Le temps d’une soirée, Marisol Touraine est remontée à la tribune pour livrer son analyse du système de santé. S’abstenant de critiquer les annonces de ses successeurs, elle s’interroge toutefois sur les conséquences d’un reste à charge nul en optique, dentaire et audition.
« Le modèle de la Sécurité sociale et de l’Assurance maladie tel qu’il a été pensé il y a plus de soixante-dix ans, avec un financement collectif et une contribution en fonction des moyens, est-il toujours valable ? » Question banale, mais cruciale, posée par Marisol Touraine le 8 mars, au Conservatoire national des arts et métiers, où la Chaire de gestion des services de santé avait invité l’ancienne ministre de la Santé. Il est impératif de proposer un autre modèle, a-t-elle estimé, comme d’autres.
Bien que son objectif lors de cette soirée ne fut en rien de « juger la politique actuelle du gouvernement », Marisol Touraine a néanmoins affiché sa crainte des conséquences de la mise en place du “reste à charge zéro” dans le domaine de l’optique, du dentaire et des prothèses auditives. « La place des organismes complémentaires dans notre système de santé doit être clairement posée, a-t-elle mis en garde. Actuellement, la force du système français est de préserver un remboursement nettement majoritaire par l’Assurance maladie, ce qui donne de la légitimité aux pouvoirs publics pour fixer les règles. » Accorder plus de place aux organismes complémentaires serait, d’après l’ancienne ministre, prendre le risque qu’ils cherchent à s’imposer dans la fixation de ces règles.
Autre point abordé par l’ancienne ministre : la prévention en matière de santé. « La France a la chance de proposer des soins de pointe, au sein des hôpitaux publics, à l’ensemble de la population français. Ce, peu importent les revenus. C’est une banalité pour nous, mais pas à l’échelle européenne et mondiale. Néanmoins, les inégalités persistent en fonction des catégories sociales. » Selon Marisol Touraine, la réponse aux déterminants sociaux de santé ne se trouve pas dans l’amélioration de l’offre de soins ou dans l’organisation du système de soins, mais dans le développement de la prévention. « Nous avons déjà fait des progrès considérables pour soigner les cancers par exemple. Il y a dix ans, la prévention, ce n’était pas si évident. L’idée que pratiquer une activité sportive pouvait avoir un impact sur le cancer du sein, n’était pas documentée. » Et de rappeler le titre de “sa” loi de modernisation de notre système de santé de janvier 2016, dédié à la prévention. Pour elle, il est aujourd’hui impératif de s’interroger sur la manière d’instaurer des politiques de prévention « car plus nous les développons, plus les inégalités augmentent ». Elle donne l’exemple du programme M’T dents qui permet des examens bucco-dentaires gratuits pour les moins de 18 ans et les femmes enceintes via un bon envoyé au domicile par l’Assurance maladie. « Les parents qui amènent leurs enfants chez le dentiste sont les personnes éduquées. Ceux qui le sont moins ne sont pas touchés par un bout de papier reçu par La Poste. » C’est aussi le cas pour le dépistage du cancer du sein qu’elle a évoqué. « Le seuil quasi maximal de prévention des femmes concernées par les programmes actuels de prévention a été atteint. Il faut aller plus loin. » Marisol Touraine estime alors indispensable d’intégrer l’impact de la politique des préventions sur les inégalités en santé, dans la manière de les concevoir. De même qu’elle s’interroge sur l’équilibre à trouver entre l’édiction de normes contraignantes et les libertés individuelles. « C’est pour cela que j’ai repris le mois sans tabac selon le modèle anglais, s’est-elle justifié. Plutôt que de dire qu’il est mal de fumer, l’idée est plutôt d’encourager à arrêter de fumer en s’engageant collectivement. »
Interrogée sur le Dossier médical partagé (DMP), l’ancienne ministre a estimé qu’une erreur a été commise en prévoyant son déploiement par le ministère de la Santé sans se soucier de l’appropriation de l’outil par les médecins. « Cela a entraîné une crispation de leur part », a-t-elle souligné. D’où sa décision de transférer cette compétence à l’Assurance maladie. Aujourd’hui, Marisol Touraine considère « que le DMP ne s’imposera pas grâce aux médecins mais grâce aux infirmières, aux aides-soignantes et aux sages-femmes, la seule limite étant le refus du patient ». Pour l’ancienne ministre, les Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) sont un plus pour la mise en place du DMP justement parce qu’elles ne sont pas uniquement organisées autour des médecins mais avec d’autres professionnels, davantage engagés.