L'infirmière Libérale Magazine n° 345 du 01/03/2018

 

Cahier de formation

Savoir faire

Face à la dégradation de la qualité de vie des patients atteints de MICI, l’ETP constitue, au-delà des soins, une priorité de l’accompagnement thérapeutique pour donner aux patients des clés pour mieux vivre avec leur maladie et optimiser la gestion de leurs traitements.

ACCOMPAGNER DÈS L’ANNONCE DE LA MALADIE

L’annonce du diagnostic de MICI constitue un choc. Comme pour toute maladie chronique, le patient doit faire son chemin vers l’acceptation. « Il est important de l’accompagner dès cette étape de son parcours afin de l’aider à mobiliser les ressources nécessaires au processus d’acceptation de la maladie et d’adhésion à sa prise en charge », explique Sandra Orempuller, IDE d’ETP au CHU de Toulouse (Haute-Garonne).

Cet accompagnement a aussi pour but de lui faire prendre conscience qu’il n’est pas seul face à cette « injustice », que beaucoup d’autres patients, y compris très jeunes, sont atteints et qu’il existe des moyens (traitements médicaux, programmes d’éducation thérapeutique du patient, ETP, soutien associatif) de les aider efficacement à gérer leur maladie.

RENFORCER LES CONNAISSANCES SUR LA MALADIE

L’arrêt du tabac

Extrêmement délétère dans la MC (il favorise la survenue des poussées), le tabac joue un rôle protecteur dans la RCH (certains patients stables déclenchent des crises et des rechutes après arrêt du tabac), ce qui impose d’adapter le discours en fonction du type de MICI. « Dans la MC, l’arrêt du tabac fait partie intégrante du traitement et nécessite d’emblée d’accompagner et de conseiller le patient en matière de sevrage tabagique, précise l’IDE. Dans le cas de la RCH, nous insistons d’abord sur la nécessité d’installer un traitement de fond pour calmer l’inflammation et stabiliser la maladie et proposons ensuite d’engager une démarche progressive de réduction de leur consommation tabagique afin de ne pas perturber l’équilibre thérapeutique. »

L’alimentation

Combattre les idées reçues

Il n’existe pas de relation de cause à effet entre l’alimentation et la survenue des crises. Autrement dit, les MICI ne sont pas des maladies de l’alimentation. C’est une information capitale car les patients associent quasi systématiquement alimentation et poussées : « À chaque fois que je mange, j’ai la diarrhée… », « la dernière fois que j’ai mangé des haricots verts, j’ai fait une poussée… ». L’Idel doit donc insister sur le fait qu’il n’existe aucun interdit alimentaire ni régime type à suivre pour soulager ou prévenir une crise inflammatoire ou rester en rémission. « De même, les régimes sans gluten et sans lactose n’ont pas d’effet sur l’inflammation intestinale, précise le Dr Stéphane Nahon, gastro-entérologue au sein du groupe hospitalier intercommunal Le Raincy-Montfermeil (Seine-Saint-Denis). Toutefois, ces régimes peuvent parfois améliorer le confort intestinal. »

Préciser la place de l’alimentation

Ce postulat posé, une alimentation adéquate est cependant impérative pour lutter contre l’inflammation et la fatigue, réguler le transit (en cas de diarrhée permanente, par exemple), soulager certains symptômes digestifs et maintenir son poids. En période de répit, elle doit donc être équilibrée, variée qualitativement, suffisante en quantité et adaptée à chaque patient en fonction de ses goûts et tolérances propres (réduire les fibres ou certains groupes d’aliments mal tolérés, par exemple). « En revanche, quand la crise associée à des diarrhées survient, explique Corinne Devos, patiente experte auprès de l’Association française François Aupetit (Afa), la mise en place précoce d’un régime sans résidu (voir encadré ci-dessous) permet de mettre l’intestin au repos, de traiter la diarrhée, d’optimiser l’action anti-inflammatoire des traitements et de diminuer l’intensité et la durée de la crise. » La difficulté réside dans le fait que les patients ont tendance à faire du régime sans résidu leur mode d’alimentation courant une fois la poussée terminée, ce qui est fortement déconseillé car cette attitude génère des carences alimentaires et vitaminiques.

Vaincre les peurs

Le risque côté patients est d’avoir peur de certains aliments (manger = poussée = diarrhée). Dès lors, ils sélectionnent à l’excès les aliments et s’enferment dans un mode alimentaire restrictif, médicalement non justifié. « Il faut donc travailler sur ces peurs en ETP afin d’amener les patients à adopter les réflexes alimentaires adaptés aux circonstances et à savoir quand et comment réintroduire une alimentation normale. » C’est la raison pour laquelle il y a toujours un volet alimentation dans les programmes d’ETP.

Conseils pratiques

Les aliments doivent être réintroduits un par un, ce qui permet, lorsqu’un aliment n’est pas toléré, de l’identifier immédiatement et de l’écarter. L’Afa met à disposition des patients un guide de nutrition(1) réalisé par les diététiciennes de l’association. Il comprend des tableaux de réintroduction des aliments et des idées de menus pour bien manger toute l’année. « C’est un outil très utile, commente Sandra Orempuller, car il permet aux patients d’optimiser en toute confiance le champ de leur alimentation au gré de l’évolution de leur état. » Les patients adhérents de l’association peuvent également bénéficier des conseils de la diététicienne de l’Afa soit par téléphone, soit par courriel(2). « Grâce au partage d’expériences, ajoute Corinne Devos, l’ETP permet d’amener les patients vers une alimentation de bon sens, adaptée à l’état et aux fragilités de chacun. Elle repose néanmoins sur quelques dénominateurs communs : favoriser une alimentation maison, éviter les fritures, les plats préparés, riches en émulsifiants, épaississants et autres additifs, et privilégier les modes de cuisson (vapeur ou papillote) et de préparation (soupe passée au presse-légumes plutôt qu’au mixer, jus de fruits sans fibres passé à l’extracteur) les plus digestes. De même, les aliments moins bien digérés peuvent être remplacés par d’autres ayant des propriétés similaires. Par exemple, les aliments à fibres dures tels que le poireau, le navet, le chou, la salade peuvent, s’ils sont mal tolérés, être remplacés par des légumes plus digestibles comme la courgette, la carotte, les petits pois… » Dès lors, dîner au restaurant, chez des amis ou entre collègues à la cantine redevient possible, ce qui n’est pas neutre en termes de lien social et de qualité de vie.

Corticothérapie et alimentation

La prise prolongée de corticoïdes stimule l’appétit et déclenche parfois une appétence particulière pour certains aliments notamment riches et sucrés. Elle modifie aussi la sensation de faim et de satiété. Conjugués, ces effets peuvent engendrer une prise de poids. Par ailleurs, la prise prolongée de corticoïdes favorise la rétention d’eau et de sel responsable d’un gonflement du visage transitoire. Pour autant, dans les MICI, un régime strict sans sel et sans sucre n’a pas démontré scientifiquement d’intérêt pour lutter contre ces effets secondaires(3). En revanche, il convient de respecter quelques consignes alimentaires pour prévenir une éventuelle prise de poids :

→ fractionner les repas en 4 à 6 prises par jour pour réduire la sensation de ne pas être rassasié,

→ ne consommer qu’un aliment salé par repas pour éviter les apports massifs en sel,

→ idem pour le sucre,

→ consommer au moins une fois par jour des aliments sources de protéines et plusieurs fois par jour des produits laitiers pour leurs protéines mais aussi pour le calcium en prévention de la déminéralisation osseuse (il sera associé à la prise de vitamine D),

→ se peser une fois par semaine et suivre sa courbe de poids.

La vaccination

Sous immunosuppresseurs (IMS) et biothérapies, outre le suivi scrupuleux du calendrier vaccinal (mis à jour avant le début du traitement), certains vaccins sont préconisés pour protéger les patients des infections courantes : vaccin contre le virus de l’hépatite B, contre le papillomavirus (chez l’adolescente en particulier), le pneumocoque et la grippe (chaque année). Il est important de rappeler que l’immunosuppression induite par les traitements contre-indique formellement l’usage des vaccins vivants atténués (fièvre jaune, ROR, varicelle, BCG, rotavirus). Selon le CREGG(4), ces derniers doivent être réalisés au moins trois semaines avant le début d’un traitement IMS ou trois mois après l’arrêt du traitement IMS.

La grossesse

Une grossesse peut être envisagée lorsque la maladie est en rémission et stabilisée par les médicaments.

→ La majorité des médicaments utilisés dans les MICI peuvent l’être pendant la grossesse. C’est notamment le cas des anti-TNFα (adalimumab, infliximab), dont le recul (près de vingt ans) permet de les maintenir en traitement de fond pendant la grossesse. Ils ne sont pas risqués pour le fœtus.

→ Les enfants nés de mères ayant une MICI traitées pendant la grossesse par un anti-TNFα ne présentent pas plus de malformations qu’en population générale.

Cependant, si l’anti-TNFα est poursuivi au-delà de cinq mois de grossesse, le nouveau-né est immunodéprimé et les vaccins vivants lui sont strictement contre-indiqués durant sa première année de vie.

→ Il existe un petit surrisque de prématurité ou d’hypotrophie à la naissance uniquement dans le cas où la maladie n’est pas contrôlée pendant la grossesse.

La contraception

Il n’existe pas de contre-indication à la contraception chez les femmes atteintes de MICI. « Toutefois, précise le Dr Nahon, la contraception dans ce contexte augmente le risque de thrombose veineuse profonde, ce qui impose de considérer le choix du mode de contraception avec ce risque additionnel. Cela vaut principalement pour la pilule œstroprogestative associée à un risque de thrombose veineuse profonde. »

Les thérapies complémentaires

Durant leur maladie, de nombreux patients ont recours à des thérapies complémentaires (TC) : hypnose, méditation de pleine conscience, sophrologie, ostéopathie viscérale, homéopathie, acupuncture, relaxation, yoga, réflexologie, médecine ayurvédique, phytothérapie… Ce recours aux TC traduit une volonté du patient d’être acteur de sa prise en charge et d’agir parallèlement au traitement sur certains symptômes (douleur…). Elles aident à lutter contre la fatigue ou le stress, réguler le transit, retrouver un équilibre général et, plus globalement, se mettre dans de meilleures dispositions pour combattre la maladie. Un constat qui a motivé la création d’une commission « MICI et thérapies complémentaires » au sein de l’Afa et le lancement d’une étude destinée à en préciser l’usage qu’en font les patients (voir encadré page précédente). « On essaie de faire en sorte que les patients en parlent dans les ateliers d’ETP, commente Corinne Devos. Cela permet un partage d’expériences, de recadrer si nécessaire le discours, d’éviter les pratiques à risque (en phytothérapie, par exemple, le charbon peut empêcher le traitement de fond d’agir) et de maintenir les TC dans leur champ complémentaire et non d’alternative aux traitements médicaux. »

(1) Alexandra Martin (diététicienne référente Afa), « Manger avec une MICI », disponible sur demande auprès de l’Afa, 15 € (lien : bit.ly/2GTLjJA).

(2) Par e-mail (nutrition@afa.asso.fr) et tous les mardis de 14 à 18 heures au 01 42 00 00 40.

(3) Source : Afa (lien : bit.ly/2hfEi62)

(4) Club de réflexion des cabinets et groupes d’hépato-gastro-entérologie.

Cas pratique

Vous intervenez chez Mme M. pour la réfection d’un pansement postopératoire et elle vous informe que son conjoint est atteint d’une MICI récemment diagnostiquée. Elle est très inquiète car son mari réagit très mal à l’annonce de la maladie et n’accepte pas d’être dépendant d’un traitement à vie.

Vous la rassurez en lui indiquant qu’il s’agit d’un processus normal assimilable à un deuil et qu’il existe des programmes d’ETP et une association très active qui peuvent l’accompagner et l’aider à passer ce cap difficile et à prendre en main sa maladie.

L’intérêt du régime sans résidu en cas de poussée

Ce régime consiste à supprimer de l’alimentation les fibres alimentaires végétales (légumes et fruits cuits et crus, céréales complètes), mais aussi les résidus issus de la viande (tendons, kératine des viandes tendineuses et fibreuses). Il entraîne une diminution du volume des selles et du transit intestinal, ce qui réduit l’irritation de la muqueuse intestinale. Les graisses cuites et le lait* (accélérateurs de transit) doivent également être évités ainsi que les pommes de terre et le pain blanc (ils favorisent la fermentation et les gaz). Le régime sans résidu peut être conduit per os dans la plupart des cas ou par hyperalimentation parentérale (HAP) en cas de crise sévère nécessitant un repos absolu du système digestif. L’HAP permet de majorer les apports énergétiques pour compenser la perte de calories brûlées par l’inflammation.

Source : hepatoweb.com/dietetique2.php

* En cas de préparation colique pour une coloscopie ou une chirurgie colique, le lait et les produits laitiers sont toutefois conseillés pour améliorer la vidange du côlon.

Témoignage
Thérapie complémentaire et MICI : une réalité à prendre en compte

Dr Stéphane Nahon, l’un des auteurs ayant participé à la réalisation et à l’analyse d’une enquête sur l’impact des thérapies complémentaires (TC) sur la qualité de vie des patients atteints de MICI*

« À travers cette enquête, nous avons souhaité appréhender l’impact objectif des TC sur le vécu des patients atteints de MICI afin de pouvoir dégager des messages utiles à destination des patients et des médecins dans le but de favoriser un échange constructif sur ces pratiques. Globalement, 50 % des patients en font usage et les principales TC apportant une amélioration des symptômes sont, par ordre décroissant, la diététique (30,7 % des TC utilisées), les thérapies physiques et/ou de relaxation (25,1 %), les médecines traditionnelles et l’homéopathie (19,6 %), la naturopathie (15,2 %), la méditation et l’approche spirituelle (9,1 %). De même, la qualité de vie est améliorée dans le groupe ayant recours aux TC, mais ces patients sont plus enclins que les autres à arrêter leur traitement de fond.

Au regard de ces informations, trois messages importants sont à retenir :

→ les TC ont leur place dans la prise en charge thérapeutique mais en association aux traitements de fond et non à la place de ces traitements ;

→ les malades doivent en parler à leur médecin : de plus en plus de médecins s’intéressent et s’ouvrent à ces pratiques ;

→ les médecins qui ne sont pas encore acquis à ces pratiques doivent prendre en compte le fait que les malades utilisent très fréquemment des TC et en tirent des bénéfices. Il est donc contre-productif de se voiler la face. Mieux vaut en discuter ouvertement avec eux afin de les conseiller et de les orienter dans le but d’améliorer leur qualité de vie en combinant efficacement TC et observance des traitements de fond. »

* Vered Abitbol, Pierre Lahmek, Anne Buisson, Alain Olympie, Cécile Poupardin, Stanislas Chaussade, Bruno Lesgourgues, Stéphane Nahon, « Impact of complementary and alternative medicine on the quality of life in inflammatory bowel disease : results from a French national survey », European Journal of Gastroenterology & hepatology, 2014, 26, pp. 288-294.