L'infirmière Libérale Magazine n° 347 du 01/05/2018

 

Point(s) de vue

Débat

Adrien Renaud  

Une fois qu’un médecin ou une infirmière a son diplôme en poche, la mise à jour de ses connaissances n’est pas toujours vérifiée. Avec l’accélération des avancées médicales, faut-il instaurer un contrôle obligatoire et régulier ?

Les mécanismes actuels permettant de s’assurer que les médecins maintiennent leurs connaissances à jour vous semblent-ils satisfaisants ?

Alain-Michel Cerreti : Partons d’un principe évident : sauf dans des cas rarissimes qui relèvent de la justice pénale, il n’y a pas de médecins qui exercent tout en sachant pertinemment qu’ils sont dangereux. Mais une fois que l’on a dit cela, il faut se rappeler que la médecine est un métier où une fois que l’examen est passé, il n’y a plus d’évaluation des compétences. Il y a seulement des formations continues que le médecin effectue selon son bon vouloir. Comparons cette situation avec ce qui se passe dans des métiers qui ressemblent à la médecine en termes de gestion des risques, comme l’aviation par exemple. Les pilotes de ligne sont soumis à une évaluation régulière de leurs compétences, on les met en situation de stress avec de la simulation, ils doivent répondre à des questionnaires à choix multiples… La chirurgie de la prothèse de hanche a probablement davantage évolué en trente ans que le pilotage d’un Airbus, mais rien de tout cela n’existe dans le milieu médical. Or il faut se rappeler que le médecin n’est pas un surhomme : même s’il a de bonnes intentions, il n’a pas forcément un regard sur lui-même assez aiguisé pour identifier tout seul ses faiblesses. D’où la nécessité d’une évaluation obligatoire pour lui permettre de savoir sur quoi se former.

Jérôme Marty : Le médecin se doit d’avoir un niveau de connaissances qui tient compte des dernières données de la science. C’est une obligation déontologique. Par ailleurs, le mécanisme de formation continue en place, le DPC [Développement professionnel continu], est obligatoire : tout le monde est censé se former. Il est difficile de dire s’il s’agit d’un bon ou d’un mauvais outil, car il est en place depuis trop peu de temps, on n’a donc pas assez de recul [le DPC a été créé en 2009]. C’est un peu comme le DMP [Dossier médical partagé] : tout se passe comme si on était toujours en phase d’expérimentation. Il est vrai que personne ne contrôle que le médecin se forme réellement. En tout cas, je n’ai jamais entendu parler d’une personne qui aurait été sanctionnée parce qu’elle n’aurait pas participé au DPC. Mais il faut savoir que celui-ci se tient en dehors des horaires de travail : le médecin a fait ses douze heures dans la journée, et il se forme le soir ou le samedi.

S’il devait y avoir un mécanisme de recertification, quelle forme prendrait-il ?

A.-M. C. : Il se trouve que lorsque j’ai coprésidé les Assises du médicament, en 2011, nous avions évoqué la question. Tout le monde, médecins compris, estimait qu’il fallait un temps spécifique d’évaluation qui permettrait, sur la base d’éléments objectifs, d’orienter les choix de la formation continue si une carence sur tel ou tel point était mise au jour. Bien sûr, cette évaluation devrait être obligatoire et régulière. Dans le groupe, personne n’imaginait une durée entre deux évaluations supérieure à cinq ans. Autre point important : les formations continues devraient être indépendantes des laboratoires pharmaceutiques, ce qui n’est pas toujours le cas actuellement. Il ne doit pas non plus y avoir de problème d’argent : à partir du moment où c’est obligatoire, cela doit être gratuit. Mais il faudra dans une certaine mesure laisser les professionnels s’organiser : ce n’est pas à un énarque de dire comment tout cela doit être fait. Au législateur de donner le cadre, la fréquence de cette recertification, et d’en confirmer le caractère opposable. Aux sociétés savantes de déterminer l’ensemble des éléments qui doivent être balayés.

J. M. : On peut certifier une profession quand elle est honorée ? justement. Actuellement, on manque de médecins à cause des politiques désastreuses menées jusqu’à aujourd’hui. Les jeunes ne s’installent pas, ou mettent dix ans à le faire. Face à cette pénurie, la demande de soins explose. C’est un exercice à flux tendu et, dans ces conditions, je me demande bien ce qu’on peut envisager de certifier. Si on veut le faire il faut nous donner les moyens d’assurer des soins de qualité. Sinon, les dés sont pipés. Ou alors, on sera confrontés à la même problématique que dans les établissements de soins : on sait qu’ils sont en pénurie, qu’ils craquent de partout, mais la Haute Autorité de santé leur donne de belles notes comme s’ils étaient capables de prodiguer des soins de qualité. Donc ce que je pense, c’est qu’avant de certifier les médecins, il faudrait certifier les gens qui sont responsables de cette situation calamiteuse. Le politique se dédouane de ses responsabilités en avançant de telles propositions. Tant qu’on n’a pas la possibilité d’offrir les meilleurs soins possible, tout mécanisme de certification doit donc être tenu, validé, construit par la profession et pour la profession.

Pourrait-on envisager que la recertification s’étende à d’autres professions, dont les Idels ?

A.-M. C. : Oui, forcément. Quand les carrières sont aussi longues, parfois supérieures à quarante ans, il y a forcément un moment où l’on pose ses valises et où l’on s’interroge sur soi-même. Les soins, les techniques de prise en charge, les malades évoluent et il n’y a aucune raison pour que les infirmières échappent à ce genre de dispositif.

J. M. : Tant qu’une infirmière gagne 7 euros pour un soin d’escarre, tant qu’elle se déplace pour 2,50 euros, tant qu’elle effectue 50 actes par jours, tant qu’elle met sa vie en danger pour exercer, on ne peut pas certifier, ce n’est pas possible. Le socle pour faire des soins de qualité, c’est d’avoir des professionnels heureux, des professionnels qui ne sont pas sous pression. Les infirmières connaissent ce problème encore mieux que nous.

le contexte

Le débat sur la recertification commence à prendre forme chez les médecins : un comité de pilotage présidé par le Pr Serge Uzan, vice– président de l’Université Pierre-et-Marie-Curie, doit faire des propositions au gouvernement à l’automne sur le sujet. Mais ces interrogations pourraient bien s’étendre à d’autres professionnels de santé, infirmières comprises.