L'infirmière Libérale Magazine n° 345 du 01/03/2018

 

RECRUTEMENT AU CABINET

Sur le terrain

Enquête

Olivier Blanchard*   Emmanuel Kerner**  

Des conflits entre collègues se terminent devant l’Ordre. Sans en arriver là, trouver un confrère avec qui l’on s’entend bien est essentiel à l’équilibre professionnel mais aussi privé. Pourtant, il ne suffit pas (toujours) de passer une simple annonce sur Internet pour réussir un recrutement. Nos conseils et ceux d’une coach pour ce moment clé de la vie du cabinet.

Les mythologies professionnelles ont la peau dure. Celle de la collègue « rencontrée par hasard, avec qui on s’est tapé dans la main et avec qui cela a toujours bien fonctionné » est peut-être l’une des plus vivaces. Mais si l’infirmière libérale décide de ne pas compter sur le seul destin, un recrutement peut se construire, plus méthodiquement, en plusieurs étapes.

Étape 1 : définir le profil du collègue idéal

Cette étape peut s’avérer compliquée. Elle requiert de bien réfléchir et d’identifier au mieux, seul ou avec ses éventuels associés, les besoins et les envies en termes de recrutement. Pour synthétiser toutes ces informations, il est possible de remplir une fiche de synthèse de recrutement (voir un modèle p. 62). Le projet que l’on dessine a deux parties : une première centrée sur son besoin pratique (type de contrat, date de début, date éventuelle de fin, nombre de jours, horaires, roulement, etc.), puis une deuxième partie pour imaginer le profil du candidat idéal (expérience souhaitée, disponibilité attendue, etc.). Il est recommandé de prendre en compte le savoir-être. Ingrid Wolff, coach en recrutement pour le cabinet Yosadi, conseille ainsi de terminer la fiche de recrutement en s’inspirant des attitudes professionnelles d’Henri Boudreault, professeur d’éducation et de formation spécialisée à l’Université du Québec à Montréal (lire la référence en encadré p. 62). « Le but est de repérer quelles sont les deux ou trois attitudes qui semblent les plus importantes chez le futur collègue. » Ce profil va diriger tout le recrutement. Il n’est pas question de juger les futurs candidats mais de trouver celui avec qui le travail sera le plus facile. « Pour vous aider à définir le type de personnalité dont vous aimez vous entourer, il suffit de regarder vos amis autour de vous, recommande la coach. En général, il n’y a pas de secret, on apprécie toujours un peu le même genre de personne. »

Étape 2 : lancer la recherche

Une fois la fiche de recrutement remplie, on peut commencer par voir si des collègues proches sont intéressé (e) s. à l’image d’une collaboratrice qui voudrait faire plus de jours, ou d’une remplaçante régulière qui souhaiterait s’investir davantage dans le cabinet. Ensuite, on rédige une annonce de recrutement. En prenant son temps pour la soigner : elle va être rendue publique et donc donner une image du cabinet (les autres cabinets infirmiers, voire médicaux, lisent ces annonces). Dès cette étape, veiller à respecter l’article L 1132-1 du Code du travail. Il rappelle que nul ne peut ne peut être écarté d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage « en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de sa particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d’autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français ».

Étape 3 : accueillir les candidatures

Le premier contact avec les candidats déclarés se fait le plus souvent par téléphone. Il n’y a alors qu’un temps limité pour faire le “tri” entre les dossiers de ceux que l’on va convoquer en entretien (plutôt deux ou trois IDE au maximum) et ceux dont le profil ne fera pas l’affaire. Lorsqu’un collègue appelle, le plus simple est de convenir tout de suite avec lui d’un autre rendez-vous téléphonique, cette fois au calme. Là, il faudra commencer par lui expliquer la démarche en cours et lui rappeler, afin qu’il ne tire pas de conclusion hâtive, que cet entretien n’est qu’une étape. C’est pendant ce premier entretien que l’on passera en revue toutes les contraintes du poste pour s’assurer que le candidat correspond bien au profil recherché (en termes de disponibilité, de situation administrative, etc.). Ensuite, comment repérer celui ou celle que l’on va recevoir en entretien ? « En ayant anticipé avec des questions test en lien avec les attitudes professionnelles qui vous semblent essentielles, propose Ingrid Wolff. Par exemple, si vous voulez quelqu’un de débrouillard, proposez-lui une situation où vous avez dû l’être et demandez-lui ce qu’il aurait fait, idem pour quelqu’un de ponctuel, etc. » Attention à ne pas induire la réponse dans la façon dont vous posez la question : mieux vaut privilégier les questions ouvertes (« Il arrive ceci, qu’est-ce que vous faites ? ») et laisser la personne exprimer son point de vue. Après l’entretien, quelle que soit la décision, il faudra la prévenir dans un délai maximal convenu avec elle, par exemple quinze jours.

Étape 4 : mener à bien l’entretien individuel

C’est l’ultime étape et, là encore, il ne faut négliger aucun détail. Déjà en choisissant le lieu, qui devra être calme pour bien s’entendre, mais aussi discret puisque seront abordés des sujets personnels. Domicile, café d’en bas, cabinet… : le lieu choisi renvoie aussi, à des inconnus, une image du type de collègues que l’on sera

Ingrid Wolff souligne par ailleurs que le positionnement par rapport au candidat pendant l’entretien est important : « Pour ce type de rencontre, ce n’est pas la peine de marquer une distance hiérarchique en s’asseyant chacun d’un côté d’un bureau. Le but de cette rencontre est de faire parler l’autre. Il est donc important, par exemple en s’asseyant près de lui, de lui faire comprendre que vous n’êtes pas là pour le juger. » On doit aussi prévenir le collègue que ce rendez-vous risque d’être relativement long. « Normalement, il doit durer au moins quarante-cinq minutes. C’est le minimum si vous voulez voir un peu qui est la personne. En effet, il faut qu’elle baisse ses défenses et oublie la situation de recrutement, ce qui demande au moins trente minutes. Sinon, elle va être concentrée et va vous répondre ce que vous voulez entendre… » Enfin, le but de cet entretien est d’évaluer si les valeurs professionnelles du candidat sont conformes à celles recherchées. Il est alors utile… de se taire. « En fait, c’est très simple : vous êtes là pour faire connaissance, donc faites-le parler de lui et de son parcours en le relançant simplement de temps en temps. Montrez que vous vous intéressez à lui en tant que personne. Je ne suis pas partisane des questions tests à ce moment-là parce qu’elles risquent toujours de casser la relation que vous essayez de nouer. Normalement, si la personne est devant vous, c’est que vous avez déjà éliminé toutes les questions techniques et qu’il ne reste qu’à faire connaissance et à choisir. Si elle vous pose des questions précises sur le poste, réservez-les plutôt pour un petit temps, à la fin de l’entretien, pour faire un dernier point. »

Étape 5 : choisir le meilleur candidat

Une fois les entretiens terminés, comment être sûr de choisir le bon candidat ? « Quand cela se passe bien, on le sent assez rapidement, rassure Ingrid Wolff. Cependant, il faut toujours se laisser un peu de temps après l’entrevue pour revoir à froid toutes les notes que l’on a prises. C’est important à ce moment-là de bien revenir aux critères que l’on avait établis au départ et de bien vérifier que la personne y corresponde, notamment pour ne pas se laisser troubler par une personnalité chaleureuse et avec qui l’entretien a été agréable mais qui ne correspond peut-être pas à ce que l’on cherche vraiment… » Il n’y a donc plus qu’à faire son choix en reprenant sa fiche de recrutement. Question de prudence, il vaut mieux attendre que la personne qu’on a sélectionnée ait accepté le poste avant d’informer les autres collègues qu’on a rencontrés que leur candidature n’est pas retenue.

Comment se faire aider

Le recrutement est un art délicat. Les grandes entreprises, par exemple, utilisent les services de structures spécialisées. Mais les indépendants peuvent profiter de l’expertise de cabinets de recrutement. On peut leur confier soit l’intégralité du recrutement, soit, plus fréquemment, uniquement certaines tâches comme une aide à la formulation de son souhait ou bien un deuxième entretien final pour vérifier que les candidats correspondent bien au besoin exprimé. Le budget pour un recrutement complet est de 1 500 € minimum. En ne déléguant que certaines étapes, on peut descendre en dessous de 1 000 €. Le prix à payer pour être sûr de faire le bon choix ?

UN EXEMPLE DE FICHE DE SYNTHÈSE

Recrutement d’une infirmière libérale

Définition du besoin objectif

• Type de contrat (remplaçante, collaboratrice, associée)

• Date de début effectif

• Date de fin

• Nombre de jours travaillés par mois/par an

• Nombre de week-ends travaillés par mois/par an

• Horaires et roulement

• Chiffre d’affaires journalier moyen

• Taux de rétrocession

• Secteur d’intervention

• Besoin d’être disponible la nuit régulièrement ou exceptionnellement ?

• Autonomie nécessaire dans la facturation ?

• …

Définition du souhait personnel

• Quelle expérience souhaitée par l’Idel recruteuse ?

• La candidate a-t-elle besoin d’une formation particulière ? Si oui, est-elle prête à se former ?

• Parler une langue étrangère serait-il un plus ? Laquelle ?

• Quels sont les moyens pour la joindre souhaités ?

• A-t-elle besoin d’un moyen de locomotion ? Lequel ?

• Trois attitudes professionnelles indispensables souhaitées

• …

en savoir +

didapro.me

Le blog d’Henri Boudreault. Et notamment sa page sur les attitudes professionnelles (lien : bit.ly/2oeVdha).

Réussissez vos recrutements

Jean-Christophe Durieux et Hannah Besser

Éditions ESF, collection formation permanente, 2007. 24,35 €.

Ingrid Wolff coach en recrutement ingrid.wolff@yosadi.com