L'infirmière Libérale Magazine n° 344 du 01/02/2018

 

La vie des autres

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Fabrice Dimier  

Son travail, Jonathan le vit avant tout comme une aventure humaine. Mais pour s’épanouir pleinement, cet infirmier québécois singulier a besoin d’activités variées. Plongée dans son univers, entre hôpital et soins à domicile.

« J’ai toujours voulu évoluer dans le secteur de la santé, raconte Jonathan Harroche. J’ai commencé comme bénévole dans un service de premiers répondants médicaux. Une sorte de SAMU, limité dans les interventions, et au sein duquelles soignants répondent aux urgences de niveau 1 et 2. » Un quotidien rythmé par les réanimations cardio-respiratoires et des défibrillation.

« Cette première confrontation aux patients, dans un contexte très tendu, m’a fasciné », reconnaît Jonathan. Peu après, son père est victime d’un infarctus et se retrouve en soins intensifs. Le jeune homme se souvient avec émotion du passage de l’infirmière au chevet de son père : « Ses explications, le résumé de l’intervention… Tout était clair, précis. Je me suis dit “Mince, c’est ce que j’aimerais être capable de faire un jour !” » Alors âgé de 25 ans, il complète son diplôme d’études collégiales en soins infirmiers et commence à travailler aux urgences de l’Hôpital général juif de Montréal, dans le service… qui sauva son père. Le rush, l’adrénaline, les cas critiques : le jeune homme prend plaisir à y exercer et ressent une véritable émulation. « Aux urgences, on a vraiment le sentiment d’agir pour les familles. There’s nothing like it ! [Il n’y a rien de tel !] », résume-t-il. Dans le même temps, il découvre la violence au travail : verbale, psychologique. « Les familles subissent un stress important. Elles s’en prennent souvent aux infirmiers. Savoir comment “dealer” avec l’angoisse des familles, c’est important. Ça s’apprend », assure Jonathan. Et il apprend vite. Il devient rapidement assistant infirmier chef, fonction qu’il occupe encore à l’heure actuelledans cet hôpital. Ses tâches sont essentiellement administratives et cliniques. « Les ressources humaines occupent une place importante : veiller au ratio infirmiers/patients, assurer la gestion de projets, décrit Jonathan. Mais je suis avant tout une personne ressource pour mes collègues : je réponds à leurs questions sur les traitements, les soins, les protocoles. Je crois que cela me correspond. Par-dessus tout, j’adore les questions », s’amuse l’infirmier. Il préfère néanmoins certaines réponses : celles à apporter lors des médiations avec les familles : « J’ai du temps. C’est un luxe. L’infirmière, elle, a cinq ou six autres patients. Moi, je peux repousser la paperasse et m’arrêter un instant pour soigner ce lien primordial. »

Une pratique plurielle

Le lien. Le liant. Mots clés dans la pratiquede Jonathan, qui se définit comme un “hub” au sein de l’équipe, un relais entre patients et familles, entre infirmiers et médecins. Dans le système anglophone, les rapports sont moins hiérarchisés. L’infirmière peut aller voir directement le médecin, sans passer par la référente. « J’appelleles médecins de mon service par leur prénom. C’est plus facile pour tout le monde », argue-t-il. Cela participe à la reconnaissance du métier d’infirmier, à laquelle Jonathan est très attaché. Il considère l’infirmier comme un acteur complet, confronté à un problème d’affirmation de soi, de place, dans un système de santé en évolution. « La population n’est pas habituée à voir une infirmière prescrire un médicament. Pourtant, une clinicienne est capable de régler un certain nombre de problèmes qui ne nécessitent pas le recours au médecin », résume-t-il. Ce soignant à la pratique plurielle reconnaît que le travail clinique lui manque. Pour pallier ce « déficit de terrain », Jonathan complète son activité hospitalière avec une pratique privée. Il effectue des évaluations médicales dans un centre de rétention. En venant voir l’infirmier, « les détenus cherchent à être écoutés, à nous de leur faire sentir qu’ils sont des personnes », explique Jonathan. Il est également consultant pour une start-up de télésanté qui réalise des consultations virtuelles. « On résout par webcam ou messagerie instantanée le problème médical des employés. C’est fun de participer à ce défi technologique », indique le soignant. Enfin, il effectue des soins à domicile, quelques jours par mois, comme travailleur autonome : pansements, prélèvements, intraveineuses… Il facture ces interventions auprès de patients avec lesquels il est entré en contact par l’hôpital ou le bouche-à-oreille. « J’y trouve un réel intérêt, peut-être parce que je vois peu de patients. Je peux ainsi m’assurer que chacun d’entre eux a bien compris et validé ma pleine fonction d’accompagnement. » Entre le rush de l’hôpital et le temps que lui prennent ses autres activités, à 34 ans, Jonathan semble avoir trouvé son équilibre.

La formation infirmière au Québec

La majorité des infirmières en fonction ont un diplôme collégial. Mais un nombre croissant d’entre elles obtiennent leur baccalauréat, leur maîtrise et même leur doctorat. Le diplôme d’études collégiales (DEC) en soins infirmiers permet d’exercer à titre d’infirmière en soins généraux. Pour celles qui désirent poursuivre leur cursus, le baccalauréat en sciences infirmières donne accès à la profession d’infirmière clinicienne en soins complexes ou de conseillère en soins infirmiers. Le diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) permet d’exercer à titre d’infirmière clinicienne spécialisée dans un domaine clinique spécifique. Toutefois, il faut pour cela être titulaire d’un DESS et d’une maîtrise en sciences infirmières. La maîtrise en sciences infirmières est une formation clinique avancée et prépare à l’enseignement, à la gestion de soins et à la recherche. Enfin, le doctorat permet d’acquérir une formation avancée en recherche en sciences infirmières. Le programme mène à la profession de chercheur autonome ou de professeur chercheur, notamment dans les universités et les instituts de recherche.

Il dit de vous !

« Je connais mal le système français, mais j’ai vu quelques émissions sur le sujet. Il y a tellement plus de moyens d’accéder aux soins de santé en France. Ici, il faut aller à l’hôpital ou avoir un piston pour trouver un médecin. Beaucoup de patients n’ont pas de médecin de famille et sont contraints de se rendre aux urgences, où leur présence encombre le service et où ils paient cinq fois le prix, mais ils n’ont pas le choix. Il existe bien des cliniques sans rendez-vous, mais elles sont très vite saturées. La seule chose que je connais, par le terrain, c’est le niveau des infirmières françaises venues à Montréal. Je fais les entretiens d’embauche et je les vois ensuite exercer. J’en ai dans mon service. Vous formez d’excellentes infirmières du point de vue technique et du raisonnement clinique. Bravo les gars ! »