Quand elle ne prend pas en charge ses patients, à Toulouse, Christine Tatareau milite contre l’homophobie. Et comme si cela ne suffisait pas à remplir ses journées, elle est membre de divers collectifs locaux d’Idels et de l’association Unidel. Et a commencé une formation en kinésiologie.
« Je suis hyperactive », confie Christine, 42 ans, en s’asseyant dans le troquet où nous la rencontrons juste avant une réunion de SOS homophobie. On la croit sans peine : entre son cabinet d’infirmière du faubourg Bonnefoy, au nord de Toulouse (Haute-Garonne), ses multiples engagements associatifs et une formation en kinésiologie débutée en septembre, il doit lui rester bien peu de temps pour sa vie personnelle. Celle-ci doit bien exister, mais Christine préfère ne pas en parler. Elle a mieux à faire.
Pour cette soignante qui milite comme elle respire, l’associatif est avant tout une manière d’aider ceux qui en ont besoin. « J’ai commencé à m’engager pour les droits des LGBT [lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres] quand j’ai fait mon coming-out, se souvient-elle. J’avais été aidée par une association à l’époque. Cela m’a permis de m’affirmer, et je voulais faire la même chose pour d’autres. »
Depuis, elle n’a plus arrêté d’œuvrer pour la cause LGBT : permanences sur le campus de sa fac (elle était alors en cursus de psychologie, et n’est entrée à l’Institut de formation en soins infirmiers, IFSI, que sur le tard), gay prides, réunions avec les institutions, manifestations en faveur du mariage pour tous (pour l’ouverture du mariage aux couples homosexuels)… Son engagement s’est d’abord déroulé dans l’association universitaire qui l’avait aidée, puis Christine s’est impliquée dans Arc-En-Ciel, « l’association de référence en région toulousaine » selon elle. Un jour, un ami lui propose de remonter la délégation de SOS homophobie dans ce qui s’appelait encore la région Midi-Pyrénées. Elle accepte, et se retrouve à la tête de la structure l’année suivante.
« Le but de SOS homophobie, c’est que les gens qui subissent des discriminations puissent s’adresser à quelqu’un qui pourra les aider, soit directement en s’adressant à nous au niveau régional, soit par le biais de la ligne d’écoute nationale », détaille Christine. Toujours l’esprit pratique, celle-ci nous demande de mentionner le numéro de cette ligne dans le magazine : 01 48 06 42 41. « Beaucoup de soignants peuvent en avoir besoin », assure-t-elle.
Il y a en effet bien longtemps que l’Idel a perdu ses illusions : le milieu soignant est, selon elle, loin d’être immunisé contre les préjugés. « Quand j’ai fait mes stages à l’IFSI, j’étais dans le monde des Bisounours, je pensais qu’être infirmière, c’était être humaniste et que tout le monde était hyper tolérant, raconte-t-elle. Je suis tombée de haut, j’ai vu des choses très violentes. J’ai rapidement découvert que les soignants sont comme tout le monde : il y a chez eux autant de racistes et d’homophobes que dans le reste de l’humanité. »
Certains patients ne sont pas tendres non plus, d’ailleurs. Christine se souvient notamment d’un médecin qu’elle prenait en charge. Alors qu’elle était en visite chez lui, la conversation débouche sur la question de la procréation médicalement assistée pour les couples de femmes. « Il m’a clairement affirmé qu’il était hors de question pour lui de venir en aide “à ces gens-là”, comme il les appelait, raconte l’infirmière. J’ai été très déçue, c’était un patient en fin de vie que je connaissais bien, je pensais qu’il était humaniste. »
Heureusement, tous ne sont pas comme cela. « Du fait de mes engagements, il m’est arrivé de passer à la télé sur la chaîne régionale au moment du mariage pour tous, explique Christine. Des patients m’ont vue : au début, ils n’osaient pas me le dire, puis ça s’est très bien passé, on en a bien ri ! » Mais bien qu’aucun patient n’ait jamais dit à Christine être gêné par son homosexualité, l’infirmière l’affirme : « Si le cas se présente, je saurai répondre que j’arrête la prise en charge. S’il y a des insultes, je saurai dire que c’est puni par la loi. »
Reste que son engagement associatif a valu à l’Idel quelques émotions fortes. Un jour, alors qu’une association dénommée Les Mères Veilleuses manifestait à Toulouse contre le mariage pour tous, elle s’est approchée pour discuter. L’une des manifestantes, une infirmière scolaire, s’est mise à lui réciter la Bible. « Une infirmière ! », répète Christine, d’autant plus choquée que la situation a bien failli dégénérer : un attroupement s’est créé, un homme a crié qu’il fallait « enfermer [la militante LGBT] en psychiatrie »…
« Ce jour-là, je me suis sentie menacée », confie Christine. Mais celle-ci n’est pas du genre à rester sur une expérience aussi désagréable. « Puisque la mairie continuait à les laisser se réunir, j’ai organisé une contre-manifestation, explique Christine. C’était ce que nous appelons un “kissing” : nous étions plusieurs couples homosexuels, nous les avons encerclées, et nous nous sommes embrassés autour d’elles, pour montrer qu’on ne prônait pas la haine. »
Avec une telle énergie, rien d’étonnant à ce que l’engagement militant de Christine déborde sur son engagement professionnel. « Pour moi, ça va de pair », expose-t-elle. Elle a donc récemment mobilisé les associations locales d’Idels pour organiser une séance de formation à la prise en charge des personnes transgenres. « J’avais eu beaucoup de retours de patients concernés qui me disaient que les soignants n’étaient pas formés, qu’ils s’y prenaient mal », détaille l’infirmière : erreurs de vocabulaire (comme le fait de dire transsexuel au lieu de transgenre), méconnaissance des soins pendant les transitions, parcours administratif…
Mais au-delà du cadre LGBT, Christine est également engagée pour la défense de sa profession. Il ne faut pas la lancer sur la question des difficultés que connaissent les Idels au quotidien. « On est libérales, mais on n’est pas libres du tout, le poids des institutions nous écrase ! », regrette celle qui déclare souvent « passer plus de temps à coter un acte qu’à le faire ». Et puis il y a la question de la reconnaissance. « L’infirmière, pour les gens, c’est la dame gentille qui vient faire les soins, ce n’est pas grave si elle est mal payée. Mais la non-reconnaissance de ce qu’on fait sur le terrain, au bout d’un moment, il y en a ras-le-bol. Cela pourrait me dégoûter de mon métier. »
Fidèle à elle-même, Christine cherche dans l’associatif des solutions aux problèmes que rencontre la profession. C’est le sens de son implication dans les collectifs d’Idels au niveau de son quartier et de sa ville. « Quand on travaille sur le même territoire, on n’est pas là pour se concurrencer, on est là pour partager des pratiques, s’entraider, s’envoyer des patients, aider les patients qui ne trouvent pas d’infirmière… », estime-t-elle.
Bien consciente que pour changer les choses, l’action au niveau local doit s’accompagner de mouvements à plus large échelle, Christine est aussi impliquée dans l’association Unidel « depuis le début ». Et, bien qu’elle ait longtemps hésité, elle pense bientôt se syndiquer : malgré leurs défauts, ce sont les syndicats qui négocient avec l’Assurance maladie, c’est à leur niveau que les choses se passent, analyse-t-elle.
En dépit de ce tropisme prononcé pour le collectif, Christine reste farouchement indépendante. Quand on lui demande pourquoi elle a choisi le libéral, elle répond dans un sourire qu’elle « n’aime pas trop les hiérarchies ». Et si elle assure qu’elle continue à aimer son métier, elle a bien l’intention de mener sa barque en solo dans d’autres directions si cela lui chante. C’est bien pour cela qu’elle a démarré une formation en kinésiologie.
« La kinésiologie est un mélange de médecine chinoise, d’ostéopathie et de neuropsychologie, détaille Christine. Tout ce que j’aime ! » La voilà donc embarquée dans un cursus de deux ans : six cents heures de cours et six cents heures de travail personnel. Au bout du chemin, la perspective d’avoir deux cabinets : l’un pour son activité d’infirmière, l’autre pour son activité de kinésiologue.
Reste une question : comment Christine trouve-t-elle le temps de faire tout cela ? « C’est vrai que c’est prenant, et c’est d’ailleurs pour cela que j’ai dû lâcher la délégation de SOS homophobie en septembre dernier », déplore celle qui dit avoir à ce moment frôlé le burnout. La diminution de son engagement dans le mouvement LGBT lui a beaucoup coûté, mais « on ne peut pas tout faire », soupire-t-elle. Tout, non. Mais on peut faire beaucoup. Le parcours de Christine le prouve.