L'infirmière Libérale Magazine n° 345 du 01/03/2018

 

Cahier de formation

Savoir

Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, ou MICI(1), regroupent la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique, deux pathologies caractérisées par l’inflammation de la paroi de tout ou partie du tube digestif. Une personne sur mille est concernée, à part égale, par l’une des deux maladies. Majeur, leur impact sur la vie des patients doit être pris en compte d’emblée par les professionnels de santé impliqués dans la prise en charge thérapeutique et éducative.

CARACTÉRISTIQUES

Les MICI (prononcer “miki”) sont des maladies inflammatoires qui atteignent le tube digestif. Ces pathologies évoluent par poussées d’intensité et de fréquence variées. Ces poussées alternent avec des phases de rémission plus ou moins longues.

La maladie de Crohn (MC) peut siéger simultanément ou successivement sur un ou plusieurs segments du tractus digestif (voir le schéma ci-dessous), de la bouche à l’anus, avec une prépondérance pour l’intestin (85 % des cas). Ses principales localisations sont :

→ le côlon ascendant et une partie du côlon transverse (l’inflammation de ce segment est appelé colite) ;

→ le grêle terminal ou iléon (iléite) ;

→ l’iléon et le cæcum (iléo-colite).

Plus rarement, des lésions peuvent siéger sur l’estomac et le duodénum, ainsi que sur la partie basse du rectum et la partie interne de l’anus (lésions ano-périnéales)(2).

La rectocolite hémorragique (RCH) cible plus particulièrement le rectum et tout ou partie du côlon, mais ne s’étend jamais ni vers l’intestin grêle, ni vers l’anus et le périnée. Selon l’extension des lésions au niveau du côlon, on distingue trois types de localisation de la RCH(2) :

→ distale : la RCH atteint le rectum (rectite) ou le rectum et le sigmoïde (recto-sigmoïdite) ;

→ pancolique : la RCH touche le rectum et la totalité du côlon (pancolite) ;

→ intermédiaire : la RCH ne dépasse pas l’angle gauche du côlon.

Nature des lésions

Les lésions sont le plus souvent des ulcérations muqueuses d’un à quelques millimètres, linéaires ou en plaques, superficielles ou profondes. Elles sont discontinues dans la MC et continues dans la RCH. Dans la MC, elles peuvent se compliquer de sténoses ou de fistules.

Symptômes

Digestifs

En période de poussée, les MICI se manifestent principalement par des douleurs abdominales d’intensité variée et une diarrhée faite de selles fréquentes, parfois impérieuses, pouvant aller, en fonction de l’étendue des lésions et de la sévérité des crises, de 4 à 6 et jusqu’à 15 à 20 par jour(2). Les selles contiennent parfois des glaires et du sang. Ces pertes glairo-sanglantes sont plus fréquentes dans la RCH et peuvent prendre une forme hémorragique afécale (dépourvue de selles), accompagnée de douleurs rectales (ténesmes) en cas de RCH limitée au rectum et à l’anus. Les diarrhées et pertes sanglantes peuvent entraîner fatigue, amaigrissement, déshydratation et anémie. Elles peuvent être accompagnées de fièvre d’origine inflammatoire (formes graves) ou infectieuse (présence d’une complication telle qu’un abcès par exemple). Chez l’enfant et l’adolescent, les symptômes des MICI sont les mêmes que chez l’adulte et sont souvent responsables d’un retard de croissance, et/ou d’un retard de la puberté.

Extradigestifs

Les MICI peuvent se manifester par des symptômes inflammatoires extradigestifs, qui concernent prioritairement les articulations, la peau et l’œil, et secondairement la sphère hépato-biliaire (cf. tableau ci-contre). Un tiers environ des malades auront au moins une fois une lésion extradigestive au cours de leur maladie(2). « Ces manifestations extra-intestinales sont parfois au premier plan et peuvent même n’être accompagnée d’aucun signe digestif, indique le Pr Laurent Beaugerie, gastro-entérologe à l’AP-HP. Il est important de le savoir pour orienter le diagnostic différentiel vers les MICI ».(3)

Impact sur la qualité de vie

Une enquête réalisée auprès de 2 424 patients(4) montre que 66 % d’entre eux font état d’une fatigue handicapante ayant un impact sur les activités quotidiennes et des répercussions négatives sur les loisirs (78 %), la vie professionnelle (71 %), familiale (68 %) et intime (46 %).

CAUSES ET FACTEURS DE PRÉDISPOSITION

Réactions auto-immunes

Les MICI sont liées à une hyperactivité et à des anomalies de fonctionnement du système immunitaire digestif. Dans l’intestin circulent en permanence des antigènes qui, dans des conditions normales, génèrent une réponse immunitaire adéquate pour lutter contre cette agression. Dans les MICI, cette réponse immunitaire est déréglée et entraîne une cascade inflammatoire incontrôlée avec la libération de médiateurs inflammatoires (TNF-alpha : Tumor Necrosis Factor alpha, entre autres) qui se retournent contre l’organisme, et la muqueuse intestinale en particulier. L’origine de ces anomalies est mal connue mais des facteurs de prédisposition environnementaux et génétiques sont probablement en cause.

Facteurs génétiques

Une centaine de déterminants génétiques des MICI au total ont été découverts, mais ils semblent constituer un élément plutôt favorisant que déterminant dans l’apparition des MICI(5). Dans la MC, un facteur génétique de prédisposition lié en particulier à des anomalies du gène Nod2 est retrouvé chez 20 % des patients. Ce facteur de prédisposition existe également dans la RCH.

Facteurs environnementaux

Alors que le tabac joue un rôle nocif clairement démontré dans la maladie de Crohn (c’est un facteur de mauvais pronostic), il semble jouer un rôle « protecteur » dans la RCH. Celle-ci est en effet moins fréquente chez les fumeurs. De même, la RCH est très rare chez les patients ayant bénéficié d’une appendicectomie(2).

Facteurs alimentaires ?

Le rôle d’un facteur alimentaire dans la survenue des MICI n’a jamais été démontré. Néanmoins, de plus en plus de données épidémiologiques suggèrent que la carence en vitamine D pourrait jouer un rôle dans le développement et la sévérité des MICI. D’où la nécessité de poursuivre les investigations visant à déterminer l’intérêt thérapeutique de la vitamine D chez les patients qui en sont atteints(6).

Microbiote : un rôle clé ?

Des découvertes scientifiques récentes suggèrent qu’une écologie perturbée du microbiote intestinal dès l’enfance (dysbiose) pourrait être déterminante dans la genèse des MICI(5). Les personnes vivant avec une MICI présentent une dysbiose particulière, caractérisée par un manque relatif de certaines bactéries « anti-inflammatoires » (dont Faecalibacterium prausnitzii, la principale) et un excès de bactéries pathogènes, dont des souches d’Escherichia coli. L’étude de cette dysbiose constitue un axe majeur de la recherche médicale.

DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES

5 millions de personnes sont atteintes de MICI dans le monde, dont 3 millions en Europe et 250 000 en France(2). Ces maladies touchent les pays au mode de vie occidental, pays développés ou en développement gagnés par ce mode de vie. Cette répartition milite en faveur d’une place prépondérante de l’environnement dans l’épidémiologie des MICI et rend cohérente l’hypothèse selon laquelle l’évolution du microbiote pourrait être un élément explicatif central.

La maladie survient à tout âge mais s’installe le plus souvent chez des adultes jeunes (20-35 ans), avec un second pic de fréquence vers 60 ans. Les cas pédiatriques représentent 15 % des MICI. Les MICI affectent également les deux sexes ; toutefois, en 2015, sur l’ensemble des nouveaux inscrits en ALD (14 100 patients), 56 % étaient des femmes et 44 % des hommes(7).

DIAGNOSTIC : DIFFÉRENCIER LA MC DE LA RCH

Orientation clinique

Même si les MICI présentent des symptômes similaires, la RCH peut se différencier d’emblée par des pertes hémorragiques qui alertent les patients et les médecins et conduisent rapidement à consulter un spécialiste pour établir le diagnostic. Le risque de retard diagnostique est plus fréquent dans la MC, qui s’exprime davantage par des symptômes non spécifiques (maux de ventre, diarrhée modérée sans fièvre…). Toutefois, la sévérité des douleurs conduit de plus en plus fréquemment les patients vers les urgences, où la réalisation d’un scanner permet d’identifier des lésions de l’intestin et d’orienter les personnes vers un gastro-entérologue qui réalisera une endoscopie et pourra plus rapidement poser le diagnostic(3).

Examens

L’examen de référence pour poser le diagnostic de MICI et différencier MC et RCH est l’endoscopie(3). Il est généralement précédé d’examens biologiques (NFS, ionogramme sanguin, dosage de la CRP - protéine C réactive -, du fer, de la procalcitonine, et des vitamines B9, B12, D) à la recherche d’éléments objectifs témoignant d’un syndrome inflammatoire, de carences (anémie), voire d’une infection. Le dosage de la calprotectine fécale peut aider à différencier un syndrome de l’intestin irritable d’une MICI : cette protéine, sécrétée en cas d’inflammation, est retrouvée en grande quantité dans les selles des patients atteints de MICI. L’iléo-coloscopie avec biopsie systématique confirme le diagnostic et permet de différencier une MC d’une RCH. Dans la MC, une endoscopie haute de l’estomac et du duodénum est également nécessaire pour identifier l’étendue des lésions. Entéro-scanner ou entéro-IRM peuvent aussi être utiles au bilan d’extension.

Classification

Au terme de ce bilan et de l’évaluation endoscopique, la maladie est classée selon son degré d’activité (légère, modérée, sévère) à l’aide de scores : Crohn’s Disease Activity Index (CDAI) et Crohn Disease Endoscopic Index Score (CDEIS) pour la MC ; score de Mayo et Ulcerative Colitis Endoscopic Index of Severity (UCEIS) pour la RCH(8). Dans certains cas, il est impossible de déterminer s’il s’agit d’une RCH ou d’une MC du côlon. Ces MICI dites inclassées (environ 10 % des cas) n’entraînent pas une perte de chance pour les malades car elles relèvent globalement des mêmes traitements médicaux. Cela peut, dans les formes les plus sévères (5 % environ), orienter d’emblée le traitement vers l’ablation chirurgicale du côlon et du rectum(3).

PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE

La prise en charge thérapeutique a pour but de contrôler les symptômes à l’aide de traitements efficaces sur les poussées, et de prévenir les rechutes par l’obtention d’une rémission durable grâce à des traitements de fond. Ces derniers, pour certains mis en œuvre dans le même temps que le traitement de la poussée, sont plus longs à agir et permettent d’éviter la survenue de lésions irréversibles et handicapantes sur le plan fonctionnel (sténoses, fistules, abcès).

Traitements des poussées

Dérivés de l’acide aminosalicylique

Efficaces dans le traitement des poussées de RCH, les 5-ASA (mésalazine : Pentasa, Rowasa, Fivasa ; sulfasalazine : Salazopirine ; olsalazine : Dipentum) ne sont plus utilisés, ou de façon marginale, dans la MC, bien qu’ayant une AMM dans cette indication. Dans la RCH, ils sont administrés per os et peuvent être associés en fonction de la localisation de la maladie à des traitements aminosalicylés locaux sous forme de lavements (lésions remontant jusqu’à l’angle colique gauche) ou de suppositoires (lésions ne dépassant pas le rectum(3, 9). Ils peuvent également être poursuivis en traitement de fond dans les formes légères.

Corticothérapie

Traitements historiques des poussées, les corticoïdes per os (prednisone, prednisolone) ou locaux (voie rectale dans les formes distales), voire par voie intraveineuse (IV) à l’hôpital si besoin, sont indiqués dans la RCH lorsque les poussées sont d’intensité moyenne à sévère ou si elles ne cèdent pas au traitement par aminosalicylés.

Dans la MC, la cortisone est utilisée en première intention dès le premier épisode aigu d’intensité moyenne à sévère(10). Dans les formes iléales et iléo-coliques droites, le budésonide (Entocort, Mikicort), un corticoïde per os à action locale, est préféré à la corticothérapie systémique car son efficacité est plus ciblée du fait de sa libération iléale et colique droite. Depuis peu, le budésonide est aussi disponible pour la RCH (Cortiment).

D’une manière générale, les effets secondaires de la corticothérapie imposent de limiter sa prescription chez tous les patients à trois mois par an. Elle doit être rigoureusement encadrée chez l’enfant compte tenu du risque de ses retentissements sur la croissance.

Traitement « nutritionnel »

Il est parfois nécessaire, notamment au cours de la MC, s’il existe une dénutrition du patient ou des facteurs de risque de carences nutritionnelles (maladie sévère). Il peut être réalisé par voie entérale ou parentérale.Cette approche permet de mettre le système digestif totalement au repos et de favoriser l’action du traitement anti-inflammatoire.

Traitement chirurgical

Dans certains cas de MC, la poussée inaugurale se manifeste par une complication (occlusion, ulcère profond qui saigne, hémorragie non contrôlée, gros abcès autour de l’intestin grêle) qui impose d’opérer d’emblée en urgence(3).

Traitements de fond

Immunosuppresseurs (IMS)

Le traitement de fond de référence pour la MC et la RCH repose sur les thiopurines, dont le chef de file dans cette indication est l’azathioprine (Imurel).

Ce traitement per os bénéficie d’un retour d’expérience important (plus de cinquante ans). Il est utilisé dans 95 % des cas mais entraîne une intolérance immédiate dans environ 15 % des cas qui nécessite d’avoir recours à d’autres thiopurines hors AMM (6-mercaptopurine : Purinéthol). Dans la MC, l’alternative à l’Imurel peut aussi être le méthotrexate (hors AMM), en comprimés ou injections sous-cutanées hebdomadaires. Azathioprine ou méthotrexate peuvent être associés aux anti-TNFα (combothérapie) pour obtenir une meilleure efficacité(3), mais au risque d’effets indésirables plus importants.

Anti-TNFα

Ces biothérapies (anticorps monoclonaux), parfois utilisées dès la phase d’induction, permettent, en traitement d’entretien, de maintenir la rémission clinique des MICI. Administrés par voie IV ou sous-cutanée, l’infliximab (Remicade, réservé à l’usage hospitalier) et l’adalimumab (Humira) ont une efficacité démontrée dans la MC et la RCH. Le golimumab (Simponi) est quant à lui indiqué dans les formes modérées à sévères de RCH. Ces traitements peuvent être prescrits en monothérapie mais sont plus souvent associés aux IMS(3, 11).

Nouvelles molécules

Les anti-TNFα ont profondément modifié la prise en charge des MICI mais peuvent perdre de leur efficacité au fil du temps. L’organisme peut notamment fabriquer des anticorps (processus d’immunisation) contre l’anticorps monoclonal, ce qui met le traitement anti-TNFα en échec(3). Dans ce cas, mais aussi lorsque la réponse au traitement est insuffisante ou le patient intolérant, de nouvelles biothérapies (anticorps monoclonaux humains)(12) sont disponibles : le védolizumab (Entyvio, réservé à l’usage hospitalier) depuis 2014, un inhibiteur d’intégrine (protéine présente sur les lymphocytes T impliquée dans leur activation), et l’ustékinumab (Stelara) depuis 2016 :

→ le védolizumab dispose d’une AMM dans la RCH et la MC. Il est administré par voie IV en milieu hospitalier toutes les huit semaines en traitement d’entretien mais n’est plus remboursé dans la MC depuis janvier 2017 ;

→ l’ustékinumab n’est utilisé que dans la MC. Pour l’heure, il n’a pas d’indication dans la RCH. L’induction du traitement est réalisée par IV à l’hôpital mais les injections suivantes, en sous-cutané, sont faites en ambulatoire toutes les huit à douze semaines.

Stratégie thérapeutique

Elle consiste généralement en une escalade thérapeutique progressive dite de “step-up”, guidée par l’évaluation initiale de la maladie et par l’évaluation de la réponse aux traitements(11).

Autres traitements

Chirurgie

Indications

Dans la RCH, la chirurgie s’impose lorsque le traitement des fortes poussées est inefficace, et en cas de cancer et de dysplasie sévère. Elle consiste à réaliser une proctocolectomie (ablation du rectum et du côlon), qui peut être associée à la mise en place d’une stomie, parfois définitive. Le patient doit savoir que même avec un bon résultat fonctionnel, des selles liquides fréquentes (6 à 8 par jour) voire des selles avec fuites peuvent survenir. En outre, la RCH revient à distance sous forme d’une inflammation du réservoir iléal créé en guise de rectum (pochite)(3).

Dans la MC, l’intérêt de la chirurgie se discute à chaque étape de l’escalade thérapeutique. Toutefois, il est important d’avertir le patient que la chirurgie ne guérit pas la maladie et que celle-ci réapparaît assez vite (petites lésions visibles à l’endoscopie), ce qui implique de poursuivre les autres traitements(3).

Le risque d’une opération dans les trente ans est de l’ordre de 60 à 80 % dans la MC. Dans la RCH, le risque de subir une proctocolectomie est de 1 % par an(3).

Soins postopératoires

Bien que les interventions soient de plus en plus réalisées sous cœlioscopie afin de minimiser les cicatrices, elles peuvent nécessiter des soins infirmiers à domicile assez prolongés, en cas de mise à plat d’un abcès de l’anus, de résection du côlon associée à une stomie temporaire ou définitive (voir encadré page de gauche) ou encore de mise en place de sétons(13) pour drainer une fistule, par exemple. Au-delà des soins, les Idels ont un rôle d’accompagnement important, notamment en cas de pose de stomie. Il est souvent nécessaire de rappeler que les stomies sont, la plupart du temps, provisoires. Les stomies définitives restent rares puisqu’elles ne concernent que 5 à 10 % des patients dans la MC (ablation de l’anus et du rectum) et moins de 5 % dans la RCH (proctocolectomie compliquée)(3).

Antibiothérapie

Elle est utilisée en cas d’infections dans la MC (abcès de l’anus, par exemple) et en cas de pochite (inflammation du réservoir iléal après anastomose iléo-anale) dans la RCH.

Alimentation et régimes

L’alimentation n’influence pas le cours des MICI. Aucun interdit alimentaire ni régime type ne permet de soulager ou de prévenir une poussée inflammatoire, ou de maintenir une rémission(2, 3). L’alimentation ne peut donc en aucun cas se substituer aux traitements médicaux. Toutefois, en cas de poussée sévère, un régime d’épargne intestinale dit sans résidu(14) peut être prescrit transitoirement afin de mettre le système digestif au repos. Au quotidien, l’alimentation doit rester équilibrée. À la question : « Que puis-je manger avec ma MICI », l’Idel doit conseiller au patient de manger ce qu’il supporte et ce qu’il digère dans le cadre d’une alimentation qualitativement variée et quantitativement suffisante(15). Elle peut également inciter les patients à privilégier certains aliments en cas de diarrhées et de poussées, à préparer et cuisiner les aliments en favorisant les cuissons vapeur plus digestes, à fractionner les prises alimentaires sur la journée et à mastiquer longuement les aliments pour favoriser leur prédigestion.

À noter : l’Association François-Aupetit (Afa) dispose d’une diététicienne que les patients adhérents peuvent contacter tous les mardis, de 14 à 18 heures, au 01 42 00 00 40 ou par courriel (nutrition@afa.asso.fr).

L’anémie par carence martiale

La présence d’une MICI impose une surveillance au long cours de la ferritine une ou deux fois par an afin de s’assurer que le patient n’est pas anémié, voire simplement carencé en fer. Il est en effet admis en 2018 qu’une carence martiale isolée (sans anémie) peut, à elle seule, être cause de fatigue et péjorative pour le patient(3). Il faut donc la traiter efficacement à l’aide d’une supplémentation en fer per os.

Traitements symptomatiques

→ L’aspirine et les AINS sont déconseillés chez les patients atteints de MICI car ils sont susceptibles de déclencher des poussées. Les Idels peuvent utilement le signaler ou le rappeler.

→ Les antidiarrhéiques (diosmédite : Smecta, lopéramide : Imodium) sont largement utilisés.

Place des cures thermales ?

Bien que non scientifiquement validées sur le plan médical, les cures thermales ont une efficacité placebo réelle mais ne modifient pas le cours de la maladie. D’une durée de trois semaines, elles sont prises en charge à 100 % dans le cadre de l’ALD après demande préalable du médecin traitant. Leur bénéfice sur les formes légères à modérées a été montré par quelques études réalisées par des stations thermales (voir encadré page précédente) proposant des soins spécifiques aux MICI : douches, bains, massages sous l’eau, cataplasme d’argile, pulvérisations anales et périnéales, boisson, goutte-à-goutte intestinal… Les soins externes sont en général à visée antalgique et antispasmodique, la cure interne ayant un rôle de désinfection, de cicatrisation, de rééducation ano-rectale(2).

À noter : les MICI en poussées ou mal équilibrées sont une contre-indication aux cures thermales(2).

Effets secondaires des traitements

Au-delà des effets secondaires de la corticothérapie (irritabilité, insomnie, prise de poids, risque de décompensation de maladie psychiatrique et de diabète, ostéoporose), les principaux effets indésirables des traitements des MICI sont liés aux immunosuppresseurs et aux anti-TNFα.

Azathioprine

L’usage de l’azathioprine nécessite une surveillance régulière de l’hémogramme en raison de troubles hématologiques (myélosuppression, thrombopénie). Sur le long terme, elle peut favoriser certains types de lymphomes liés à l’infection par le virus d’Epstein-Barr (EBV). Elle accroît aussi la vulnérabilité de la peau et le risque de cancer basocellulaire, moins agressif que les mélanomes. Ces risques sont bien maîtrisés en évitant de prescrire l’Imurel aux hommes âgés et aux jeunes indemnes de mononucléose infectieuse (infection par l’EBV), et en mettant en place une protection solaire efficace.

Anti-TNFα

Ils augmentent le risque d’infections virales et bactériennes, avec notamment le risque de réactivation d’une tuberculose latente. Ils favorisent les infections opportunistes et la pneumocystose. Le risque infectieux est d’autant plus important que d’autres traitements IMS sont associés à l’anti-TNFα : corticothérapie, azathioprine… Un ensemble d’examens doit être réalisé afin de rechercher une infection latente (tuberculose, VIH, VHB…) qui contre-indiquerait la mise en route du traitement. Des cas d’insuffisance cardiaque et de maladies neurologiques démyélinisantes sont rapportés, ce qui implique aussi de vérifier l’absence de maladie cardiaque sévère ou neurologique (SEP…). Enfin, les anti-TNFα augmentent légèrement le risque de lymphome et de mélanome et ne doivent pas être prescrits chez les patients ayant des antécédents de mélanome(3).

Nouvelles biothérapies (védolizumab, ustékinumab)

Elles sont associées à des infections des voies aériennes supérieures et ORL sans gravité et à des céphalées, nausées et myalgies consécutives aux injections. Le risque de cancer solide n’est pas augmenté(12).

Recherche : quelles perspectives ?

Actuellement, les deux principaux axes de recherche thérapeutique concernent les probiotiques et la transplantation fécale.

→ L’intérêt des probiotiques (micro-organismes vivants - bactéries ou levures - améliorant l’équilibre de la flore intestinale) n’est pas démontré, sauf pour une préparation en particulier (le mélange VSL#3, associant 8 souches de probiotiques), non disponible en France et utilisée dans la RCH en cas de pochite. Certains patients essayent toutefois des associations de probiotiques sous la forme de compléments alimentaires et s’en trouvent, pour certains, satisfaits. Quant aux prébiotiques (aliments dont la fermentation favorise la croissance ou l’activité des bactéries intestinales bénéfiques à la santé), les études n’ont pas montré à ce jour un effet favorable sur les MICI. Ils auraient même tendance à aggraver les symptômes(3).

→ Les spécialistes fondent beaucoup d’espoir dans les recherches portant sur la transplantation de microbiote fécal (TF) en vue de restaurer la flore intestinale. Cette technique consiste à administrer par lavements ou par coloscopie un extrait de selle d’un « donneur », proche ou anonyme, après avoir vérifié l’absence d’agent pathogène. Dans la RCH, une dizaine d’essais ont récemment montré que cette technique pourrait avoir une efficacité et, dans la MC, le service du Pr Beaugerie va publier les premiers résultats d’essais expérimentaux courant 2018. Toutefois, de nombreuses questions subsistent sur cette technique, qui suscite beaucoup d’espoirs chez les patients mais qui n’est encore ni maîtrisée, ni validée. Une des questions concerne notamment les potentiels effets secondaires à distance de la TF.

En outre, la technique repose actuellement sur des lavements, qui ne peuvent pas constituer un traitement courant. Il faudra donc attendre, pour en généraliser le principe, de progresser sur les vecteurs de la flore afin de remplacer les lavements par des condensés de flore en gélules, moins invasifs. Des résultats concluants dans la RCH peuvent être espérés d’ici trois à cinq ans.

COMPLICATIONS LIÉES À LA MALADIE

L’inflammation peut être à l’origine de complications aiguës, subaiguës, voire chroniques, dont certaines constituent des urgences thérapeutiques (voir encadré page de gauche). En outre, les deux maladies présentent un surrisque de cancérisation, directement lié à l’inflammation chronique et prolongée du tissu intestinal.

Ainsi, en cas d’atteinte colique étendue évoluant depuis plusieurs années, il existe un risque augmenté de cancer colorectal. Par exemple, les jeunes patients qui développent d’emblée une pancolite (inflammation de tout le côlon) ont un risque de développer un cancer du côlon au cours de leur vie qui peut atteindre 30 %, comparé à un risque de 4 % en population générale(3). En cas de cholangite (inflammation des voies biliaires), le risque de cancérisation est de 1 % par an. Une surveillance préventive permet de détecter cette complication à un stade curable. Certains traitements, par leur effet anti-inflammatoire mais aussi par leur effet propre (5-ASA), peuvent limiter le risque de cancérisation(3). C’est la raison pour laquelle ils sont privilégiés dans les formes de RCH à haut risque de cancer du côlon (RCH anciennes et étendues).

SURVEILLANCE ET SUIVI

Un suivi médical semestriel est requis dès l’instauration du traitement et l’avis d’un gastroentérologue conseillé une fois par an(8, 10). Dans l’intervalle, tout signe infectieux survenant au cours d’une corticothérapie, d’un traitement IMS ou par anti-TNFα impose une consultation médicale. Une surveillance endoscopique et des examens d’imagerie peuvent être programmés par le spécialiste pour détecter une dysplasie précancéreuse et juger de l’évolution, de la sévérité et de l’étendue des lésions en cas de poussée. La pénibilité de ces maladies et leur retentissement sur la qualité de vie requièrent de considérer leur impact psychologique, de proposer un suivi spécifique lorsqu’il est nécessaire, et d’orienter les patients vers des séances d’éducation thérapeutique du patient (ETP) afin de les aider à devenir acteur de leur prise en charge. Certains centres hospitalo-universitaires à Paris ou en région proposent des programmes associant soignants et patients experts de l’Association François-Aupetit(16).

(1) Le terme MICI sera utilisé, dans ce cahier de formation, pour toutes les données communes aux deux pathologies.

(2) Association François-Aupetit, www.afa.asso.fr

(3) Entretien avec le professeur.

(4) Carole Lesage, Hervé Hagège, Gilbert Tucat, Jean-Pierre Gendre, « Regards sur les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) », enquête nationale Afa/TNS Healthcare, résultats 2008 (lien : bit.ly/2EKRQW6).

(5) Laurent Beaugerie, « Traiter la maladie de Crohn en changeant nos bactéries  », Actualités de la recherche 2012, Afa, juin 2012 (lien : bit.ly/2nP0qer).

(6) Venigalla Pratap Mouli, Ashwin N. Ananthakrishnan, « Review article : vitamin D and in_ammatory bowel diseases », Alimentary, pharmacology & therapeutics, 2014, 39, pp. 125-136 (lien : bit.ly/2BYNCr0).

(7) Observatoire des MICI (bit.ly/2EGI7A9).

(8) Association française de formation médicale continue en hépato-gastro-entérologie (lien : http://bit.ly/2EJD2r3).

(9) Haute Autorité de santé (HAS), « Rectocolite hémorragique évolutive », Guide ALD, mai 2008 (lien : bit.ly/2GOTcjj).

(10) HAS, « Maladie de Crohn », Guide ALD, mai 2008 (lien : bit.ly/2E6Urgg).

(11) Clémentine Farré, Benjamin Pariente, « Traiter les MICI », La Revue du praticien Médecine générale, 2017, 31 (981), pp. 375-381.

(12) Le védolizumab et l’ustékinumab ont été développés afin de diminuer encore plus l’immunogénicité des anticorps monoclonaux (source : infoCancer, bit.ly/2nQTuOf).

(13) Le séton est un drain à double extrémité permettant d’évacuer les sécrétions sanglantes ou purulentes d’une plaie profonde.

(14) Un régime sans résidu doit supprimer tous les aliments susceptibles d’irriter ou d’occlure le côlon, à savoir les fibres alimentaires (fruits, légumes, noix, graines, céréales complètes) mais aussi les fritures, charcuteries, sauces et laitages à l’exception des fromages à pâte cuite.

(15) Source : Afa (bit.ly/2E4XXDE).

(16) L’Afa est partenaire de plusieurs équipes médicales et participe à l’élaboration de leur programme d’ETP en ville ou à l’hôpital. Ses bénévoles experts (formation validante en ETP de 40 heures ou DU) peuvent intervenir aux côtés des professionnels de santé, en coanimation dans des séances de groupe ou en binôme dans les entretiens individuels. Pour plus d’informations : info-accueil@afa.asso.fr

Témoignage

Stomie : penser au partage d’expériences

Corinne Devos, patiente experte au sein de l’Association François-Aupetit, intervenante en ETP dans différents hôpitaux (Saint-Louis, Bicêtre, Beaujon, Avicenne, AP-HP…) en lien avec les équipes soignantes.

« La perspective d’une stomie, qu’elle soit temporaire ou définitive, est anxiogène et nécessite de rassurer les patients sur l’étanchéité des appareillages (ceux-ci permettent de se doucher et de se baigner), la facilité des soins d’hygiène (laver uniquement à l’eau et au savon), la possibilité de pratiquer une activité physique (sauf sports violents), de voyager (anticiper en préparant le matériel nécessaire) et de s’alimenter normalement à distance de l’intervention (quelques jours après). En pratique, le vécu des stomisés est « individu-dépendant ». Pour certains, l’acception de la poche externe est très difficile. Pour d’autres, elle améliore considérablement leur qualité de vie car elle leur permet d’avoir à nouveau une vie sociale, de pouvoir s’alimenter sans crainte et de ne plus redouter les diarrhées intempestives, ce qui compense les désagréments de la poche. Il est donc impossible de banaliser et de généraliser. Idéalement, l’accompagnement par un (e) stomathérapeute* permet de faire le point sur tous les aspects liés à la vie avec une stomie, avant et après l’intervention. Toutefois, il n’est pas rare de voir des patients appareillés qui n’en n’ont jamais vu. Lorsqu’ils nous contactent, nous leur proposons de les mettre en relation avec des patients stomisés référents, ce qui est très apprécié car aucun discours médical ni aucune séance d’ETP ne remplacent le partage d’expériences vécues dans ce cas. En local, la Fédération des stomisés de France (voir partie « Savoir plus », p. 48) peut également apporter son soutien aux patients stomisés. C’est vraiment le meilleur moyen de savoir à quoi ils doivent s’attendre dans la vraie vie. »

* Liste disponible auprès de l’Association française d’entérostomathérapeutes (AFET) : www.afet.asso.fr

Intérêt des cures thermales dans les MICI

En 2004, les thermes de Plombières-les-Bains (Vosges) ont réalisé une étude sur 50 curistes d’âge moyen de 58 ans, pour moitié atteints de MC et pour moitié de RCH. Avant la cure, 52 % des patients disaient avoir une mauvaise qualité de vie (QDV), un patient la jugeait « bonne », aucun « très bonne ». Après la cure, 80 % des patients estiment leur QDV bonne à très bonne.

Actuellement, trois stations proposent des cures pour cette indication :

→ Châtel-Guyon : www.thermesdechatel-guyon.fr/

→ Plombières-les-Bains : www.plombieres-les-bains.com/cures-thermales/

→ Castéra-Verduzan : www.thermes-gers.com/

Source : Société de médecine de Plombières-les-Bains, « Le traitement thermal à Plombières des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) », La Presse thermale et climatique, 2005, 142, pp. 241-245, citée par l’Afa sur son site (lien : bit.ly/2ElJkPH)

Je cote à la nomenclature

→ Injection d’immuno-suppresseur : AMI 1,5 + MAU

→ Pansement de stomie (patient non autonome) : AMI 2

→ Surveillance et observation d’un patient lors de la mise en œuvre d’un traitement ou lors de la modification de celui-ci, sauf pour les patients diabétiques insulino-dépendants, avec établissement d’une fiche de surveillance, avec un maximum de quinze jours, par jour : AMI 1 + MAU