Agacée par les PV de stationnement qu’elle reçoit pendant ses tournées, une infirmière libérale réclame plus d’indulgence. Mais la circulaire qui appelle au discernement, émise il y a plusieurs décennies, semble bien dépassée dans une ville saturée de voitures.
Coralie Boudersa, qui exerce à Lille, nous a alertés sur la fréquence à laquelle elle est verbalisée pour stationnement pendant ses tournées. « J’ai payé 650 € en février », se désespère-t-elle. Elle a écrit à la maire de Lille, à la ministre de la Santé, au ministre de l’Intérieur, à l’Ordre, à l’officier du ministère public (extraits de courrier à lire dans notre numéro de mars)… Ses amendes ne portent pas sur le défaut de paiement (elle règle en effet chaque mois le forfait dédié aux professionnels de santé du domicile) : ses PV concernent des stationnements « très gênants ». Elle se gare quelquefois « sur des trottoirs très larges ou dans la continuité des places de stationnement, en débordant un peu sur des zébras ou devant une grille », reconnaît-elle, mais « sans gêner ni mettre en danger personne », assure-t-elle.
« Je ne le fais pas par plaisir, mais parce qu’il n’y a aucune place disponible », plaide encore l’infirmière, avant d’ajouter que « tout le monde le fait », qu’elle ne reste souvent garée que quelques minutes… Selon elle, certains agents municipaux se montrent compréhensifs ; d’autres au contraire seraient inflexibles. Dans son courrier, elle demande l’application d’une circulaire de 1969, à laquelle a succédé la circulaire Joxe de 1986, qui en appelle au « discernement », à la « bienveillance » et à « l’indulgence » des agents vis-à-vis des infirmiers libéraux. Le ministre de l’Intérieur lui a conseillé, rapporte-t-elle, d’envoyer une réclamation à l’officier du ministère public et la Ville lui a répondu qu’elle devait payer le stationnement. Coralie Boudersa ne se sent pas entendue. Dépitée, elle a envisagé d’effectuer une partie de sa tournée en scooter, puis y a renoncé, décidant de ne plus prendre de patients dans certains secteurs.
Jacques Richir, adjoint à la maire de Lille chargé du stationnement et lui-même ancien médecin généraliste, réfute toute idée d’acharnement à l’encontre de certains professionnels. Une certaine souplesse peut certes prévaloir pour un stationnement court sur une zone de livraison, mais aucune exception ne peut être accordée en cas de stationnement gênant, par exemple sur un trottoir, « car cela met en danger la sécurité des piétons et gêne les personnes à mobilité réduite ». La « tolérance tacite » qui a pu exister autrefois vis-à-vis des professionnels de santé n’est plus de mise, poursuit l’élu, à la suite « d’abus, par une minorité, d’emploi de caducée », notamment. Pour Jacques Richir, la Ville a beaucoup fait depuis deux ans en proposant une tarification très avantageuse pour les professionnels de santé (plus de 50 % de réduction) et une grande souplesse dans les modalités de paiement. De plus, selon l’élu lillois, la nouvelle tarification ordinaire, dissuasive, favorise la rotation des véhicules (donc la libération de places) dans les quartiers les plus denses. Avec un effet pervers, bien difficile à contrer : des automobilistes se garent désormais dans les quartiers où le stationnement est encore gratuit, ce qui sature ledit quartier. Celui-là même où Coralie Boudersa a été verbalisée…
Tony Dal-Cortivo, président du conseil départemental de l’Ordre des infirmiers (CDOI) du Nord, comprend bien qu’une grande ville très dense comme Lille n’envisage pas de créer des places dédiées aux professionnels de santé. Il sait aussi que « le caducée n’est pas un passe-droit ». Mais il comprend également les problèmes de l’infirmière lilloise qui se gare « où elle peut », faute de place. Il a bien reçu son courrier – qu’il a répercuté auprès de la Ville, mais n’en a pas reçu d’autres ces derniers temps. « Les infirmières devraient nous faire remonter davantage leurs difficultés, observe-t-il. Cela nous permettrait d’appuyer nos demandes et de plaiser leur cause auprès des mairies ». « Il faudrait un peu plus d’indulgence », estime aussi le président du CDOI. Pour 10, 15, 30 minutes ? Selon lui, il faut revoir le texte de la circulaire « pour qu’il soit plus clair et que tous les infirmiers soient traités de la même manière au plan national, car il est interprété différemment selon les endroits ». Ce texte date « d’une époque où il y avait bien moins de voitures et d’infirmières libérales », souligne Tony Dal-Cortivo, qui propose également de mener une étude de terrain via une concertation ou une enquête auprès des professionnels de santé. Le casse-tête n’est pas encore résolu.