À deux pas des volcans d’Auvergne, une poignée d’habitants d’un petit bourg a décidé d’agir après la fermeture de la supérette en créant une épicerie solidaire. Parmi eux, Hélène Gratadeix, infirmière libérale.
Sauxillanges, petit village du Puy-de-Dôme, 1 200 âmes. Son musée du patrimoine, ses commerces : une boucherie, deux garages, trois bars, deux boulangeries, une pharmacie. Et quatre médecins, deux cabinets de kinésithérapie et deux cabinets d’infirmiers… On est loin du désert rural ! Pourtant, ce bourg tranquille, situé à une quinzaine de kilomètres d’Issoire, peinait à s’animer. Et lorsque la supérette a fermé, cela a alerté les habitants. Afin de redynamiser la vie locale, quelques Sauxillangeois se sont réunis autour d’une table. Pour la plupart, des “consomm’acteurs” qui fréquentent l’AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) locale.
Parmi eux, Hélène Gradateix, 53 ans, infirmière libérale. Cette native de Paris est installée ici depuis une vingtaine d’années. « Enfant, je venais passer toutes mes vacances ici, chez mes grands-parents. Et quand j’ai quitté l’hôpital public, en région parisienne, je suis revenue vivre dans cette région. » Hélène a ensuite travaillé dans une clinique, à Brioude (Haute-Loire), puis dans un autre établissement privé, à Issoire. Avant d’opter pour l’aventure en libéral. « Quand on a commencé à ne plus avoir de temps pour les patients [dans l’établissement] », précise-t-elle, amère, face aux conditions de travail qui se dégradent un peu partout dans le secteur de la santé. Elle a ouvert son cabinet, qu’elle partage avec trois associés : « Nous pouvons ainsi travailler une semaine sur deux : une grande semaine complète et une semaine en matinée. Et entre-deux, une semaine de repos. » Avec un emploi du temps planifié à l’année, cela leur permet d’organiser leur vie personnelle.
Lorsque Hélène se lance dans ce projet d’animation du village, « nous ne savions pas trop quoi proposer. Nous étions tous d’accord sur l’idée de création d’un lieu à la fois convivial et citoyen. Un salon de thé a d’abord été évoqué. Mais quand la supérette a fermé, l’idée d’ouvrir une épicerie où on trouverait les produits de première nécessité a été immédiatement retenue ». Au fil des réunions, une association, l’Alternateur
Ouverte tous les jours de la semaine, et même le dimanche matin, la petite épicerie, installée en face de l’ancienne supérette au rideau baissé, ne désemplit pas. Depuis l’ouverture, en septembre 2017, le succès est au rendez-vous. Soixante-dix bénévoles âgés de 30 à 70 ans se relaient chaque jour pour tenir boutique : retraités, demandeurs d’emploi, médecin, enseignants… ou infirmière ! Car Hélène Gratadeix devient épicière deux fois par mois. « Deux demi-journées par mois, c’est le minimum de temps que chacun doit donner pour faire tourner l’épicerie solidaire. Mais il arrive parfois qu’il y ait des trous dans le planning », indique l’infirmière. C’est elle qui est en charge de la commission “planning” et garde toujours un œil sur ce calendrier à remplir.
Dans l’association, les rôles ont été distribués afin d’alléger la tâche de chacun. Il y a ceux qui gèrent les stocks, ceux qui sont en lien avec tous les bénévoles, et certains qui ont déjà quelques expériences dans le domaine du commerce. C’est toujours utile, même si le but n’est pas de gagner beaucoup d’argent. « De quoi payer les fournisseurs, régler le loyer du local (250 euros) et faire un petit bénéfice pour d’éventuels aménagements », indique l’infirmière.
Sur les rayons, l’offre est alléchante, avec des produits pour la plupart locaux. Tout n’est pas issu de l’agriculture biologique, mais le critère numéro un, c’est de favoriser le circuit court. Avec ses amis bénévoles, Hélène remplit les rayons avec les derniers arrivages de fruits et légumes. « Nous avons une règle : nous ne vendons aucun produit que l’on pourrait trouver dans les magasins du village. Donc pas de viande ni de pain. On ne s’est pas installé pour faire mourir les commerces autour de nous ! » L’offre est malgré tout conséquente : confitures, miel, pâtes fraîches, fromages régionaux, graines et céréales en vrac et en tout genre. On y trouve même du vin, de la bière des brasseries locales, du savon ou des tisanes… et aussi des produits ménagers respectant l’environnement. « Nous proposons également des conserves de légumes fabriquées dans un ESAT [Établissement et service d’aide par le travail]. Au total, près de 250 références provenant d’une trentaine de producteurs. » Ce sont souvent les bénévoles qui se rendent sur les exploitations. « Comme nous prenons de petites quantités, les producteurs ne peuvent pas toujours nous livrer. Nos adhérents ou bénévoles ramènent alors le fromage du Cantal, la fourme d’Ambert d’une ferme. Mon mari, lui-même vendeur de primeurs sur les marchés, nous donne des fruits des arboriculteurs d’Ardèche. »
Dans l’épicerie, il y a toujours deux bénévoles. Un “alternateur” et un “démarreur”. L’un est là pour découvrir le fonctionnement pendant que l’autre veille sur lui car il a un peu d’expérience. Aujourd’hui, c’est Astrid qui tient la caisse. Elle est secondée par Élisabeth. Et, dès l’ouverture, les clients affluent : des personnes âgées, des mères avec leur bébé… Certains ne viennent que pour le bio ; d’autres pour faire toutes leurs courses. Une vieille dame se fait aider dans ses choix. Elle semble un peu perdue devant les produits en vrac ou ces packagings qu’elle ne connaît pas. « J’ai 84 ans et je ne peux plus conduire, alors c’est une aubaine, ce lieu, même si je crois que c’est un peu plus cher qu’au supermarché d’avant… » « Ce sont des prix de petits producteurs et nous n’achetons pas assez de quantité », justifie Hélène. Dans la boutique, une jolie ambiance règne : entre clients et bénévoles, on rigole, on se fait la bise. Un vrai lieu de rencontres.
L’infirmière, même si elle ne mélange pas son activité professionnelle et ses engagements associatifs, ne se prive pas de présenter l’épicerie à ses patients. Beaucoup sont enthousiastes à l’idée de s’y rendre. « Je leur amène une course ou deux s’ils sont dans l’incapacité de se déplacer à cause de leurs problèmes de santé. Ou s’il y a de la neige sur les routes. Mais je faisais déjà cela avant l’ouverture de notre boutique ! » À Sauxillanges, l’épicerie fait l’unanimité. Seul petit bémol, l’ancien patron de la superette fermée vient tout récemment d’ouvrir un mini-market à l’entrée du village… Mais cela n’inquiète guère l’équipe de l’Alternateur.
Désormais, la petite rue du Monastère n’est plus totalement plongée dans l’obscurité, dès la nuit tombée. L’Alternateur l’éclaire, et parfois tardivement, comme ce soir-là : des habitants sont venus dans le local de convivialité, attenant au magasin, pour suivre un débat autour des différents labels bio. Hélène a tenu à y participer, après sa tournée. « Mais il y a aussi des rencontres avec des producteurs, des présentations de produits ou de l’information sur les pesticides… Et même des ateliers tricot ou des soirées jeux de société. » Toutes les propositions faites par les clients et adhérents sont étudiées par la commission “animation”. L’équipe ne manque ni d’énergie ni de projets. Et au fil des mois, chacun amène ses idées pour améliorer les services. « Au départ, nous avons commencé un peu à l’aveuglette, et puis, au fur et à mesure, nous avons appris. Et nous tirerons un premier bilan au bout de la première année. Peut-être que l’Alternateur pourra avoir un salarié ! » Nul doute que la population du village veillera à ce que la petite épicerie solidaire perdure. Elle est déjà devenue essentielle pour de nombreux habitants d’ici et d’autres bourgs environnants.