Infirmière, enseignante et juriste : Helena Zaugg a développé une vision globale du métier de soignant en Suisse. Depuis 2015, elle préside l’une des principales associations helvétiques dans le domaine de la santé. Son ambition : redorer l’image de la profession.
Avec ses 25 000 membres, l’Association suisse des infirmiers et infirmières (ASI) est une référence. Installée dans la capitale, Berne, elle représente les professionnels auprès des politiciens, des employeurs et des autorités, tant au niveau fédéral que cantonal. Helena Zaugg en prend la présidence en 2015, poussée par l’envie d’agir alors que la profession infirmière fait face à des difficultés, notamment une pénurie de candidats.
« Les changements intervenus durant les quinze dernières années dans la formation professionnelle et les budgets alloués aux soins infirmiers ne vont pas dans le bon sens, témoigne Helena Zaugg, dans un français teinté d’un joli accent suisse.
Nous perdons du terrain alors que des améliorations importantes avaient été obtenues des années 1980 aux années 2000. En Suisse, aujourd’hui, le personnel soignant n’est pas reconnu à son niveau de compétences, et pas suffisamment rémunéré. »
Helena Zaugg, 59 ans, a acquis une vision transversale de la profession. Elle peut ainsi aborder ses problématiques avec une certaine hauteur. Après une formation d’infirmière en soins généraux, elle a travaillé pendant une dizaine d’années dans des hôpitaux, notamment en soins intensifs. Elle s’est ensuite formée à la pédagogie pour enseigner auprès des infirmières. Pendant vingt ans, elle a dispensé des cours dans des écoles alors réglementées par la Croix-Rouge suisse. Puis elle a étudié le droit, pour devenir juriste. Cela lui a notamment permis de travailler dans le cadre de projets éthiques, à l’université.
Aujourd’hui, elle s’engage donc au sein de l’ASI, qui travaille en partenariat avec la Swiss Nurse Leaders, organisation des directeurs de soins infirmiers, l’Association suisse pour les sciences infirmières et des associations spécialisées d’infirmiers anesthésistes, de soins d’urgences… Dans un contexte de tensions sur le marché du travail infirmier, Helena Zaugg ne manque pas de projets ni d’ambition. À commencer par la volonté de replacer le soin infirmier au cœur du système de santé.
En novembre dernier, l’ASI lance une initiative populaire fédérale baptisée “Pour des soins infirmiers forts”. En quelques mois, elle obtient 114 000 signatures, suffisamment pour prouver que la population soutient la volonté de la profession d’être mieux reconnue et valorisée, notamment sur le plan du salaire, afin de rester attractive. Reste à convaincre les autorités… qui, après avoir coupé les budgets ces dernières années, sont plutôt enclines à faire la sourde oreille. « Les gens savent qu’ils - que nous tous - auront tôt ou tard besoin de soins prodigués avec compétence. Et beaucoup de personnes ont déjà eu l’occasion de réaliser ce que signifie le fait que du personnel soignant ait trop peu de temps », commente Helena Zaugg.
En Suisse, la pénurie d’infirmières est devenue criante, « et cela empire, car la profession perd en attractivité. Nous avons vraiment besoin de mesures pour changer les choses. On compte 90 000 infirmières dans le pays et, en 2017, 6 500 postes ouverts n’ont pas trouvé de candidate… Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si 75 % du personnel dans les hôpitaux [donnée de 2014] viennent de France, d’Autriche, d’Allemagne ».
Pour répondre aux besoins croissants, il ne suffit pourtant pas de former davantage de professionnels. « De bonnes conditions de travail sont également nécessaires pour que les personnes formées restent dans la profession le plus longtemps possible. Cela implique des salaires équitables - y compris durant la longue période de formation -, des conditions favorables à la vie de famille, davantage de pouvoir décisionnel, de meilleures offres de formation et des possibilités de carrière intéressantes. »
D’après Helena Zaugg, la question du salaire est cruciale : si les infirmières démarrent avec un revenu très correct, celui-ci stagne les années suivantes, et elles n’ont que peu de perspectives d’évolution. L’ancienneté, l’expérience et la montée en compétences n’y font pas beaucoup. « Même pour les infirmières diplômées d’un master, le salaire progresse peu. Pour les jeunes, la profession n’est pas attractive, et pour des personnes en poste, il n’est pas stimulant de rester dans ce métier. Beaucoup d’infirmières diplômées quittent la profession après quelques années d’exercice. »
Parmi les projets de l’ASI figurent aussi le développement de masters spécialisés pour les soins infirmiers et la réglementation de la pratique des soins avancés spécialisés afin de reconnaître la valeur ajoutée des infirmières qui les pratiquent et ainsi obtenir une revalorisation de leur rémunération.
Le diplôme d’infirmier suisse s’obtient après une formation de trois ans dans une Haute École spécialisée (HES), qui prépare au bachelor of science HES en soins infirmiers. Cette école est accessible après l’obtention d’une “maturité” (équivalent du baccalauréat en France). La formation est constituée d’une alternance de cours théoriques et de stages pratiques dans les différents milieux professionnels. Les élèves qui n’ont pas cette “maturité” mais un parcours en apprentissage avec un certificat fédéral de capacité peuvent suivre une formation infirmière dans une école supérieure. « Le contenu de ces deux parcours est assez identique, mais les études en HES sont plus poussées sur le plan scientifique », précise Helena Zaugg.
Les infirmières suisses peuvent exercer en France avec un diplôme suisse, à condition d’obtenir une autorisation du ministère de la Santé, après avoir déposé un dossier auprès de la Direction régionale de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion sociale.
« Contrairement à ce qui se pratique en France, peu d’infirmières travaillent en indépendantes en Suisse (1,5 %). La plupart exercent à l’hôpital, dans des établissements médico-sociaux ou au sein de services ambulatoires qui proposent des soins de santé prodigués par des auxiliaires de santé, et des soins infirmiers délivrés par des infirmières. D’ailleurs, travailler en indépendant n’est possible que depuis les années 1990. Beaucoup d’infirmières françaises habitant près dela frontière viennent travailler en Suisse romande. Nous travaillons bien ensemble : notre formation n’est pas très différente, des soins infirmiers restent des soins infirmiers… Toutefois, la culture des soins, les champs de compétences et l’autonomie peuvent parfois varier. »