L'infirmière Libérale Magazine n° 345 du 01/03/2018

 

DE LA LOI AU TERRAIN

Votre cabinet

Héloïse Rambert  

Deux ans après l’instauration d’une loi qui a rendu les directives anticipées contraignantes pour les médecins, un an après une campagne d’information destinée au public, les soignants font le bilan. Entre l’esprit du législateur et la réalité de terrain, ils pointent du doigt quelques écarts.

La loi 2 du février 2016 est sans conteste un pas de plus pour les droits des malades et des personnes en fin de vie. Toutes les personnes, qu’elles soient malades ou en bonne santé, ont le droit de rédiger des directives anticipées, pour exprimer les décisions médicales à prendre concernant leur fin de vie, leurs traitements ou les actes médicaux qu’elles souhaitent voir engagés, limités, arrêtés ou non. Si le droit de rédiger des directives existe depuis 2005, la loi de 2016 les rend contraignantes : le médecin, de même que tout autre professionnel de santé, devra les respecter si le patient n’est plus en état de s’exprimer.

Après un an de politiques publiques intensives en faveur des directives anticipées, le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie a dressé, le 6 février, un premier bilan. L’information sur les directives anticipées semble avoir bien circulé : 85 % de médecins généralistes et 42 % des Français de 50 ans et plus savent que la loi sur la fin de vie a mis en place les directives anticipées. Mais si 77 % de l’échantillon de Français interrogés trouvent qu’il s’agit d’un « dispositif intéressant », seulement 11 % d’entre eux les ont déjà rédigées. Un chiffre qui ne bouge pas.

Deux exceptions légales pour lever la contrainte

Même en présence de directives du patient, les décisions en matière de soin restent toujours celles des médecins. La loi laisse une large place à l’éthique. Les soignants peuvent passer outre les volontés du patient dans deux cas précis. Premièrement, en cas d’« urgence vitale », le médecin est autorisé à ne pas mettre en œuvre les directives pendant « le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation ». La loi prévoit aussi les cas où les directives paraissent « manifestement inappropriées ou non conforme à la situation médicale ». Mais un médecin ne décide jamais seul. « La décision de ne pas respecter des directives anticipées doit être prise collégialement. Et le médecin doit prévenir les proches du patient pour leur expliquer pourquoi elles ont été jugées inappropriées », précise le Dr Bernard Valois, chef de service de l’unité de soins palliatifs à l’hôpital de Pontoise et directeur du centre de recherche et d’enseignement interprofessionnel Bientraitance et fin de vie. Le Dr Sarah Dauchy, psychiatre à l’Institut Gustave-Roussy, rapporte un cas qui a nécessité de ne pas suivre les souhaits exprimés par une patiente : « Une femme est arrivée aux urgences après une tentative de suicide grave. Ses directives anticipées étaient épinglées sur ses vêtements : elle y refusait la réanimation cardio-respiratoire. Or, elle était connue pour ses antécédents dépressifs. Elle a tout de même été réanimée, car la demande était clairement hors contexte. » Pour le Dr Devalois, la maladie psychiatrique peut, en effet, théoriquement invalider une demande. « Mais il faut vraiment que toute l’équipe de soignants, qui se réunit collégialement, soit d’accord. »

Un manque de connaissances médicales des patients

Pour guider les personnes qui souhaitent écrire leurs directives, deux modèles sont proposés par la Haute Autorité de santé (HAS). Le premier s’adresse aux personnes bien portantes et l’autre à celles atteintes d’une maladie grave. Mais leur utilisation n’est en aucun cas obligatoire et les Français peuvent choisir de rédiger sur une feuille libre, datée et signée. C’est d’ailleurs le choix qu’ont fait 71 % des personnes qui ont écrit leurs directives anticipées.

Pour le Dr Devalois, les directives ont une importance très différente en fonction des cas. « Elles ne sont vraiment indispensables que dans de rares pathologies : celles dont on sait qu’elles mettent en jeu, de manière inéluctable et prévisible, un éventuel maintien artificiel en vie. La sclérose latérale amyotrophique est l’exemple typique. » Hors des situations de maladies graves et incurables, ce médecin en soins palliatifs trouve l’écriture de ces directives un peu vaines. « Les gens les écrivent en prévision d’accidents. Mais l’immense majorité d’entre eux, et c’est bien normal, n’ont pas les connaissances médicales nécessaires pour les rédiger de manière pertinente, estime le spécialiste. La part des Français qui connaissent, par exemple, les données de la science sur les cérébrolésions consécutives à un arrêt cardiaque ou un traumatisme crânien ne doit pas dépasser quelques pourcents. » Et les modèles proposés par la HAS n’aident pas vraiment. « Ils restent bien trop compliqués pour obtenir un bon résultat », regrette-t-il. Le Dr Dauchy abonde dans le même sens : « Parce qu’ils n’ont pas les connaissances requises pour rédiger leurs directives anticipées, les personnes ont une saine réaction : elles ne s’en saisissent pas ». « Il faudrait que ces directives soient rédigées avec un médecin qui soit rémunéré pour le faire, ajoute le Dr Devalois. Mais le gouvernement, en 2016, s’y est opposé pour des raisons budgétaires. »

L’intérêt des discussions anticipées

Pour les soignants, la loi reste, en tout état de cause, une excellente occasion d’aborder le sujet de la fin de vie avec leurs patients. « En pratique, non seulement c’est rare que l’on dispose des directives anticipées, mais c’est rare que l’on ait à les utiliser. Parce qu’heureusement, souvent, on a pu en parler avant avec les patients qu’on suit », se félicite le Dr Dauchy.

Nathalie Langery est infirmière libérale, spécialement formée aux soins palliatifs. « Toutes les infirmières libérales ne connaissent pas la loi sur les directives anticipées dans le détail. Mais nous avons l’habitude d’aborder ces thématiques avec nos patients. Nous devons “attraper au vol”, au cours des soins, les occasions d’ouvrir le dialogue avec nos patients et les informer. » L’infirmière a déjà aidé une patiente à rédiger ses directives.

Les professionnels de santé doivent bien garder à l’esprit que les écrits des patients peuvent être actualisés (c’est toujours la version la plus récente des directives qui prime) et que le dialogue doit toujours rester ouvert. Car la fin de vie n’est pas linéaire. « La demande des patients n’est pas toujours stable : en fonction des circonstances, le désir de hâter la mort, par exemple, peut évoluer  », assure le Dr Dauchy.

Le Dr Devalois regrette la pression exercée sur les patients, et ce même dans certains hôpitaux, pour qu’ils rédigent des directives anticipées. « Le nombre de patients qui les rédigent est devenu un critère de qualité : plus il y en a, mieux c’est. Or, ce n’est pas un paramètre intéressant. Un indicateur qui donnerait le nombre de fois où les directives anticipées ne sont pas respectées, ça, ce serait éclairant. Ce ne sont de toute façon pas les directives anticipées qui vont régler le problème du mal mourir en France », conclut le médecin.