L’ulcère gastroduodénal - L'Infirmière Libérale Magazine n° 348 du 01/06/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 348 du 01/06/2018

 

Pathologie digestive

Cahier de formation

Point sur

Nathalie Belin  

L’ulcère gastroduodénal est une maladie évolutive et invalidante. Présente chez plus de 90 % des malades, l’infection par Helicobacter pylori joue un rôle déterminant dans la survenue de la maladie et son évolution.

Physiopathologie

→ L’ulcère gastroduodénal est défini par une perte de substance plus ou moins profonde de la muqueuse de l’estomac ou de la partie initiale de l’intestin grêle, le duodénum.

→ L’inflammation chronique observée résulte d’un déséquilibre entre les facteurs d’agression de la muqueuse (sécrétion acide) et les mécanismes de défense (mucus, bicarbonates). Le rôle de H. pylori est clairement établi dans la pathogénèse de l’ulcère gastrique et duodénal.

Signes cliniques

→ Typiquement, le syndrome ulcéreux se manifeste par une douleur épigastrique sans irradiation à type de crampe ou faim douloureuse, apparaissant en période post-prandiale, et calmée par la prise d’aliments ou de médicaments antiulcéreux. L’évolution se fait par poussées de quelques semaines espacées de périodes de rémission de quelques mois.

→ Le tableau est toutefois souvent atypique : douleur localisée à droite ou à gauche, non rythmée par l’alimentation. Il existe également des formes asymptomatiques révélées par une endoscopie réalisée pour une autre raison.

Facteurs favorisants

→ Les deux principaux facteurs favorisants sont l’infection à H. pylori et les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). La toxicité de ces derniers résulte de l’inhibition de la synthèse des prostaglandines gastroduodénales (qui induisent la sécrétion de mucus et de bicarbonates à l’action protectrice).

→ Par ailleurs, sont également impliqués des facteurs génétiques et environnementaux comme le tabac. Le stress n’a pas de rôle démontré.

Diagnostic

→ Il est confirmé par l’endoscopie digestive et la réalisation de biopsies pour rechercher la présence d’H. pylori et évaluer le degré d’inflammation.

→ À noter que la recherche d’H. pylori peut aussi être réalisée par un examen sérologique (recherche d’anticorps spécifiques dans le sang) dans les situations qui réduisent la sensibilité des techniques sur biopsies (hémorragie…), ou par le test respiratoire à l’urée marquée (Hélikit) indiqué dans le contrôle de l’éradication lorsqu’une endoscopie n’est pas nécessaire.

→ Le diagnostic doit exclure les autres causes de douleurs épigastriques (à écarter avant réalisation de l’endoscopie : infarctus du myocarde, reflux gastro-œsophagien, pancréatite…) ainsi que les pathologies pouvant être à l’origine d’un ulcère (syndrome de Zollinger-Ellison (1), maladie de Crohn, lésions tumorales notamment).

Évolution et complications

→ La majorité (60 %)(2) des ulcères non traités récidivent.

→ Les complications possibles mais peu fréquentes sont l’hémorragie digestive (risque aggravé par la prise d’AINS et saignement majoré par la prise d’anticoagulants ou d’antiagrégants), la perforation (favorisée par les AINS) et la sténose (exceptionnelle).

→ Les ulcères gastriques peuvent évoluer vers le cancer gastrique, mais cette évolution reste rare. Les ulcères duodénaux n’évoluent jamais vers la cancérisation.

Prise en charge

En présence d’H. pylori

Le traitement de l’infection est efficace pour prévenir les récidives d’ulcères gastriques et duodénaux et la survenue des cancers gastriques. La progression de la résistance bactérienne aux antibiotiques, notamment à la clarithromycine, a amené à l’élaboration de nouvelles recommandations(3).

Antibiothérapie guidée par l’antibiogramme

Le traitement n’étant pas une urgence, cette stratégie est recommandée. Selon les résultats, est indiquée :

→ soit une trithérapie amoxicilline + clarithromycine + IPP (inhibiteur de la pompe à protons, ésoméprazole ou rabéprazole de préférence, matin et soir) ou amoxicilline + lévofloxacine + IPP, pendant dix à quatorze jours ;

→ soit une quadrithérapie “bismuth” sur dix jours reposant sur l’association sel de bismuth + tétracycline + métronidazole (Pyléra, 3 gélules, 4 fois par jour) + IPP (oméprazole, matin et soir).

Antibiothérapie probabiliste

Recommandée en l’absence d’étude de sensibilité aux antibiotiques, elle repose en première intention sur une quadrithérapie “concomitante” (amoxicilline + clarithromycine + métronidazole + IPP, rabéprazole ou ésoméprazole de préférence) pendant quatorze jours ou sur la quadrithérapie bismuthée, Pyléra + IPP (oméprazole), pendant dix jours. En cas d’échec de l’un de ces traitements, il est recommandé d’utiliser l’autre, et en cas de nouvel échec, d’étudier la sensibilité de la bactérie aux antibiotiques (gastroscopie avec biopsies).

En cas d’ulcère duodénal compliqué ou d’ulcère gastrique

L’antisécrétoire (IPP) à pleine dose doit être poursuivi durant trois à sept semaines après arrêt des antibiotiques.

En cas d’échec de ces traitements

Un avis spécialisé est nécessaire (par exemple le Centre national de référence des Campylobacters et Hélicobacters).

Contrôle de l’éradication

Ce contrôle se fait le plus souvent par un test respiratoire. Il est systématique après le traitement et doit se faire au moins quatre semaines après l’arrêt des antibiotiques et deux semaines après l’arrêt des IPP.

En l’absence d’H. pylori

→ Un IPP est indiqué pendant quatre à huit semaines en cas d’ulcère gastrique, quatre semaines en cas d’ulcère duodénal. En cas d’ulcère gastrique, un contrôle endoscopique est systématique en fin de traitement pour s’assurer de la cicatrisation, le traitement par IPP devant être poursuivi jusqu’à cicatrisation complète. Si besoin, un traitement au long cours réduit la fréquence des récidives et des complications.

→ Selon le cas, le contrôle de la maladie causale si elle est retrouvée est nécessaire (syndrome de Zollinger-Ellison, maladie de Crohn…). Si la prise d’un AINS est en cause et qu’il doit être poursuivi (ulcère non compliqué), l’association à un IPP est de rigueur.

Conseils

Les deux facteurs prédictifs d’échec au traitement sont les résistances des souches aux antibiotiques et une mauvaise observance. Celle-ci est souvent due à une mauvaise information des patients sur les effets indésirables possibles de l’antibiothérapie : principalement troubles digestifs (dyspepsie, diarrhée), mais aussi goût métallique en bouche et effet antabuse pour le métronidazole (éviter la prise de boissons alcoolisées), photosensibilisation pour la tétracycline et risque d’œsophagite et d’ulcérations œsophagiennes imposant une prise avec un grand verre d’eau, aspect foncé de la langue et des selles et nausées pour le bismuth. Bien informés de ces effets indésirables, les patients sont moins enclins à arrêter le traitement.

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêts.

(1) Syndrome de Zollinger-Ellison : affection rare à l’origine d’ulcères récidivants au niveau du duodénum essentiellement.

(2) Chiffres issus du rapport d’élaboration de la Haute Autorité de santé (HAS), “Pertinence des actes et prescriptions médicamenteuses chez un patient adulte infecté par Helicobacter pylori”, mai 2017 (via le lien raccourci bit.ly/2rxlubh).

(3) Recommandations de la HAS et du Groupe d’études français des Helicobacter en 2017.

Épidémiologie

→ L’incidence annuelle de l’ulcère duodénal est d’environ 0,2 % (60 000 à 80 000 nouveaux cas par an en France). L’ulcère gastrique est deux à quatre fois moins fréquent.

→ 95 % des ulcères duodénaux et 70 % des ulcères gastriques seraient associés à une infection à H. pylori. L’infection, le plus souvent contractée dans l’enfance, provoque une gastrite chronique généralement asymptomatique. La gastrite liée à H. pylori peut se compliquer d’un ulcère chez environ 10 % des personnes infectées et, plus rarement, après plusieurs décennies, d’un cancer de l’estomac. En France, la prévalence de l’infection à H. pylori est d’environ 15 à 30 %. Elle est plus faible chez les moins de 30 ans (moins d’une personne sur cinq), plus élevée après 50-60 ans (environ une personne sur deux) ; elle est élevée chez les personnes provenant des régions de forte endémie (Maghreb, Afrique, Asie : 80 %)*.

* Chiffres issus du rapport d’élaboration de la Haute Autorité de santé, “Pertinence des actes et prescriptions médicamenteuses chez un patient adulte infecté par Helicobacter pylori”, mai 2017 (via le lien raccourci bit.ly/2rxlubh).