L'infirmière Libérale Magazine n° 345 du 01/03/2018

 

Cahier de formation

Savoir faire

UN VÉCU SOUVENT NÉGLIGÉ

L’étude de l’Observatoire national des MICI(1) montre que 30 % des répondants présentent des troubles anxieux et 50 % des symptômes de dépression ; 53 % des patients disent avoir des difficultés à avoir une vie amoureuse du fait de la maladie et un sur quatre a renoncé à avoir des ou d’autres enfants. « L’une des plaintes récurrentes des patients a trait au manque d’écoute et de compréhension quant à ce qu’ils vivent au quotidien, constate Corinne Devos, patiente-experte de l’Association François-Aupetit (Afa), au regard de ce qu’expriment régulièrement les malades. Certes, le médecin entend que le patient a douze diarrhées par jour mais il ne mesure pas en quoi ces diarrhées, les contraintes liées à la maladie (poser des RTT à longueur de temps pour les consultations, les perfusions et les examens) et la fatigue extrême dont le patient ne récupère jamais sont en train de saccager sa vie personnelle, professionnelle, familiale, sentimentale et sociale. » Cette incompréhension ajoute à l’isolement et explique pourquoi les patients revendiquent une prise en charge globale. « Ils ne veulent plus être considérés comme un intestin, un organe qu’on soigne, un problème médical à gérer, confirme Anne Buisson, directrice adjointe de l’Afa. Ils ont besoin et réclament d’être entendus dans leur globalité et le vécu de leur maladie. »

UNE MALADIE ENCORE TABOUE

Une reconnaissance globale sur le plan médical est d’autant plus importante que les patients n’osent parler de leur handicap à personne tant il est difficile d’évoquer une maladie qui se manifeste par une profusion de selles. « Il y a une dimension régressive associée au fait que la maladie ramène à la perte de contrôle du corps, poursuit Corinne Devos. Les patients préfèrent taire leur handicap et sont par conséquent très vite catalogués comme des “tire-au-flanc” parce que les absences se répètent, qu’ils sont toujours fatigués ou qu’ils quittent leur poste dix fois par jour pour aller aux toilettes, ce qui nuit à leur productivité. » C’est la raison pour laquelle les ateliers d’ETP consacrent un temps à la question : « Comment, quand et à qui parler de sa maladie ? » « Il n’y a pas de réponse univoque, commente Anne Buisson. Il faut étudier les situations au cas par cas, mais nous constatons que moins les patients parlent de leur maladie en cherchant à masquer leurs problèmes par des stratégies de compensation, plus ils s’enferment et s’isolent dans leurs difficultés. Il est donc important de les aider à déterminer quand et à qui en parler, en quels termes et pour quelles finalités. » Il en est de même pour la reconnaissance du handicap. L’Afa les incite à faire cette démarche assez tôt afin qu’ils puissent, le moment venu et si nécessaire, faire valoir ce statut pour négocier un aménagement de poste, une requalification ou une formation de réorientation professionnelle.

GÉRER LE BESOIN DE TOILETTES

En période de poussée, les patients sont dans l’obligation d’anticiper en permanence la présence de toilettes, où qu’ils soient. Cette problématique d’accès aux toilettes constitue un frein aux déplacements, à la vie professionnelle, à la vie sociale, aux voyages. C’est la raison pour laquelle, parmi les aides qu’elle propose (voir encadré ci-dessous, l’Afa a mis en place une carte « Urgence toilettes ». « Cette carte n’a pas de valeur légale officielle, comme la carte “Handicap”, précise Anne Buisson. Toutefois, elle facilite l’accès aux toilettes dans le cadre des conventions signées partout en France par les délégués régionaux de l’Afa avec les syndicats de cafetiers, les commerçants et les municipalités. De même, nous militons pour l’installation et la réouverture des toilettes publiques dans certaines grandes villes. »

OSER ABORDER LE TROUBLE SEXUEL

Une étude récemment publiée montre que 54 % des femmes et 43 % des hommes souffrant de MICI présentent une vie sexuelle perturbée(2). « Si certains présentent des lésions périnéales qui rendent physiquement les rapports impossibles, explique l’IDE Sandra Orempuller, le plus souvent, l’impact des MICI sur la vie sexuelle des patients est lié à la fatigue, associée à l’anémie, l’anxiété et la dépression, et au fait qu’ils ont d’eux-mêmes une image extrêmement dégradée qui entraîne une incapacité à utiliser le langage du corps. Dès lors, la sexualité devient totalement secondaire, voire inexistante, ce qui peut provoquer des séparations, conduire à des divorces. » Il est important que les patients s’expriment sur ce sujet, d’autant que les séances d’ETP sont ouvertes aux couples. En parler permet de reconsidérer le traitement, si possible, mais aussi de renouer le dialogue entre les partenaires, de lever des non-dits et de les orienter si nécessaire vers une prise en charge spécialisée. Dans ce contexte, la présence des patients-experts est très utile pour libérer la parole et installer un climat de confiance en s’appuyant sur un vécu auquel les patients peuvent s’identifier.

(1) Carole Lesage, Hervé Hagège, Gilbert Tucat, Jean-Pierre Gendre, « Regards sur les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) », résultats 2008 (lien : bit.ly/2EKRQW6).

(2) Pauline Rivière, Camille Zallot, Patrick Desobry, Jean-Marc Sabate, Julien Vergniol, Franck Zerbib et al., « Frequency of and factors associated with sexual dysfunction in patients with inflammatory bowel disease », Journal of Crohn’s and Colitis, 2017, 11, pp. 1347-1352 (lien : bit.ly/2BH3XVG).

Cas pratique

Vous prenez en charge les soins de stomie de Mme R., 39 ans, à la suite d’une résection partielle du côlon. Elle fond en larmes et finit par vous confier que sa maladie retentit sévèrement sur sa vie intime, que ses relations conjugales en souffrent et qu’elle n’ose pas en parler à son médecin. Celui-ci n’évoque jamais les retentissements de la maladie sur la vie de sa patiente.

Vous lui expliquez que c’est assez courant mais qu’elle ne doit pas s’isoler. Vous lui conseillez d’en informer son médecin et l’encouragez à aborder ce sujet à la prochaine séance d’ETP.

L’Association François-Aupetit (Afa) : aide, soutien, conseil

Au-delà de la carte « Urgence toilettes », l’Afa, seule association de patients dans le champ des MICI, met de nombreux services à disposition de ses adhérents :

→ des assistantes sociales pour les questions relatives aux démarches : reconnaissance du handicap, dossier PAI (projet d’accueil individualisé) ;

→ des diététiciennes pour répondre aux questions relatives à l’alimentation ;

→ des parrains d’emploi (malades formés aux droits sociaux et professionnels) pour accompagner les personnes confrontées à des difficultés professionnelles ;

→ des patients experts (PE) qui assurent du coaching santé soit individuel à l’Afa, soit en milieu hospitalier ;

→ des groupes de paroles « Micidiscuss », animés par un patient-expert et un professionnel de santé ;

→ une page Facebook et des brochures dédiées à l’information des adolescents ;

→ un stage annuel pour les adolescents sous forme de camp de vacances, avec ETP le matin et activités l’après-midi ;

→ des séjours famille (trois jours) pour permettre aux membres de la famille d’échanger et de partager autrement sur la maladie.

« Il est très important que les soignants relaient très tôt auprès des patients l’existence de l’Afa, commente Anne Buisson, directrice adjointe de l’association. Non seulement pour que ceux-ci puissent bénéficier de ses services, mais aussi parce qu’on a mis en évidence à travers une enquête* que les patients qui font cette démarche sont les mieux informés et les plus impliqués dans leur maladie, mais aussi les plus observants. »

* Stéphane Nahon, Pierre Lahmek, Catherine Saas, Christelle Durance, Alain Olympie, Jean-Pierre Gendre, « Enquête “Observance et précarité” : facteurs associés à l’observance thérapeutique au cours des MICI », Afa, 2010.