Carol M. Delgado travaille dans un hôpital transfrontalier qui a poussé dans sa propre ville, Puigcerdà, en Catalogne. Auparavant, la Catalane avait exercé en France et en Espagne, afin de « rester au pays », la Cerdagne.
Carol M. Delgado est trilingue, disons, de naissance. Cette infirmière de 32 ans est née à une confluence de territoires, juste de l’autre côté de la frontière française, en Espagne, en Catalogne. Elle a grandi à Puigcerdà, 10 000 habitants, à 1 200 mètres d’altitude sur le plateau cerdan, au cœur du massif pyrénéen. Depuis juin 2015, Carol a rejoint le service des urgences de l’hôpital transfrontalier franco-espagnol, projet pilote européen ouvert fin 2014 (lire en encadré page de droite). Ici, le contexte politique – l’enjeu de la sécession de la Catalogne du reste de l’Espagne – reste discret. Le sujet est présent sans que l’ambiance ne s’en ressente. L’organisation sanitaire est sensiblement la même en Catalogne qu’ailleurs dans le pays. « Il y a éventuellement davantage d’opportunités de trouver du travail – certaines de mes amies, infirmières d’Andalousie, sont venues pour ça à Barcelone, elles ont appris le catalan –, mais les politiques devraient plutôt mettre leur énergie à améliorer la santé ou l’éducation, par exemple », commente la soignante, peu friande de débat politique.
« L’idée de devenir infirmière me vient probablement de mon grand-père : il était secouriste de l’armée et sur les pistes de ski les week-ends », confie-t-elle. Elle ne regrette pas son choix : « C’est un métier complet, autant au niveau professionnel que personnel. J’aime les soins et le fait d’avoir des relations avec les gens et leurs familles. C’est gratifiant d’aider les autres. » Avant d’en arriver là, en 2004, Carol passe par la case aide-soignante. « Après le bac, j’avais besoin de financer mes études infirmières. Les frais sont plus élevés qu’en France », observe-t-elle. Elle se forme dans un institut, en Andorre. Diplômée comme aide-soignante, elle exerce de nuit dans un hôpital local, puis à la maison de retraite de Puigcerdà, à temps partiel. En 2009, elle intègre enfin l’Université de Manresa de sciences de la santé, au nord de Barcelone, à une heure de chez elle, pour devenir infirmière. « Les deux premières années, je travaillais encore comme aide-soignante en m’arrangeant avec mes collègues pour faire des week-ends et travailler plus sur mes vacances scolaires. » En troisième année, Carol quitte son emploi, car les stages occupent de plus en plus de temps. « On passe par tous les types de services, pédiatrie, gériatrie, cancérologie, soins intensifs, psychiatrie… sauf le bloc, car il s’agit d’une spécialité à part entière. J’ai préféré les soins d’urgence », précise-t-elle.
En 2013, infirmière diplômée, après six mois dans un service de médecine interne et de chirurgie à Barcelone, elle « rentre au pays », rejoindre ses montagnes et son compagnon en Cerdagne. Mais, dans ce secteur rural, le travail est rare. Alors Carol cherche en France. Elle exerce deux ans au sein d’un établissement privé prenant en charge des enfants asthmatiques, puis, toujours concernant les pathologies respiratoires, auprès des personnes âgées, jusqu’en 2015. « J’ai toujours été bien accueillie. Nous avons les mêmes compétences en France et en Catalogne. Sur le terrain, l’expérience compte davantage que la formation initiale. Mais, ici, on travaille trente-sept heures trente hebdomadaires, contre trente-cinq chez vous. Par contre, à travail égal, on gagne plus », estime-t-elle. Côté ibérique, il existe un 14e mois et un intéressement au respect des objectifs de formation individuelle, ainsi qu’à l’application des protocoles. « Certaines formations continues sont proposées dans les établissements en interne ou par le Collegi oficial d’infermeria, l’équivalent de l’Ordre infirmier français. Les autres sont à notre charge », explique Carol, qui a achevé en 2015 deux années de master en soins d’urgence et premiers secours.
Par chance, en 2015, à Puigcerdà, l’hôpital transfrontalier de Cerdagne dote son Samu d’une équipe d’infirmières. Carol est recrutée. Patients espagnols et français se côtoient, professionnels des deux nationalités aussi. « Le plus étonnant, au début, était de voir les familles françaises laisser rapidement les personnes âgées seules. Ensuite, on comprend que c’est culturel. Mais la proximité des soignants avec le patient dépend plus de la langue d’origine que des habitudes culturelles », analyse Carol. Pour qui une nouvelle étape se profile : « J’attends mon premier enfant. Il va falloir apprendre à combiner vies professionnelle et familiale. La présence de mes parents va nous aider, car mon travail s’organise en douze gardes par mois de douze heures, dont une à deux nuits. » Un rythme auquel elle tient : « On peut suivre le patient dans toutes les étapes de la prise en charge. » Un aménagement du temps qui lui laisse aussi la liberté de pratiquer le ski ou la randonnée.
Ouvert le 19 septembre 2014, en remplacement de l’hôpital local de Puigcerdà, l’hôpital transfrontalier de Cerdagne couvre un territoire qui s’étend de part et d’autre de la frontière franco-espagnole et où résident 32 000 personnes. Nombre de touristes y séjournent aussi de façon saisonnière, multipliant alors le nombre de résidents par quatre ou cinq. L’hôpital complète les services de santé existants sur ce territoire relativement isolé et situé en altitude. En tant que Groupement européen de coopération territoriale, il est géré de façon conjointe par les deux systèmes publics de santé et sa construction a été co-financée par le Feder, le fonds européen de développement économique et régional. L’établissement compte trois langues officielles (catalan, espagnol et français) que les 231 agents hospitaliers, dont 75 infirmières, se doivent de pratiquer. Il y a 27 % de Français et 73 % de Catalans parmi le personnel. L’hôpital est doté de 64 lits et équipé pour réaliser des opérations en urgence et des accouchements. Il ambitionne de devenir un centre de référence dans le domaine de médecine du sport de montagne.
« En Espagne, il n’existe pas d’infirmières libérales. Ce sont les infirmières des centres de santé, les CAP (Centro de atencion primaria), qui se rendent à domicile. En lien avec le médecin et l’équipe, elles suivent notamment les personnes âgées et les patients chroniques. Pour les patients à domicile, elles assurent des gardes : elles sont joignables grâce à un téléphone dédié. Je les rencontre à l’hôpital – lorsqu’un de leurs patients y est admis – et parfois à domicile, quand j’y vais pour une urgence. Elles réalisent un travail génial, surtout en montagne, loin de tout. Elles assurent la continuité des soins en sortie d’hôpital, et aussi quand il n’y a pas de famille proche. C’est passionnant de découvrir le patient chez lui. Ces infirmières le connaissent plus en détail, mais en contrepartie du lien qui se crée, quand il y a un souci, c’est plus lourd à assumer émotionnellement. »