome de dépendance

La première caractéristique du syndrome de dépendance est un fort désir, parfois compulsif, de consommer une substance psychoactive, comme un médicament, y compris sur prescription. C’est la dépendance psychique. Le syndrome de sevrage, de son côté, se rapporte à la dépendance physique, dont il est un des principaux critères avec la tolérance, c’est-à-dire le besoin d’augmenter les doses de la substance pour maintenir l’effet recherché.

Le syndrome de sevrage

Le sevrage à une substance psychoactive se définit comme l’arrêt de sa consommation. Il peut s’accompagner d’un ensemble de symptômes, appelé « syndrome de sevrage », caractéristiques d’un état de manque. Ces symptômes de gravité variable surviennent lors de l’arrêt ou de la diminution des doses d’une substance psychoactive consommée régulièrement. La survenue et l’évolution du syndrome de sevrage sont limitées dans le temps et dépendent de plusieurs facteurs, notamment de la nature du produit et de sa dose.

ÉLÉMENTS DE NEUROBIOLOGIE

L’action centrale de la dopamine

La dopamine est au centre de la mise en place d’une dépendance. Toutes les substances addictives agissent sur les mêmes réseaux de neurones du système nerveux central, les neurones dopaminergiques, qui synthétisent la dopamine et l’utilisent comme neurotransmetteur. L’effet est une augmentation du taux de dopamine libérée dans certaines parties du cerveau, associée à une sensation subjective de plaisir. Un « processus de récompense » par lequel la dopamine intervient dans de nombreuses fonctions essentielles, comme la motricité, l’attention, la motivation, l’apprentissage et la mémorisation.

Le circuit de la récompense

Le « circuit de la récompense » correspond à un réseau de connexions entre les neurones de deux aires cérébrales : l’aire tegmentale ventrale et le noyau accumbens (voir le schéma p.35). Ce circuit, responsable des sensations de plaisir et de satisfaction, s’est développé dans un premier temps pour « récompenser » et favoriser les activités fondamentales pour la survie de l’individu et de l’espèce, comme se nourrir, s’hydrater, se reproduire. La « récompense » obtenue par le fait de se nourrir a poussé l’homme à trouver des aliments à même de satisfaire ce besoin. Ce circuit s’est ensuite étendu pour récompenser la répétition des diverses expériences plaisantes acquises au cours de la vie. Ces sensations agréables se manifestent au niveau neurologique par une augmentation de dopamine, principal neurotransmetteur émis dans ce circuit. Par leur action sur les neurones dopaminergiques, les substances psychoactives stimulent ces connexions normalement activées par des signaux naturels, généralement de façon beaucoup plus forte que les stimuli naturels. Ce qui expliquerait, dans le cas d’une addiction, que la personne cherche à consommer la drogue à nouveau pour rechercher des sensations au détriment d’autres sources de plaisir.

Les renforcements de l’addiction

Un renforcement positif

Le renforcement positif de la dépendance est lié au plaisir éprouvé lors de la consommation de la substance. Un renforcement accru avec les médicaments à courte durée d’action. Plus les durées d’action sont courtes, plus les produits sont addictogènes. Ils provoquent une stimulation neurobiologique importante de la dopamine, dont le taux de concentration est éliminé rapidement. Leur consommation provoque « des hauts et des bas », des effets de pics qui incitent à consommer rapidement à nouveau pour éviter les effets rapides du manque. Les médicaments à durée d’action plus longue augmentent le taux de dopamine plus lentement, avec des effets de pics minimes.

Un renforcement négatif

Le maintien de la consommation, qui permet d’éviter les symptômes désagréables du sevrage, est un renforcement négatif de l’addiction. Ce dernier peut être à l’origine du maintien d’une consommation, parfois « involontaire », chez une personne qui, ayant pris l’habitude de consommer un médicament prescrit, ne peut plus s’en passer, sous peine de souffir. Par exemple, dans le cas d’une douleur aiguë traitée par des antalgiques opioïdes - qui ont un fort potentiel d’addiction -, plus ou moins rapidement, de façon insidieuse, le patient ressentira le besoin de continuer à prendre ce médicament, non plus pour soulager la douleur initiale, mais pour éviter le mal-être ressenti à cause du manque.

Les autres neurotransmetteurs

D’autres neurotransmetteurs et neuromodulateurs sont impliqués dans la mise en place des processus de dépendance, notamment l’acide gamma-aminobutyrique (GABA), le glutamate, la sérotonine et la noradrénaline.

LA PHARMACO-DÉPENDANCE

L’addiction médicamenteuse

Concernant la dépendance à des médicaments, l’appellation « addiction médicamenteuse » est couramment employée, mais c’est le terme « pharmacodépendance » qui est retenu par le Code de la santé publique, cette notion étant appliquée aux « substances ou plantes ayant un effet psychoactif, ainsi qu’aux médicaments ou autres produits en contenant, à l’exclusion de l’alcool éthylique et du tabac ». L’explication la plus simple est donnée par le comité d’experts de la pharmacodépendance de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), soit « un état dans lequel l’individu a besoin de doses répétées du médicament pour se sentir bien ou pour éviter de se sentir mal »(1). Ce type de dépendance peut mener à une automédication à des doses importantes, qui produisent des modifications physiques ou comportementales et entraînent des risques graves, par exemple une augmentation hautement significative du risque d’accident chez les conducteurs exposés aux benzodiazépines (2). Ce qui en fait un problème de santé publique.

La pharmacovigilance

La France s’est dotée d’un dispositif spécifique d’addictovigilance chargé de la surveillance des cas d’abus et de pharmacodépendance liés à la prise de substances psychoactives licites ou illicites, à l’exclusion de l’alcool éthylique et du tabac. Ce système repose sur un réseau de treize centres d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance-addictovigilance (CEIP-A), répartis sur toute la France, qui travaillent en lien avec l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

LES MÉDICAMENTS PSYCHOACTIFS

Tous les médicaments psychoactifs sont susceptibles d’entraîner une pharmacodépendance. C’est le cas notamment des antalgiques opioïdes et des psychotropes.

Les antalgiques opioïdes

Dans le cadre d’un usage thérapeutique contrôlé, les opioïdes utilisés pour soulager la douleur n’entraînent pas ou peu de dépendance. Le problème se pose en cas de consommation maintenue après la disparition de la douleur à soulager. Une telle prise prolongée est susceptible d’affecter certaines zones cérébrales impliquées dans les addictions et d’engendrer alors une pharmacodépendance caractérisée par un syndrome de sevrage lors d’un arrêt brutal de la consommation ou d’une diminution trop rapide des doses (voir Savoir faire, p.44).

Les psychotropes

Les médicaments psychotropes agissent sur l’état du système nerveux central en modifiant certains processus cérébraux. Ces produits sont utilisés dans un cadre thérapeutique, pour leurs propriétés sédatives ou stimulantes, qui améliorent certaines altérations du comportement et de l’affectivité.

Les situations à risque

Les risques de la consommation de psychotropes sont liés en premier lieu à la baisse de vigilance, facilitant la survenue d’accidents, principalement avec les benzodiazépines. Ces risques seraient plus importants en début de traitement, lors de prises occasionnelles, ou en cas d’association avec l’alcool ou d’autres psychotropes. Chez le sujet âgé, la consommation de benzodiazépines est associée à des risques de confusion mentale, de problèmes respiratoires, de myorelaxation, de chutes (fractures) et de troubles de la mémoire.

Plusieurs catégories

Il existe différentes classes de médicaments psychotropes : les anxiolytiques et les hypnotiques (souvent des benzodiazépines), les antidépresseurs, les antipsychotiques (neuroleptiques), les régulateurs de l’humeur (notamment le lithium), les psychostimulants (méthylphénidate et modafinil).

Les benzodiazépines

Lorsqu’elles sont apparues dans les années 1960, les benzodiazépines représentaient un net progrès par rapport aux barbituriques et autres sédatifs apparentés, plus toxiques (risque d’overdose) et associés à un risque important de dépendance. La diazépine (Valium), commercialisée en 1963, reste un des « tranquillisants » les plus utilisés et sert encore de référence. Le risque de dépendance à ces traitements, longtemps considéré comme minime, a été identifié avec leur utilisation (voir Savoir faire, p.38).

Les antidépresseurs

L’ensemble des données de la littérature relève quelques cas de dépendance avec des antidépresseurs de type amphétaminique, comme la tianeptine (Stablon), et très peu chez les patients traités avec les autres classes d’antidépresseurs, dont les inhibiteurs de recapture de la sérotonine et/ou de la noradrénaline (3). La 5e édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) décrit des symptômes de sevrage possibles avec les antidépresseurs après une consommation continue d’au moins un mois. Parmi les symptômes observés lors d’un arrêt brutal ou d’une réduction marquée de la dose : anxiété, sentiment de crainte, nausées, hypersensibilité aux bruits ou aux lumières… Le risque de syndrome de sevrage serait plus important avec les médicaments à action brève arrêtés brusquement, comme la paroxétine (Deroxat). Selon le DSM-5, une interruption brutale du traitement doit être évitée avec tous les antidépresseurs. Les doses de sertraline (Zoloft), par exemple, doivent être réduites progressivement sur au moins une à deux semaines pour éviter ou diminuer les risques de réactions de sevrage. Et la survenue de symptômes intolérables peut faire envisager une reprise de la dose précédant la diminution, pour reprendre une baisse des doses plus progressive par la suite (4).

PRISE EN CHARGE DU SEVRAGE

Dans un premier temps, la prise en charge consiste en une réduction progressive des doses, qui peut être mise en place par le médecin prescripteur (voir Savoir faire, p.38). Les traitements par benzodiazépines sont initiés par des médecins généralistes dans environ 82 % des cas (2). L’adhésion du patient à la stratégie d’arrêt est indispensable. Dans un second temps, si la prise en charge s’avère inefficace, une orientation vers un centre ou un réseau d’addictologie de proximité est justifiée. Lorsque l’addiction médicamenteuse est avérée et associée à d’autres addictions, alcool ou opiacés par exemple, elle est assimilée à une démarche toxicomaniaque qui peut d’emblée relever d’une prise en charge spécialisée.

(1) Comité OMS d’experts de la pharmacodépendance, « OMS, série de rapports techniques, n°915 », 33e rapport, 2003 (lien : bit.ly/2Df4wad).

(2) ANSM, « Étatdes lieux de la consommationdes benzodiazépines en France », avril 2017 (lien : bit.ly/2Dn9DV4).

(3) Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), « Médicaments psychotropes : consommations et pharmacodépendances », octobre 2012 (lien : bit.ly/2B5rBGz).

(4) ANSM, résumé des caractéristiques du produit, juin 2013 (lien : bit.ly/2rfZeGe).

Épidémiologie

Les données de l’addictovigilance

Les centres d’addictovigilance réalisent plusieurs enquêtes pharmaco-épidémiologiques.

1. Abus de médicaments psychoactifs et décès

L’enquête Décès en relation avec l’abus de médicaments et de substances (Drames) recueille et évalue les cas de décès liés à l’usage abusif de substances psychoactives.

Les résultats de 2015 montrent une stabilité des décès directement imputables aux opioïdes licites, qu’il s’agisse de cause toxique seule ou avec pathologie associée. Sur les 343 décès étudiés, la morphine est impliquée dans près de 5 % des cas, suivie par le tramadol, le fentanyl, la pholcodine et la codéine.

2. Décès toxiques par antalgiques (DTA)

L’enquête annuelle DTA recueille et évalue les cas de décès liés à l’usage de médicaments antalgiques. Cette étude a été décidée après le retrait du marché des spécialités contenant du dextropropoxyphène (Di-Antalvic) en 2011, et en raison d’un risque de report vers d’autres antalgiques dont le profil de sécurité d’emploi peut être moins favorable, en particulier le tramadol. Les résultats de 2015 montrent que quatre molécules sont principalement impliquées : le tramadol, dans 34 % des décès, et la morphine, dans 32 %. Ils sont rejoints par la codéine, impliquée dans près d’un quart des décès, suivie de l’oxycodone, avec 10 %.

3. Prescriptions d’antalgiques stupéfiants

Les résultats de l’enquête Antalgiques, stupéfiants et ordonnances sécurisées (ASOS), menée auprès de 1 500 pharmacies d’officine en 2015, montrent que les antalgiques stupéfiants les plus prescrits sont :

- par dénomination commune internationale (DCI) : morphine (37,5 %), oxycodone (32,6 %) et fentanyl (28,7 %) ;

- par spécialité : Durogésic et génériques (24,5 %), Skénan (19,7 %), Oxycontin (17,5 %) et Actiskénan (15,3 %).

Les médecins libéraux représentent 79,3 % des prescripteurs, les hospitaliers, 20,7 %. Dans 80,5 % des cas, le prescripteur est généraliste, dans 19,5 % des cas, c’est un spécialiste.

4. Psychotropes détournés

L’enquête Observation des produits psychotropes illicites ou détournés de leur utilisation médicamenteuse (Oppidum) permet de surveiller l’évolution de la consommation de psychotropes et d’alerter les autorités sanitaires sur les nouvelles pratiques. Les données sont recueillies auprès de patients présentant un abus, une dépendance, ou sous traitement de substitution aux opiacés via des structures spécialisées dans la prise en charge des addictions.

Les résultats de 2015 montrent une diminution de la consommation d’antalgiques opioïdes dans ce contexte (3,8 % en 2013, 4,7 % en 2014 et 4 % en 2015), alors que cette consommation était en progression depuis 2008. Diminution liée principalement à la baisse de la consommation de morphine. Tandis que la consommation de tramadol augmente depuis trois ans.

En 2015, les trois benzodiazépines les plus consommées par ces patients sont l’oxazépam (Seresta), le diazépam (Valium) et la zopiclone (Imovane).

5. Ordonnances suspectes en officines

Depuis 2001, l’enquête Ordonnances suspectes, indicateur d’abus possible (Osiap) contribue à l’évaluation du potentiel d’abus et de dépendance des médicaments grâce au recueil des ordonnances suspectes identifiées par les pharmaciens d’officine. Les résultats de 2015 montrent que le zolpidem (Stilnox) est la substance la plus fréquemment citée (36,2 %), suivie par la codéine en association au paracétamol (10,5 %), le bromazépam (Lexomil) avec 9,5 % des citations, l’alprazolam (Xanax) avec 9,3 %, et le paracétamol (7,6 %).