Depuis plusieurs années, les gouvernements successifs cherchent à réformer le dispositif de soins psychiatriques sans forcément trouver la clef. Mode de financement et répartition territoriale des moyens sont l’objet de critiques et de débats intenses. La ministre annonce des mesures d’urgence.
« La psychiatrie est une discipline qui s’est paupérisée et sur laquelle il n’y a pas eu un vrai investissement depuis des années. » Le constat est celui de la ministre de la Santé, dressé le 26 janvier dans les colonnes du Monde. En effet, comme l’hôpital somatique, l’hôpital psychiatrique semble craquer de toutes parts. Il faut dire que, d’après un rapport de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) datant de novembre 2017, sur les vingt-cinq dernières années, le nombre de patients pris en charge par les secteurs de psychiatrie a plus que doublé et ne cesse d’augmenter. Pas étonnant que les grèves à répétition se multiplient ces derniers mois dans les établissements : Amiens (Somme), où, en l’espace de trois ans, trois services ont fermé et la dotation de l’État pour l’hôpital a baissé de 258 000 € en 2017, et de 800 000 € depuis 2015 ; Le Havre (Seine-Maritime), où dix lits théoriques sont régulièrement occupés par quinze patients et où les soignants s’inquiètent de ne pouvoir être bientraitants compte tenu de leur environnement et de leurs conditions de travail ; ou encore Rennes (Ille-et-Vilaine), où l’on a dénoncé durant deux mois aussi le manque de lits, le manque d’agents et la souffrance au travail. Pour ne citer que ces trois-là. Et les services extra-hospitaliers ne sont pas en reste : il n’est pas rare que les délais d’attente se chiffrent à plusieurs mois pour accéder à des soins en centre médico-psychologique, et jusqu’à un an en centre médico-psycho-pédagogique.
Pourtant, toujours selon les observations des inspecteurs des affaires sociales, les « moyens consacrés à la psychiatrie progressent, certes moins que les dépenses de santé […]. La question n’est donc pas celle de la diminution des moyens, mais elle pourrait être celle de leur progression inférieure à l’Ondam [Objectif national des dépenses d’assurance maladie] , inégale selon les composantes publiques et privées du dispositif, sans lien avec le niveau des activités. » On observe aussi une inégale répartition des moyens sur le territoire et de grandes différences en terme d’accès aux soins de qualité. Car la psychiatrie publique en France demeure sectorisée en fonction d’une réglementation datant de 1960, et qui ne s’est pas adaptée au fil de l’évolution démographique. Comme en témoigne le journaliste et député (La France Insoumise) François Ruffin dans son ouvrage Un député à l’hôpital psychiatrique (2017) : « On parle de suroccupation à Pinel [le centre hospitalier psychiatrique d’Amiens], mais pourquoi ? Parce que, dans la Somme, il n’y a rien, très peu de structures médico-sociales. Pas de résidence d’accueil, pas de foyer d’accueil médicalisé, pas de maison d’accueil spécialisée, pas de service d’accueil à la vie sociale en psychiatrie. Du coup, tous ces gens se retrouvent où ? À l’hôpital. Alors que les soignants nous le disent, ils n’ont rien à faire à l’hôpital. beaucoup de malades sont stabilisés mais pas assez autonomes pour habiter seuls. » La Somme apparaît en effet comme l’un des vingt départements les moins dotés en France, tandis que, paradoxalement, ses habitants sont davantage touchés par les troubles psychiques.
Alors que la psychiatrie représente le poste le plus important de l’Assurance maladie, ses dépenses augmentent relativement lentement. Les secteurs public et privé non lucratif sont actuellement financés sur dotation, alors que le privé lucratif est, lui, financé à l’activité. Or, les dépenses prises en charge par le secteur lucratif augmentent plus rapidement que celles du public. Quand celui-ci diminue son nombre de journées d’hospitalisation, celui-là les augmente. Selon l’Igas, « en treize ans, le nombre des journées d’hospitalisation a diminué de près de 8 % dans les établissements publics et participant au secteur public, et a augmenté de 22 % dans les cliniques, dont la part est passée de 20 % à 26 %. » L’un récupère-t-il les journées perdues de l’autre ? Difficile à dire dans la mesure où le privé, comme pour l’hôpital somatique, ne prend pas en charge les mêmes malades que le public. « Les troubles les plus graves sont traités par le secteur public, qui voit son périmètre de moyens progressivement réduit par rapport à celui du privé lucratif qui n’endosse pas les mêmes charges », observent les inspecteurs de l’Igas.
Quant aux professionnels de santé, le nombre global des psychiatres n’a cessé de progresser ces treize dernières années, aussi bien à l’hôpital qu’en ville, même si la distinction entre psychiatres généraux et pédopsychiatres mériterait d’être faite, ces derniers faisant le plus cruellement défaut au regard des besoins. De même, la distinction entre professionnels du secteur public et du privé (répartis à 50/50 environ, même si de nombreux psychiatres du secteur public développent une part d’activité libérale) pourrait être affinée, les deux ne relevant pas des mêmes obligations à l’égard de la population. Or, d’après une tribune du Dr Pierre Micheletti, publiée dans Le Monde le 6 février, « 25 % des postes hospitaliers sont vacants ou attribués à des médecins non statutaires ». Une baisse du nombre de psychiatres est annoncée pour les cinq prochaines années « mais elle serait faible (- 3,3 % entre 2016 et 2021), dépendant des choix de départ à la retraite, et momentanée avant que les effectifs ne repartent à la hausse », anticipe l’Igas. Rien n’est moins sûr, compte tenu d’un domaine du soin qui se révèle de moins en moins séduisant pour les étudiants en médecine.
Devant la crise qui agite le secteur, la ministre de la Santé Agnès Buzyn a annoncé un train de mesures d’urgence, le 26 janvier : davantage de moyens pour la recherche, quête d’une meilleure coordination public/privé, renforcement des effectifs hospitalo-universitaires en pédopsychiatrie, formation à la prise en charge du psychotraumatisme, lutte contre la prévention du suicide, stage obligatoire en psychiatrie pour tous les généralistes en formation initiale, spécialisation des infirmiers en pratiques avancées (sans retour à la création d’un corps spécifique toutefois), et création d’un comité stratégique de psychiatrie et de santé mentale présidé par la ministre elle-même. Bon nombre d’organisations professionnelles ont salué le volontarisme de ces annonces. Cependant, elles s’inquiètent toujours de la question financière. « Le temps des actions est largement venu, mais ce plan d’actions ne pourra aboutir, ainsi [que la ministre] l’affirme elle-même, sans un financement substantiel de la psychiatrie », observe le Syndicat des psychiatres des hôpitaux dans un communiqué. Agnès Buzyn a indiqué souhaité orienter davantage le secteur vers un financement au parcours. « La psychiatrie sera l’une des premières disciplines concernées par les financements des parcours innovants, tels que prévus par l’article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale », a-t-elle promis.
Parmi ses mesures d’urgence, la ministre a également avancé qu’elle « veillerait à ce que le budget de la psychiatrie soit préservé au sein des groupements hospitaliers de territoires et dans les hôpitaux généraux ». Ceci afin d’éviter que les financements dévolus à l’activité psychiatrique ne servent finalement à combler les déficits ici et là. Car la ministre le reconnaît elle-même, dans les services psychiatriques de nombre d’hôpitaux généraux, « leur activité est la variable d’ajustement du budget du reste de l’hôpital ». Et, comme le résume le Syndicat des psychiatres d’exercice public, « préserver le budget […], c’est bien, [mais] l’augmenter, c’est indispensable ! » Dans le contexte de recherches d’économies actuel, les chances sont minces qu’un tel appel soit entendu. La ministre préfère « dépenser mieux ».
Ici et là des expérimentations ont lieu pour une meilleure répartition des financements au sein des régions et entre établissements en reprenant la base populationnelle, en analysant le dispositif régional de soins (ambulatoire/ hospitalier, public/privé…) et en évaluant les besoins locaux spécifiques, mais il n’en sont qu’à leurs balbutiements. L’Igas, elle, recommande une répartition gérée au niveau national, et non laissée à la charge des Agences régionales de santé.
L’idée de pondérer la dotation globale par une part de financement à l’activité a été proposée par le rapport Véran sur l’évolution des modes de financement de l’hôpital, remis au ministère de la Santé en avril 2017. Mais, là encore, beaucoup de professionnels sont vent debout contre cette perspective. Il est difficilement envisageable de considérer un modèle de financement en fonction du nombre de consultations réalisées, du temps passé, etc. Certes, quelques actes pourraient être ainsi rémunérés : une séance d’électroconvulsivothérapie par exemple, une injection retard, un passage aux urgences… Mais le suivi d’un patient en psychiatrie est difficilement standardisable.
Cette perpective fait bondir le Collectif des 39 (fortement marquée par la psychanalyse), tout comme la volonté d’élaborer des critères de bonnes pratiques par la Haute Autorité de santé, auxquels la révision de l’allocation des ressources pourrait être liée. « La ministre veut des critères de qualité qui empêchent le travail collectif, qui sont issus de l’industrie, qui sont issus des conceptions qualité qui transforment le patient que nous recevons non plus en un être humain avec toute sa complexité mais en une maladie, s’alarme Hervé Bokobza, psychiatre et fondateur de ce collectif, au micro de France Culture après les annonces ministérielles. C’est-à-dire qu’on va traiter des maladies. Telle maladie, tel protocole, tel critère. On ne peut pas faire de la psychiatrie une discipline comme une autre, c’est-à-dire une discipline avec signes, diagnostic, traitement. Comme si la psychiatrie, la souffrance mentale était une maladie du cerveau qu’on aurait repérée sur une IRM ou sur un examen biologique. C’est beaucoup plus complexe que ça. » Le débat reste ouvert : de nombreux psychiatres, notamment au sein de la Fédération de l’hospitalisation privée, sont favorables à l’utilisation de critères de qualité et des scientifiques et des associations de proches de patients attendent le développement de bonnes pratiques. La démarche a déjà été enclenchée par la HAS depuis quelques années avec la publication de recommandations concernant, par exemple, l’isolement et la contention, la prise en charge de la violence lors d’une hospitalisation en psychiatrie, ou encore le repérage et la prise en charge de la bipolarité.
La psychiatrie est le premier poste de dépenses de l’Assurance maladie (22,5 milliards d’euros en 2015, médicaments inclus), loin devant le cancer. Les troubles de la santé mentale sont en effet la première cause d’arrêt-maladie et d’invalidité en France. En 2016, 417 000 patients ont été hospitalisés en psychiatrie dont 46 000 mineurs. Parmi les adultes, 80 000 ont été hospitalisés sans leur consentement. Parmi les patients hospitalisés, quelques 32 % sont concernés par des troubles de l’humeur (bipolarité et dépression notamment), et 23 % par la schizophrénie ou des troubles délirants. 25 % des patients sont hospitalisés dans le secteur privé.
Sources : ATIH, FondaMental
En Italie, la loi 180 de 1978 a interdit toute nouvelle hospitalisation psychiatrique. Un évènement retentissant dans l’univers médical des pays industrialisés mais qui venait, en fait, sanctionner les conditions déplorables dans lesquelles étaient internés les patients, l’absence quasi-totale de prise en charge en ambulatoire et l’association de l’hospitalisation avec une forme de délinquance (puisqu’elle était portée au casier judiciaire). Le mouvement est parti de Trieste, où le psychiatre Franco Basaglia, arrivé à la tête de l’hôpital psychiatrique de la ville qui retenait alors quelques 1?000 patients, persuade, à partir de 1971, les autorités locales que, pour mieux soigner les personnes, il faut les laisser libres. Résultat, on compte aujourd’hui 17 lits de psychiatrie adulte pour 100?000 habitants de l’autre côté des Alpes, contre 88 en France. Plus d’hôpitaux psychiatriques aujourd’hui donc en Italie, mais des petits services intégrés dans les hôpitaux généraux, des structures d’hébergement non hospitalières, plus ou moins médicalisées, et totalement ouvertes, des lieux d’activités. Revers de la médaille : de nombreux services en santé mentale sont gérés par le secteur privé à but lucratif et le maillage du territoire demeure très inégal.
1 Comment vous est venue l’idée de pratiquer le soin psy en libéral ? J’ai été formée à l’Ifsi de Maison-Blanche [l’hôpital éponyme est spécialisé en santé mentale] et recrutée directement en psychiatrie pour mon premier poste. Mon projet est né progressivement du constat que le parcours des patients était souvent tumultueux. Qu’il était souvent difficile pour eux de trouver une Idel à la sortie de l’hôpital - même pour un soin somatique - en raison de la stigmatisation attachée à la pathologie mentale. Or, ils peuvent avoir besoin d’un soutien court pour éviter de décrocher du soin - le décrochage est la principale cause de réhospitalisation. J’ai d’abord pensé à travailler en équipe mobile. Mais dans l’établissement où je travaillais, nous n’avions pas de budget pour cela. Donc je me suis installée en libéral dans l’objectif de créer mon propre projet.
2 Quel est précisément votre projet ? L’idée est d’offrir une intervention d’urgence qui permette de désamorcer certaines situations et d’éviter l’hospitalisation, qui déstabilise le patient et est très coûteuse. Cette intervention est sollicitée par téléphone, par un professionnel, un patient, sa famille, avec au bout du fil un psychologue ou une infirmière expérimentée en psychiatrie qui évalue la situation, oriente le patient vers une consultation ou le professionnel le plus adapté ou décide d’envoyer un professionnel sur place. J’ai créé une association, Réseau soins psy
3 Un cabinet infirmier toulousain spécialisé en psychiatrie a dû fermer
(1) Association Réseau soins psy, tél. 01 48 08 89 40.
(2) Le centre de soins infirmiers Saint-Alban a dû interrompre ses activités en 2011, car la CPAM s’était opposée (après quatre années de fonctionnement) à la tarification des actes utilisée par les Idels et avait dénoncé des abus de facturation.
(3) Rappelons que la présence d’un acte dans le rôle propre ne signifie pas systématiquement qu’il est “cotable” au regard de la nomenclature, et qu’il arrive que l’interprétation de la NGAP varie d’une CPAM à l’autre…
1 Quel peut être l’impact des nouvelles technologies de communication dans le soin psychiatrique ? Nous avons eu très peu d’innovations depuis les chimiothérapies. Il y a les RTMS (stimulation magnétique transcrânienne) pour le traitement des dépressions résistantes, à la place ou en complément des électrochocs. Mais globalement les traitements ont peu évolué. Arrivent à présent des applications - comme celle que nous avons distinguée lors du prix Start-up de la FHP en décembre dernier - qui permettent au patient de participer davantage à son traitement (comme dans les autres maladies chroniques), que le lien avec l’équipe soit entretenu, voire que des alertes puissent nous être envoyées. C’est très intéressant, ce sont de vraies opportunités pour enrichir le soin.
2 Quels sont ces nouveaux outils disponibles ? Il y a des applications pour faciliter le parcours de soin. J’en utilise une dans mon hôpital de jour en addiction. Elle permet au patient de passer des tests et des échelles depuis chez lui, de recevoir un rappel de ses rendez-vous de consultation, de nous envoyer un message s’il se sent en difficulté, etc. Cela maintient un échange. Il y a également des outils de diagnostic. Xavier Pommereau, pédopsychiatre à Bordeaux, travaille ainsi au développement d’une appli qui permettrait aux généralistes d’évaluer le risque suicidaire chez des jeunes. Le dispositif génèrera des alertes, des conseils sur la conduite à tenir et des recommandations d’orientation. Ces outils vont foisonner dans les années à venir. Enfin, certaines technologies sont utilisées à but thérapeutique, comme la réalité virtuelle, qui permet de traiter des phobies ou des dépressions par la projection d’images dans un masque 3D.
3 Peut-on craindre que ces développements en viennent à se substituer à l’intervention humaine du professionnel ? Non. Les outils à visée thérapeutique sont accompagnés par un professionnel du soin - pas forcément psychiatre, cela peut être un psychologue ou un infirmier formé - et puis l’utilisation de ces nouveautés doit être encadrée. Il faut apprendre aux patients à s’en servir. Dans mon service d’addicto, nous ne leur donnons accès à l’appli qu’après une séance d’initiation collective d’1 h 30/2 heures. Car il ne faut pas oublier que les addictions s’accompagnent de troubles cognitifs. Par ailleurs, on sait que pour qu’une personne ait un maximum de chances de se sortir de ses troubles, le soin doit être multifactoriel. Pas que des médicaments, mais aussi de la thérapie comportementale, et, bien sûr, la meilleure participation du patient. Ces outils peuvent vraiment nous aider sur ce dernier point.