L'infirmière Libérale Magazine n° 345 du 01/03/2018

 

Nutrition

Cahier de formation

Point sur

Marie Fuks*   Pr Christophe Cellier**  

L’intolérance au gluten doit être différenciée de l’hypersensibilité et de l’allergie au gluten. Que faut-il savoir sur cette maladie fréquente et sous-diagnostiquée pour bien conseiller les patients en termes d’orientation et de prise en charge ? Éclairage.

Définition

Très fréquente (une personne sur 100 est susceptible de développer cette maladie)(1), l’intolérance au gluten (IG) ou, plus exactement, à une fraction d’une protéine du gluten (la gliadine)(2) est une affection chronique inflammatoire de l’intestin grêle encore appelée « maladie cœliaque » (MC). Elle se développe chez des personnes génétiquement prédisposées, porteuses d’un ou deux gènes spécifiques (HLA-DQ2 et/ou HLA-DQ8). Toutefois, 20 % des individus porteurs des gènes de prédisposition ne développent pas la maladie, ce qui laisse entendre que d’autres facteurs (infection virale dans l’enfance, par exemple) interviennent dans son développement. Dans ce cas, la gliadine entraîne une réaction immunitaire et la production d’anticorps qui s’attaquent aux villosités de l’intestin grêle et provoquent leur destruction (atrophie villositaire). Cette réaction auto-immune entraîne, à terme, une altération de la digestion et une malabsorption d’un grand nombre de nutriments (protéines, graisses…), minéraux et vitamines (fer, calcium, vitamines D et B9, acide folique…), associées à des symptômes très variés. Elle n’a rien à voir avec l’hypersensibilité ou l’allergie au gluten (voir encadré).

Manifestations et symptômes

Seulement 20 % des malades présentent des symptômes très typiques. Les plus courants sont, chez l’enfant, les diarrhées chroniques et le retard de croissance et, chez l’adulte, les douleurs abdominales, les diarrhées, l’amaigrissement et la fatigue. Toutefois, dans la majorité des cas les patients ne présentent aucun signe digestif, ce qui explique que certains ne sont jamais diagnostiqués. En revanche, ils peuvent présenter d’autres symptômes moins connus et donc moins directement associés à cette pathologie. Il est donc important de savoir que l’IG peut aussi se manifester par une anémie isolée (souvent banalisée chez la femme), une ostéoporose précoce, des fausses couches à répétition, une aphtose buccale rebelle, des problèmes cutanés (dermatite herpétiforme, notamment) et articulaires.

Un diagnostic souvent tardif

Dans l’entendement général, l’IG est une maladie qui touche surtout les enfants. Or, plus de 70 % des cas sont diagnostiqués chez l’adulte et 20 % après 60 ans. En moyenne, plus de dix ans séparent l’apparition des symptômes et le diagnostic. Celui-ci est pourtant facile à établir.

Il repose sur la recherche dans le sang des anticorps transglutaminases tissulaires de classes IgA et IgG et des anticorps anti-endomysium de classe IgA (les plus spécifiques de la maladie). La prédisposition génétique n’est pas systématiquement recherchée. Un typage HLA sera utile en cas de doute car l’absence des gènes HLA-DQ2 et/ou HLA-DQ8 permet d’attester qu’il ne s’agit pas d’une maladie cœliaque et de rechercher d’autres causes aux symptômes. Le diagnostic peut également être confirmé en objectivant l’atrophie villositaire partielle ou totale par un prélèvement fibroscopique ou gastroscopique au niveau du duodénum (début de l’intestin grêle).

Bilan complémentaire

Il consiste à vérifier la présence ou non d’éventuelles carences (fer, calcium, vitamines B12, D…) et peut être complété par une ostéodensitométrie osseuse afin de s’assurer qu’il n’y a pas de retentissement au niveau de l’os du fait de la malabsorption du calcium et de la vitamine D, qui nécessiterait de renforcer la minéralisation osseuse par un traitement spécifique.

Traitement : l’éviction

Actuellement, le seul traitement connu de la MC est l’éviction totale à vie du gluten alimentaire(3). Il permet de faire disparaître les symptômes en quelques semaines, d’éliminer les anticorps après un an et, ainsi, de restaurer les villosités intestinales et de réduire les complications : déminéralisation osseuse, stérilité (12 % des patients), ostéoporose, cancers des voies aérodigestives supérieures et du foie, survenue d’une autre maladie auto-immune (thyroïdite, par exemple, diabète de type 1 et, de façon exceptionnelle, lymphomes, maladies lymphomateuses à intestin grêle telles que le lymphome invasif ou la maladie cœliaque réfractaire de type 2, ou pré-lymphome).

Traitements alternatifs : les pistes

Contraignant en termes de gestion au quotidien mais aussi sur le plan social (refus d’invitation, restauration collective non adaptée, sorties au restaurant compliquées…), le régime sans gluten est aussi plus coûteux. Cela complique singulièrement la vie des patients, qui attendent beaucoup de la recherche en matière de traitements alternatifs. Plusieurs sont en cours d’évaluation mais aucun n’a montré à ce jour une efficacité suffisante. Il s’agit notamment des enzymes (gluténases) visant à dégrader la partie toxique du gluten avant qu’elle ne pénètre dans l’intestin, de la vaccinothérapie, chargée de réinduire une tolérance du tube digestif à la gliadine, et de médicaments actuellement testés en phases précoces du développement de la maladie dans cinq centres dans le monde. Ces médicaments ont pour but de bloquer les anticorps, à l’instar des anti-TNF dans la maladie de Crohn.

Rôle des infirmières

Face à cette pathologie “sournoise”, les Idels peuvent avoir un rôle d’alerte en proposant aux patients qui banalisent les symptômes ou présentent des symptômes atypiques évocateurs (fausses couches multiples, par exemple) de consulter afin d’écarter ou de confirmer le diagnostic de MC. Ensuite, vis-à-vis des patients IG identifiés, il est important qu’elles s’assurent qu’ils ne prennent pas des médicaments contenant comme excipient du gluten. Elles peuvent aussi encourager les patients à se rapprocher de l’Afdiag(1) pour trouver toutes les informations pratiques à la gestion quotidienne de leur maladie, notamment en termes de consultations spécialisées et d’alimentation (lecture des étiquettes, plats naturellement sans gluten, pratiques à éviter, recettes, ingrédients de substitution, aliments autorisés, à éviter et à exclure(3)). Enfin, elles peuvent entretenir leur motivation afin qu’ils observent leur régime le plus strictement possible et les sensibiliser à la nécessité d’être régulièrement surveillés afin de mettre en place les supplémentations nécessaires en cas de carences.

(1) Afdiag (Association française des intolérants au gluten), 15, rue d’Hauteville, 75010 Paris. Tél. : 01 56 08 08 22. Site Internet : www.afdiag.fr Courriel : afdiag@gmail.com

(2) Le gluten est une protéine contenue dans le blé (froment, blé dur, engrain, épeautre, blé khorasan Kamut…), le seigle et l’orge ou leurs hybrides (par exemple, le triticale issu du croisement du blé et du seigle).

(3) Afdiag, « Tableau des aliments autorisés à vérifier et à exclure (non exhaustif) », Guide pratique de la cuisine collective sans gluten, pp. 20-21 (lien : bit.ly/2o236qh).

Hypersensibilité et allergie au gluten

L’hypersensibilité au gluten et l’allergie au gluten (ou au blé) sont des entités totalement différentes et plus rares que l’intolérance au gluten :

→ l’hypersensibilité au gluten se manifeste par des maux de ventre et une fatigue mais n’entraîne ni la formation d’anticorps ni l’atrophie villositaire propre à l’IG ;

→ l’allergie au gluten est une réaction à un allergène contenu dans l’alimentation dont les symptômes (boutons, diarrhée fulgurante, douleurs abdominales, troubles respiratoires…), contrairement à l’IG, surviennent immédiatement après l’ingestion de l’aliment contenant du gluten. Sa prise en charge relève de l’allergologue et consiste à réaliser l’éviction de l’aliment, qui sera identifié à l’occasion du bilan allergologique.

Pour en savoir +

Brigitte Delaye, Comment passer au sans gluten, Éditions Thierry Souccar, 2017.

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêts.