L'infirmière Libérale Magazine n° 346 du 01/04/2018

 

Point(s) de vue

Interview

Véronique Hunsinger*   Karen Ramsay**  

Dans un entretien exclusif, la ministre des Solidarités et de la Santé expose sa vision du métier d’infirmière et de ses évolutions : protocoles de coopération, compétences, vaccination, parcours de soins…

Vous avez lancé une mission de réflexion sur des “financements et des modes de rémunération innovants” qui doit livrer ses premières pistes fin mai. Comment envisagez-vous la place des Idels dans ces “parcours de soins” ?

Agnès Buzyn : Les parcours de soins ne sont pas uniquement hospitaliers, les Idels en font complètement partie au même titre que les médecins généralistes. Quand on dit qu’on va passer d’une tarification à l’acte à une tarification au parcours, j’intègre tous les intervenants libéraux qui prennent en charge le malade. Il y aura d’ailleurs sans doute des parcours qui ne se feront qu’en ville. Cela pourrait être le cas, par exemple, du parcours d’un diabétique bien équilibré. Dans ce cas, on définira le nombre de bilans sanguins, de soins d’Idel, de consultations de cardiologue, d’ophtalmologue ou de podologue nécessaires tous les ans et chaque intervenant sera rémunéré annuellement forfaitairement.

Qui va en décider ?

A. B. : Aujourd’hui, nous ne savons pas construire ce modèle. Ce n’est pas au ministère d’en décider, c’est aux professionnels de terrain de nous proposer des solutions. C’est à cela que va servir l’article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale. De manière générale, en dehors des maisons de santé pluridisciplinaires, chacun travaille encore de façon individuelle et indépendante. Un généraliste va voir plusieurs fois son patient dans l’année sans que l’intervention de l’Idel ne soit coordonnée avec ses consultations. Or, un parcours de soins coordonné doit être pensé en mettant le malade au centre.

Qui est le mieux placé pour gérer la coordination ?

A. B. : Dans certaines maisons de santé, on voit apparaître un nouveau métier de coordonnateur qui n’est pas un soignant. Mais il n’y a pas de modèle unique. Les communautés professionnelles de territoires (CPTS) vont permettre aux acteurs des territoires de construire des projets innovants.

Le décret précisant les conditions d’application des protocoles de coopération est paru en février au Journal officiel. Au-delà des protocoles de coopération, provisoires et localisés, les syndicats infirmiers et les organisations professionnelles demandent un élargissement du métier socle.…

A. B. : La révision du métier socle des infirmiers est bien prévue, notamment dans le champ des vaccinations. La Haute Autorité de santé (HAS) a d’ailleurs été saisie pour donner un avis en ce sens. En fonction des avancées résultant de ces protocoles et des retours que nous aurons du terrain, nous pourrons envisager l’élargissement du métier socle. Mais ce qui me semble important dans cette question, c’est aussi la reconnaissance pleine et entière de l’infirmier en pratique avancée au grade de master. Celle-ci va faire sensiblement évoluer le champ des activités de la profession dans le domaine des pathologies chroniques.

Pourquoi avoir exclu les paramédicales libérales du dispositif d’amélioration du congé maternité proposé aux médecins ?

A. B. : Il s’agit d’une mesure incitative d’urgence pour répondre à la question des déserts médicaux. En effet, on s’est rendu compte que les médecins libéraux s’installent désormais de plus en plus tard, entre 35 et 40 ans, et préfèrent le salariat à l’exercice libéral. Le but est de rendre la filière libérale plus attractive pour les femmes médecins. C’est vraiment une problématique très spécifique aux médecins. La situation de la démographie des infirmières libérales est différente. Pour autant, je comprends leurs interrogations. Mais je rappelle que les auxiliaires médicaux conventionnées bénéficient d’un régime indemnitaire, de 53 € par jour, pour leur congé maternité. Pour aller plus loin, nous devons attendre le rapport parlementaire sur le congé maternité des indépendantes [confié à la députée LREM de l’Essonne, Marie-Pierre Rixain, par les ministres de la Santé, du Travail et de l’Égalité entre les femmes et les hommes, NDLR].

Depuis le début de l’année, ce sont les maires qui fixent les règles du stationnement dans leur commune. Dans certaines d’entre elles, les Idels doivent payer des frais importants pour pouvoir travailler. Pourriez-vous intervenir sur ce sujet ?

A. B. : Non, l’État n’a pas la main. C’est une question qui relève avant tout des collectivités. Mais je sais que depuis le 1er janvier, la mairie de Paris délivre des cartes de stationnement à destination des professionnels de santé libéraux qui effectuent des visites à domicile. Cela peut être une piste intéressante à explorer et développer.

Le taux de vaccination antigrippale chez les soignants est relativement bas. Comment réagissez-vous ?

A. B. : La vaccination est un enjeu collectif et un enjeu déontologique dont les ordres doivent s’emparer. Quand on soigne des nouveau-nés qui n’ont pas encore été vaccinés, des personnes âgées ou fragiles dont le système immunitaire est plus faible ou chez qui la réponse aux vaccins est moins bonne, il faut être vacciné. On ne peut pas soutenir l’argument de la liberté individuelle quand on risque de mettre en danger les autres. C’est antinomique avec la posture de soignants.

Envisagez-vous d’étendre le droit de vaccination par les Idels ?

A. B. : Les médecins généralistes sont évidemment très bien placés pour évaluer de façon globale les patients, notamment leurs éventuelles contre-indications médicales. Ils peuvent aussi bien expliquer l’intérêt des vaccins en consultation. C’est plus compliqué pour un pharmacien d’officine ou une Idel qui n’a pas la totalité du dossier médical en sa possession. Il n’empêche que les Idels ont bien toute leur place dans la vaccination et l’idée est bien de pouvoir étendre leur champ. Cependant, c’est d’abord à la HAS de nous dire quels sont les vaccins qui peuvent être réalisés par les Idels et les pharmaciens, tout en assurant la sécurité des patients. On ne peut pas, en effet, réaliser une primovaccination sans connaître les risques d’allergies ou d’effets secondaires en fonction du terrain du patient. C’est un équilibre auquel il faut parvenir dans lequel tout le monde se sente à l’aise.

Quels sont les résultats de l’expérimentation de la vaccination en officine ?

A. B. : Nous savons déjà qu’il y a eu 155 000 vaccinations réalisées dans les deux régions concernées. Mais nous attendons le rapport précis pour savoir quel est l’impact de la vaccination par les pharmaciens sur la couverture vaccinale et s’il y a eu des transferts d’actes des généralistes et des Idels vers les pharmaciens. Même si je suis globalement favorable au principe car cela simplifie l’accès à la vaccination, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives.

le contexte

Au cours des dix premiers mois qu’elle a déjà passés au gouvernement, la ministre de la Santé a lancé plusieurs grands chantiers qui concernent la profession infirmière. Ainsi, le budget de la Sécurité sociale pour 2018 prévoit dans son article 51 de faciliter les expérimentations de coopération entre professionnels de santé de ville. Agnès Buzyn a également initié une réflexion pour sortir du tout paiement à l’acte avec le financement de parcours de soins, dans lesquels les Idels pourraient être rémunérées sous forme d’un forfait annuel pour le suivi de certaines pathologies chroniques. La formation des paramédicaux est également en chantier, l’un des objectifs étant d’élargir le« métier socle » des infirmières en leur confiant de nouvelles compétences au travers des « pratiques avancées ».

Cet interview a été relu, à sa demande, par le cabinet de la ministre, qui n’a rien modifié. L’entretien a eu lieu le 27 février au ministère de la Santé.