L'infirmière Libérale Magazine n° 348 du 01/06/2018

 

Cahier de formation

Savoir faire

FAIRE FACE À LA DÉSORIENTATION

Tardivement dans la maladie, la MA provoque un télescopage entre souvenirs anciens et événements récents. La personne malade est “désorientée” dans l’échelle du temps et parle au présent des personnages et de scènes du passé. Exemple : la personne veut aller chercher ses enfants à l’école. Essayer de remettre une personne désorientée dans la réalité en apportant des arguments pour la convaincre est inutile. Cela peut au contraire l’angoisser.

Il y a différents moyens de répondre à la situation :

→ essayer de différer, reporter le projet à plus tard, en disant par exemple que « ce n’est pas l’heure de la sortie des classes » ;

→ tenter de faire diversion en proposant à la personne une activité : feuilleter un journal, mettre du vernis à ongles… ;

→ lui montrer notre intérêt pour le sujet en lui posant des questions sur la scolarité de ses enfants, du souci que l’on se fait pour eux…

L’objectif n’est pas d’ancrer la personne dans le présent à tout prix, mais plutôt d’entretenir avec elle des éléments d’échange.

Maintenir le contact

Pour maintenir la relation et être reconnu comme bienveillant par des personnes atteintes de troubles mnésiques, le soignant doit porter une attention permanente à la manière dont il utilise les piliers de la relation que sont la parole, le regard et le toucher. Il est souhaitable de maintenir au moins deux de ces piliers, soit parler et toucher, soit parler et regarder. Lorsque le soignant sort du champ de vision du patient, il peut maintenir un contact apaisant en laissant par exemple sa main posée sur l’épaule du patient.

Solliciter les émotions

La mémoire émotionnelle, qui reste intacte jusqu’au bout de la vie, est la mémoire des souvenirs conscients ou inconscients liés à une émotion forte (joie, tristesse, colère…). Un sourire et un ton aimable sollicitent cette mémoire et installent la personne dans une situation agréable et rassurante. Le sourire indique que, même si le message passe difficilement, le soignant veut communiquer et comprendre.

PRÉVENIR LES FUGUES

Près de 20 % des personnes atteintes de la MA fuguent de leur domicile et de façon répétée*. Les raisons sont diverses : besoin quasi compulsif de marcher, besoin de faire comme avant (aller travailler, chercher les enfants à l’école…). La fugue constitue une situation à éviter dans tous les cas, car la personne risque de se perdre et d’errer pendant des heures, ce qui augmente son angoisse et ses troubles. Dès lors, comment faire ? « Surtout ne pas la retenir, cela ne ferait que renforcer son désir de fuir », précise le Dr Évelyne Laval, responsable de la permanence France Alzheimer à Toulouse. Mieux vaut alors « essayer de faire diversion en lui proposant par exemple d’aller prendre un goûter ». Une certitude : il n’y a pas véritablement de recette. Ce qui peut fonctionner un jour peut ne pas fonctionner le lendemain ; ce qui fonctionne avec l’un ne marche pas forcément avec un autre.

Pour prévenir les envies de fugue, le mieux est d’occuper la personne par des promenades et différentes activités : aider à préparer le repas en épluchant les légumes, écouter des chansons, plier du linge… Il faut également tout faire pour qu’elle ressente son milieu de vie comme stable et rassurant : garnir les pièces de photos, tableaux, objets… chers au cœur de la personne. Si les fugues se répètent et mettent en danger la personne, cela peut être un signal pour envisager une entrée en institution.

AGRESSIVITÉ : RECHERCHER LA CAUSE

L’agressivité n’est pas un signe de la maladie, mais une réponse du malade à une situation qui l’angoisse. Pour l’éviter, l’Idel peut aider les aidants à en trouver la cause. À quel moment de la journée le patient a-t-il commencé à se montrer agressif ? Dans quel contexte ? « Des travaux dans le logement, des changements dans le cadre de vie (meubles déplacés, murs repeints, décoration nouvelle) ou l’arrivée d’une “nouvelle tête” dans son entourage peuvent déclencher de l’agressivité. Tout comme des problèmes physiques de type douleur, rétention d’urine, constipation, infection, baisse récente de l’audition ou de la vue, effets indésirables d’un nouveau médicament… », rapporte Marie-Thérèse Gaillard, cadre de santé, directrice d’Ehpad à la retraite. Attention aussi à la télévision ! Si la maladie est avancée, le patient peut présenter des troubles de la virtualité, c’est-à-dire ne pas reconnaître une situation. « S’il regarde une émission avec des scènes de guerre, pour lui, les combattants sont dans la pièce. »

ÉQUIPER LE DOMICILE

Pour les personnes seules présentant une maladie d’Alzheimer à un stade encore peu avancé, certains objets connectés peuvent optimiser la prise en charge.

→ Pour améliorer l’observance, des piluliers connectés peuvent, par une sonnerie, une lumière, avertir la personne de prendre ses médicaments. Le pilulier avertit les aidants par SMS, en cas d’oubli de la personne malade.

→ Pour encourager l’autonomie, des montres connectées couplées à une application et parfois à des capteurs disposés dans la maison ont été développées pour aider la personne malade à effectuer seule des tâches quotidiennes. La montre envoie un texto à la personne pour l’avertir par exemple de manger, de se laver, ou de la venue de l’infirmière, de l’aide-ménagère…

→ Pour stimuler les capacités cognitives, des professionnels de santé ont conçu des jeux vidéo, développés par une entreprise de services numériques et disponibles gratuitement en ligne sur le site www.curapy.com. Exemple : X-TORP propose aux joueurs de prendre les commandes d’un bateau pour participer à une bataille navale virtuelle. L’objectif du jeu est à la fois d’améliorer les performances cognitives (concentration, attention), physiques (mouvements pour diriger le navire) et sociales (car il y a plusieurs joueurs). À utiliser toutefois avec modération et à un stade léger de la maladie, l’usage de ses jeux pouvant être contre-productif et angoisser certaines personnes en cas d’échec.

* Selon la Fondation pour la recherche sur Alzheimer (lien raccourci : bit.ly/2L6QqY7).

Cas pratique

Madame G. vit à son domicile, atteinte de la MA. Son époux vous fait part de son inquiétude car elle a tendance à se replier sur elle-même depuis un certain temps, restant assise toute la journée sur le canapé, apathique. Presque tous les jours vers 17 heures quand le jour tombe, elle commence à s’agiter et à s’angoisser. Elle dit qu’elle doit aller chercher ses enfants à l’école. Elle s’est déjà enfuie du domicile en profitant de l’absence de son mari. Celui-ci vous fait part de son désarroi, ne sachant quelle attitude ni quels propos adopter pour la rassurer. Paradoxalement, il a remarqué que son épouse est parfois très agressive lorsque leurs enfants viennent leur rendre visite le dimanche après-midi.

Vous expliquez au mari qu’il ne faut pas essayer de raisonner à tout prix son épouse en lui expliquant qu’elle n’a pas à aller chercher les enfants. Il vaut mieux tenter de détourner son attention sur un autre sujet. Vous lui suggérez de faire appel à une auxiliaire de vie, qui pourra accompagner son épouse à l’extérieur, afin de réduire les risques de fugue.

Face à un malade agressif, comment réagir

→ Ne pas répondre par l’agressivité, pour ne pas entrer dans un rapport de forces, sinon la situation peut vite se dégrader.

→ Amener la personne en colère dans un lieu isolé, la faire asseoir, s’asseoir à côté d’elle, puis la laisser seule quelques instants.

→ Lui montrer que l’on a perçu son mécontentement. Ignorer l’agressivité risque de renforcer celle-ci.

→ Lui manifester une attitude d’écoute neutre et bienveillante. Et dans la mesure du possible, rester calme et sourire.

→ Reconnaître notre propre agressivité en écho et reconnaître notre seuil de tolérance. Quand ce seuil est atteint, mettre en place une autre stratégie, en parler, demander de l’aide, passer le relais à d’autres personnes.

→ Apprendre à prendre de la distance pour ne pas se sentir personnellement agressé.

Source : d’après une brochure éditée par France Alzheimer, Face à l’agressivité.

« Quand vous nous parlez… »

Voici les demandes de jeunes malades recueillies par Sophie Auria, psychologue à Toulouse, lors d’un groupe de parole organisé par France Alzheimer.

→ Ne répétez pas.

→ Faites des phrases courtes.

→ Parlez lentement.

→ Prenez le temps de nous écouter parce que l’on met du temps à parler.

→ Quand vous parlez, ne faites pas comme si nous n’étions pas là en parlant de nous à la troisième personne.

→ Laissez-nous le temps de trouver, de terminer.

→ Ne nous faites pas plus malade que ce que nous sommes.

→ Ne décidez pas pour nous.

→ Ne nous surprotégez pas, nous ne sommes pas des enfants.

→ Ne nous faites pas porter vos peurs.

Questions de proche

Quelle attitude adopter face au manque de mots d’une personne ?

Aider la personne et lui prêter des mots. Lui donner des indices pour retrouver le mot. Il n’est pas question de la reprendre et d’insister sur son échec. Si les mots manquent trop pour comprendre le contenu informatif du discours, s’intéresser au message non verbal : ton de la voix, regard, gestuelle. Puis renvoyer à la personne ce que l’on a compris. Jusqu’au bout, la personne malade est digne de rester un interlocuteur possible. Même si elle ne peut plus parler, il faut lui adresser la parole.

Faut-il stimuler les malades en leur demandant de prendre des décisions

Non, à un certain stade de la maladie, il leur devient très difficile de faire des choix. Ainsi, il vaut mieux poser des questions fermées qu’ouvertes. Exemple : vous voulez un café ? C’est oui ou non. Ne pas demander à la personne : que voulez-vous boire ?