L'infirmière Libérale Magazine n° 349 du 01/07/2018

 

Gynécologie

Cahier de formation

Point sur

Marie Fuks*   Dr Sofiane Bendifallah**  

L’endométriose, maladie encore mal connue et mal repérée, est souvent diagnostiquée avec un retard préjudiciable aux patientes. Bien connaître cette maladie peut permettre aux Idels de mieux assurer leur rôle d’écoute, d’information et d’orientation.

Définition

Très fréquente(1), l’endométriose (EDT) est communément définie par la localisation de tissu endométrial (glandes et stroma, muqueuse qui recouvre la paroi interne de l’utérus) en dehors de la cavité utérine. Plusieurs théories ont été proposées pour expliquer la formation et le développement des lésions d’endométriose ; celle basée sur le reflux menstruel de tissu endométrial par les trompes dans la cavité péritonéale reste la plus plausible. Cependant, ces théories n’expliquent pas les localisations extra-pelviennes des lésions. Celles-ci peuvent être pleuro-pulmonaires (elles sont responsables de pneumothorax récurrents qui doivent alerter), cutanées, ganglionnaires, rénales, oculaires, et imposent d’évoquer la possibilité d’une dissémination par voie hématogène et lymphatique. Sensibles aux hormones, ces lésions se congestionnent et saignent durant les règles. Non évacué, ce sang entraîne une irritation du péritoine et une inflammation à l’origine de la formation d’un tissu cicatriciel qui peut former des adhérences entres les organes adjacents à l’appareil génital féminin (intestin, et vessie notamment). « Il existe trois entités anatomo-cliniques, explique le Dr Sofiane Bendifallah, MCU-PH, chirurgien dans le service de gynécologie-obstétrique et médecine de la reproduction de l’hôpital Tenon (Paris, AP-HP) : l’endométriose péritonéale, ovarienne (endométriome) et profonde. Cette dernière est caractérisée par l’infiltration, au-delà du péritoine, des structures anatomiques ou des organes sur une profondeur de plus de 5 mm. »

Symptomatologie

Quelques signes cliniques simples permettent d’orienter le diagnostic vers une EDT et d’adresser la patiente vers une équipe spécialisée (lire l’encadré). Les symptômes cataméniaux (liés aux règles) sont les plus évocateurs (dysménorrhée, dyspareunie profonde, douleurs pelviennes chroniques). Il faut systématiquement rechercher des symptômes digestifs et urologiques (dyschésie - difficulté à l’évacuation des selles -, ténesme - faux besoins d’aller à la selle -, diarrhée, constipation, dysurie). Le caractère cyclique des symptômes avec recrudescence cataméniale est évocateur mais aucun n’est spécifique. Des formes asymptomatiques existent malgré des atteintes parfois très sévères. Le diagnostic peut être réalisé à l’occasion d’un bilan d’infertilité ou de l’exploration d’un kyste de l’ovaire. L’ensemble de ces symptômes entraîne une franche altération de la qualité de vie (QDV) des patientes.

Un diagnostic souvent tardif

Avoir des règles douloureuses n’est pas tout à fait normal, contrairement à ce qui semble communément admis. « De nombreux travaux montrent que cette banalisation, liée à la méconnaissance de la pathologie et à l’absence de formation des médecins, explique l’errance diagnostique des femmes », précise le Dr Sofiane Bendifallah. Par ailleurs, la symptomatologie peut être masquée par la contraception orale. « C’est la raison pour laquelle il n’est pas rare que six à huit ans s’écoulent entre l’apparition des symptômes et le diagnostic d’EDT. » Durant toutes ces années, les patientes errent de consultation en consultation et perdent un temps précieux aux dépens de leur vie sociale, professionnelle, sexuelle et de leur fertilité.

La clinique

Conformément aux dernières recommandations(2), la démarche diagnostique repose sur un interrogatoire clinique, un examen gynécologique et une échographie abdomino-pelvienne. « La clinique est prépondérante et peut s’appuyer sur des questionnaires de QDV et des échelles d’évaluation de la douleur [la consommation d’antalgiques pendant les règles est un indicateur de l’intensité de la douleur, NDLR], poursuit le Dr Bendifallah. L’examen gynécologique approfondi peut, réalisé par un expert, permettre de poser le diagnostic de l’EDT pelvienne de façon aussi reproductible qu’une imagerie performante. » Néanmoins, dans certains cas, une IRM pelvienne et d’autres examens plus poussés et plus invasifs (écho-endoscopie rectale, cystoscopie) peuvent être nécessaires au diagnostic. Les cœlioscopies diagnostiques, toujours pratiquées, sont remplacées dans les centres experts (lire l’encadré) par l’association de l’examen clinique et de l’imagerie, qui permettent d’identifier la grande majorité des endométrioses.

Traitements, démarche thérapeutique

Les traitements ne peuvent ni ralentir l’évolution de la maladie, ni la faire régresser, ni la guérir. Ils agissent en bloquant les règles, ce qui supprime les symptômes douloureux inhérents aux menstruations, dans le but d’améliorer la QDV des femmes.

→ Traitements médicamenteux : lorsque la patiente n’a pas de projet de grossesse, les traitements reposent en première intention sur les pilules œstro-progestatives ou la pose d’un dispositif intra-utérin délivrant du lévonorgestrel(2) et, en deuxième intention, sur les agonistes de la GnRH (hormone de libération des gonadotrophines hypophysaires). Dans ce cas, une add-back therapy (hormonothérapie de substitution) est généralement associée pour limiter leurs effets secondaires (bouffées de chaleur, chutes de cheveux, perte de libido, ostéoporose). Les aGnRH peuvent aussi être utilisés en préopératoire pour réduire le climat inflammatoire chez les patientes qui ont une EDT profonde avec infiltration digestive.

→ Chirurgie : lorsque l’efficacité des traitements médicaux est insuffisante et leurs effets indésirables trop importants, la chirurgie peut être envisagée dans le cadre d’une concertation pluridisciplinaire médico-chirurgicale. Le type d’intervention dépend de la nature de l’endométriose (endométriome, EDT superficielle, profonde, avec infiltration digestive, urinaire ou non…) et des projets de conception du couple. Les techniques peuvent être conservatrices, partielles ou radicales, et doivent préférer la voie d’abord cœlioscopique(2). « Il est particulièrement important, notamment au décours des ablations chirurgicales itératives de kystes ovariens chez des femmes n’ayant pas d’enfant, de veiller à préserver leur fertilité en assurant une réserve ovarienne qui permettra, le moment venu, de répondre à leur désir de conception », insiste le Dr Bendifallah.

Amélioration de la prise en charge

L’infirmière libérale peut contribuer à améliorer la prise en charge précoce de l’endométriose en se mettant à l’écoute des femmes concernées et en ne banalisant pas les symptômes. Au-delà de ce repérage, l’Idel peut les informer qu’il existe des centres experts de l’EDT et une consultation de diagnostic en un jour à l’hôpital Tenon (lire ci-dessous en encadré). Elle peut, en outre, souligner qu’il est important pour la préservation de leur fertilité de bénéficier d’une prise en charge par des spécialistes experts de cette pathologie. Ces derniers pourront en effet, le cas échéant, leur proposer une cryopréservation ovocytaire.

(1) L’EDT concernerait 3 % de la population générale et environ 10 % des femmes en âge de procréer. Son incidence atteint 50 % chez les femmes infertiles.

(2) Recommandations élaborées par la Haute Autorité de santé et le Collège national des gynécologues et obstétriciens français, « Prise en charge de l’endométriose, recommandations pour la pratique clinique », décembre 2017 (lien raccourci : bit.ly/2GYFM4t).

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêts.

Endométriose : opter pour l’expertise

Plusieurs expérimentations ont été conduites dans l’objectif de développer des centres experts labellisés dans le diagnostic et la prise en charge pluridisciplinaire de l’EDT. Le premier centre de référence labellisé par l’Agence régionale de santé se trouve au CHU Charles-Nicolle de Rouen (Seine-Maritime). À Nice (Alpes-Maritimes) et Marseille (Bouches-du-Rhône), un projet de mise en réseau pluridisciplinaire de professionnels publics et privés autour de la prise en charge de l’EDT est encore en expérimentation. Ces modèles feront l’objet d’une évaluation par le ministère des Solidarités et de la Santé. Par ailleurs, la consultation de diagnostic en un jour de l’hôpital Tenon propose aux femmes une prise en charge globale et pluridisciplinaire unique à ce jour, allant du diagnostic (clinique et imagerie) au traitement ostéopathique en passant par la prise en charge médicamenteuse et/ou chirurgicale. Elle intègre également la prise en compte de la préservation de la fertilité des patientes et propose un accompagnement psychologique.