L'infirmière Libérale Magazine n° 347 du 01/05/2018

 

POLITIQUE DE SANTÉ

Actualité

Sandra Mignot  

Emmanuel Macron harangué par une soignante en blouse, et Agnès Buzyn qui tente de dissimuler un sourire moqueur : si la séquence vidéo est ravageuse, elle informe bien peu sur la réalité de l’hôpital.

Le 5 avril, lors d’une visite au CHU de Rouen (Seine-Maritime), le président de la République et la ministre de la Santé ont été pris à partie par deux agents de l’établissement. La vidéo a fait le tour du web. On y voit deux femmes les interpeler, dont l’une, Valérie Foissey, a été interviewée le lendemain par Jean-Jacques Bourdin, au micro de la radio RMC. Pendant l’échange, très vif, au cours duquel Emmanuel Macron reproche à l’aide-soignante, syndiquée à la CGT et candidate Lutte ouvrière aux législatives de 2017, de ne pas lui avoir serré la main, de « dire des bêtises », voire de répéter ce qu’on lui « fait dire », la professionnelle dénonce le manque de moyens alloués à l’hôpital public : manque de personnel, fermeture de lits, hausse de l’activité, diminution des budgets.

Ressources hospitalières en hausse de 2,2 %

Pourtant, Emmanuel Macron et Agnès Buzyn évoquent des budgets en hausse. Avec 80,7 milliards d’euros envisagés pour 2018 (79 ? milliards réalisés en 2017), l’Objectif national des dépenses d’Assurance maladie (Ondam) pour les établissements de santé (publics et privés)(1) est en effet en augmentation de 2 %, taux auquel s’ajouterait le produit de la majoration du forfait journalier hospitalier pour permettre une évolution de 2,2 % des ressources des établissements. Mais ce qu’il donne d’une main, le ministère le retire un peu de l’autre. Une circulaire révélée fin avril par l’Agence de presse médicale fait état de 960 millions d’euros d’économies demandés aux établissements de santé en 2018.

Bientôt l’abandon de la tarification à l’activité ?

Précisons que, depuis le passage à la tarification à l’activité, on ne parle plus vraiment de budget à l’hôpital, mais d’« état prévisionnel des recettes et dépenses »(2). Les ressources dépendent de l’évolution de l’activité. Pour 2018, les discussions sur le financement des hôpitaux se seraient ainsi basées « sur une croissance de 3,1 % de l’activité hospitalière », pointe Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France (FHF), qui représente les hôpitaux publics, dans Le Parisien du 11 février. Devant les caméras, Emmanuel Macron et Agnès Buzyn avancent que l’activité hospitalière a diminué de 2 % – un chiffre que nous ne pouvons pas confirmer, malgré nos recherches, faute de données disponibles. Quoi qu’il en soit, même si le gouvernement a annoncé vouloir renoncer à la tarification à l’activité, la décision n’est pas encore mise en œuvre. L’hôpital peut donc légitimement s’inquiéter. Il peut en effet y avoir de mauvaises surprises, comme en 2017, lorsque les prévisions s’étaient fondées sur une croissance de l’activité de 3 % alors que la FHF l’avait finalement rapportée à + 0,5 %.

De moins en moins de lits

Parmi les reproches formulés par les deux agents de Rouen figurent les fermetures de lits « au quotidien, faute de personnel ». Il est vrai que le nombre de lits hospitaliers est en diminution constante, même si, là encore, les chiffres les plus récents font défaut. La Drees(3) affiche une diminution de 12,8 % des lits entre 2003 et 2015, pour arriver à 408 000 lits. En 2015, la fermeture de près de 16 000 lits avait été prévue par le gouvernement dans le cadre du redressement des finances publiques. Emmanuel Macron et Agnès Buzyn n’ont pas relevé la critique. Et pour cause, cela correspond à la volonté affichée des politiques de santé des gouvernements successifs de développer le soin en ambulatoire. Est-ce ce à quoi Valérie Foissey fait référence ? Ou évoque-t-elle les fermetures temporaires, comme celles qui peuvent survenir durant les périodes où de nombreux agents sont en congé ?

Cet échange soulève en tout cas plus de questions qu’il n’en résout. La statistique lissée au niveau global ou la prévision des dépenses sont-elles indiquées pour répondre aux difficultés de terrain ? L’hôpital, lui, demeure dans l’attente de sa réforme, dont les grandes lignes devraient être annoncées fin mai ou début juin.

(1) Pour les soins de ville, l’Ondam prévu pour 2018 est de 88,9 milliards d’euros.

(2) Une part de l’activité hospitalière demeure toutefois financée en dotation, en psychiatrie et pour les missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation.

(3) Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques.