Les services de soins infirmiers à domicile et d’hospitalisation à domicile peuvent, depuis le mois de juin, intervenir simultanément auprès d’un même patient. Une innovation qui vise à éviter les ruptures de prise en charge.
Quand l’état d’un patient pris en charge en Ssiad (service de soins infirmiers à domicile) ou en Spasad (service polyvalent d’aide et de soins à domicile) s’aggrave, il n’est pas rare qu’un établissement d’HAD (hospitalisation à domicile) prenne le relais. Dans ce cas, au domicile du malade, c’est un peu le branle-bas de combat. Les professionnels qui venaient parfois depuis plusieurs années changent, il faut aménager certains espaces, les médicaments diffèrent… Bref, tout serait plus simple si les professionnels du Ssiad pouvaient continuer leur travail, laissant l’HAD gérer ce qui relève de ses compétences propres. Et c’est justement le but des interventions conjointes Ssiad/HAD.
Celles-ci correspondent à un besoin ancien, identifié par exemple en 2015 dans une enquête commune menée par la Fnehad, l’ADMR et l’UNA (respectivement Fédération nationale de l’hospitalisation à domicile, Aide à domicile en milieu rural et Union nationale de l’aide). Une meilleure coordination entre les équipes d’HAD et de Ssiad est désormais possible : le ministère, qui avait déjà mis fin à certaines restrictions concernant l’intervention de l’HAD en Ehpad, a publié début juin les textes détaillant les conditions et les modalités d’une intervention conjointe de l’HAD et des Ssiad ou Spasad, comme nous l’annoncions dans la rubrique “Lu au Journal officiel” de notre précédent numéro. Côté conditions, pour pouvoir bénéficier d’une telle intervention, le patient doit au préalable avoir été suivi pendant au moins sept jours consécutifs par le Ssiad ou le Spasad
Les acteurs de l’HAD se disent satisfaits de cette nouvelle politique. « C’est de la dentelle, c’est centré sur le patient, c’est de l’innovation institutionnelle », s’enthousiasme le Dr Mickael Benzaqui, conseiller médical de la Fnehad. Sur le terrain aussi, la collaboration avec les Ssiad est vue comme une opportunité. « On est tout le temps en train de demander aux familles de faire les toilettes et les changes parce qu’on n’a pas assez d’aides-soignantes », témoigne par exemple Clotilde Bruneton, infirmière à l’HAD de l’hôpital Ambroise-Paré, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Elle espère que les conventions avec les Ssiad donneront un peu d’air à son service.
Les Ssiad aussi accueillent la nouvelle de manière positive. « Jusqu’à maintenant, quand la charge en soins augmentait, nous n’étions plus capables d’assumer notre mission », explique Mireille Spitzer, présidente de l’Union nationale des associations et services de soins infirmiers, une association qui regroupe exclusivement des Ssiad. « L’intervention conjointe va nous permettre de réaliser ce pour quoi nous sommes faits, jusqu’au bout. »
Même son de cloche du côté d’Esther Schindler, responsable santé et autonomie à l’Union nationale ADMR, fédération qui rassemble divers acteurs de l’aide à domicile. « Il y avait vraiment besoin d’aller au-delà du simple passage de relais entre HAD et Ssiad pour les patients pour lesquels la situation s’aggrave, estime-t-elle. Sans intervention conjointe, on n’est pas dans la continuité de la prise en charge, on peut rompre les équilibres et déstabiliser les patients. » D’ailleurs, HAD et Ssiad semblent s’être lancés très rapidement dans la nouvelle organisation, et beaucoup rédigent déjà leurs conventions.
Tout n’est pas rose pour autant. Clotilde Bruneton est par exemple dubitative quant à la capacité des futures conventions à moins désorganiser le domicile des patients précédemment pris en charge par les Ssiad. « Bien sûr que cela va nous aider à moins bousculer les gens quand on met en place l’HAD, concède-t-elle. Mais on voudra quand même que notre équipe vienne, même si on ne fera pas forcément trois passages par jour. » Autre point négatif : les infirmières salariées des Ssiad ne pourront pas continuer à intervenir au domicile pendant la durée de l’HAD, même si leurs collègues aides-soignantes le font. « Les soins infirmiers seront forcément délégués à l’HAD », explique Mireille Spitzer, qui reconnaît que cela peut avoir quelque chose de frustrant pour ces professionnelles. Reste à savoir si les Ssiad auront les ressources pour faire face au surcroît d’activité que représentent les soins de nursing confiés aux aides-soignantes pendant l’HAD. « C’est sûr que si les Ssiad sont occupés à 100 %, ils ne pourront pas prendre en charge les HAD », reconnaît Mireille Spitzer, qui affirme toutefois que beaucoup de Ssiad connaissent des périodes de creux. Esther Schindler, qui estime que le taux d’occupation dans son réseau tourne autour de 90-95 %, pense que les Ssiad pourront tout de même assurer la continuité des soins. « C’est une question d’organisation », affirme-t-elle. Rendez-vous dans quelques mois pour juger si cette affirmation relève du volontarisme ou de l’excès d’optimisme.
(1) Sauf admission en HAD pour chimiothérapie anticancéreuse ou transfusion sanguine. Dans ce cas, il n’y a pas de durée minimale.
(2) Sous réserve que le Ssiad ou le Spasad ait pris en charge le patient avant son hospitalisation complète pendant une durée minimale, et que le retour à domicile du patient s’effectue dans un délai pendant lequel le Ssiad ou le Spasad conserve la place de ce patient.
Selon une étude réalisée en mai par le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil), 57 % des Idels ont des conventions avec des Ssiad, et 74 % avec des HAD. L’enjeu des interventions conjointes Ssiad/HAD est donc pour elles de taille. Le problème, c’est que cette innovation irrite la profession. « On ne comprend pas pourquoi on transfère les patients qui s’aggravent des Ssiad aux HAD, alors que les Idels sont tout à fait à même de prendre en charge les soins techniques », s’indigne Catherine Kirnidis, présidente du Sniil. Bien sûr, les Idels pourront intervenir auprès de ces patients en HAD dans le cadre de leurs conventions avec ces dernières, mais cela va coûter plus cher, estime-t-elle. Le nouveau dispositif « permettra [à l’HAD] de capter encore un peu plus la patientèle des Idels, dénonce, de son côté, la Fédération nationale des infirmiers (lien : bit.ly/2IwuxzN), tout en utilisant ces dernières comme variable d’ajustement sur les plages horaires les plus contraignantes ». « Une coûteuse usine à gaz », selon le syndicat.