Cahier de formation
Savoir
@Les stomies digestives ou entérostomies sont nécessaires dans la prise en charge de diverses pathologies de l’appareil digestif, notamment cancéreuses ou inflammatoires, mais aussi en cas de traumatisme abdominal ou de malformation. L’autonomie et la qualité de vie de la personne « stomisée » dépendent d’une bonne autogestion de l’entérostomie et donc des compétences qu’elle a acquises.
L’intestin correspond à la partie du tube digestif comprise entre l’estomac et l’anus (voir schéma page ci-contre). Il est composé de l’intestin grêle et du gros intestin ou côlon.
Il comprend le duodénum, le jéjunum et l’iléon, et mesure environ 7 mètres. Le grêle est revêtu d’une multitude de villosités qui interviennent dans la digestion. Le temps du transit se compte en heures.
D’une longueur d’environ 1,5 mètre, le côlon n’a pas pour fonction de propulser le contenu absorbé mais au contraire de s’opposer à une progression trop rapide du contenu, permettant ainsi la réabsorption des liquides issus de l’iléon. Le temps de transit du côlon se mesure en jours. Deux unités motrices peuvent être distinguées :
→ la partie droite (cæcum, côlon ascendant et partie proximale du côlon transverse) joue un rôle de mélange, de brassage et de réabsorption de l’eau ;
→ la partie gauche (partie distale du transverse, côlon descendant et sigmoïde) a une fonction de transport d’importantes masses fécales sur de longues distances.
Une entérostomie (du grec enteron, “intestin”, et stoma, “bouche”) est une déviation chirurgicale du tube digestif, qui n’est plus fonctionnel à cause d’un traumatisme, d’une maladie ou d’une ablation. Cette communication artificielle, réalisée par une opération chirurgicale, consiste en l’abouchement (ou jonction) d’un segment sain du tube digestif à la peau de l’abdomen, en amont de la lésion, pour assurer l’évacuation des selles.
→ Les colostomies correspondent à un abouchement du côlon droit (ou ascendant), transverse (côlon transverse), ou gauche (ou descendant) à la peau de l’abdomen. Elles permettent par exemple d’évacuer les matières fécales en urgence en cas d’occlusion intestinale aiguë.
→ Une iléostomie correspond à un abouchement de l’iléon (dernière partie de l’intestin grêle) à la peau (voir schéma page ci-contre).
Idéalement, l’orifice stomial est compris entre 25 et 30 mm, mais cela est fonction de la pathologie et de l’anatomie du patient. L’entérostomie peut être plane ou en trompe, avec une hauteur d’environ 20 mm. C’est cette forme qui est réalisée lors de la confection d’une iléostomie. En cas d’entérostomie plane, une légère hauteur de 5 mm facilite l’appareillage.
Pour éviter les tensions, le plus souvent :
→ une colostomie transverse est située au niveau de l’hypocondre droit ;
→ une sigmoïdostomie au niveau de la fosse iliaque gauche ;
→ une iléostomie latérale, le plus souvent, dans la fosse iliaque droite.
Idéalement, une stomie :
→ est positionnée en regard du muscle grand droit, et en dehors d’une cicatrice, des plis cutanés et des reliefs osseux ;
→ doit être être visible par le patient, pour faciliter les soins et l’appareillage ;
→ sur une surface plane d’environ 5?cm pour faciliter la pose de recueil.
Le repérage et le marquage de la stomie sont déterminants. L’emplacement choisi par l’infirmière spécialisée stomathérapeute doit garantir la bonne tenue de l’appareillage, prévenir les complications et favoriser l’autonomie plus rapide du patient. L’infirmière tient compte des plis abdominaux et choisit un emplacement éloigné des reliefs osseux et des cicatrices, au niveau d’une surface plane au travers du muscle grand droit. L’emplacement choisi est vérifié en position debout, assise ou couchée, et lors des changements de position. Les activités du patient (joueur de guitare, sportif…), la présence d’un handicap et l’éventualité d’une grossesse sont prises en compte. Les stomathérapeutes repèrent, par un tatouage, l’emplacement le mieux indiqué en fonction du patient.
→ Entérostomie latérale, technique dite en “canon de fusil” : les deux orifices des parties supérieure et inférieure de l’intestin sortent côte à côte de la peau de l’abdomen (voir le schéma page suivante) ;
→ entérostomie terminale : parfois, seule l’extrémité de la partie d’amont de l’intestin est extériorisée, la partie inférieure étant maintenue dans l’abdomen (opération de Hartmann). Dans d’autres cas, les deux segments intestinaux sont extériorisés, soit dans un même orifice, soit dans deux orifices éloignés l’un de l’autre.
Ces techniques sont réalisables pour les colostomies comme pour les iléostomies.
Une baguette peut être insérée sous l’anse intestinale lors de l’intervention pour la maintenir pendant une dizaine de jours. L’infirmière surveille que la baguette ne blesse ni ne cisaille l’intestin. Pour la retirer, l’infirmière fait simplement glisser la baguette. Le geste est sans douleur pour le patient. Lorsque la baguette est placée sous la peau de l’abdomen, l’infirmière ne s’en occupe pas. Elle sera retirée par le chirurgien au moment de refermer la stomie.
Au début, la stomie est rouge violacé et elle reste plus ou moins œdémateuse pendant trois à cinq semaines en moyenne, avant de prendre son aspect définitif rond ou ovalaire. Elle se réduit ensuite de 2 ou 3 mm à 10 mm en devenant “mature”. La stomie est alors un orifice “naturel”. Ce n’est pas une plaie mais une muqueuse intestinale, de la couleur de la muqueuse buccale, insensible (elle ne doit pas faire mal), et qui peut parfois saigner si on la malmène. Toute perte ou gain de poids peut modifier l’entérostomie.
→ Définitive en cas de chirurgie palliative ou devant l’impossibilité de conserver la fonction sphinctérienne.
→ Provisoire ou temporaire (six semaines au minimum) lorsque la stomie protège une anastomose (abouchement de deux parties d’un organe, intestin par exemple), dans le cadre d’une chirurgie en urgence dans un contexte infectieux (péritonite) ou d’une occlusion.
Même si c’est le cas le plus fréquent, toutes les situations médicales n’impliquent pas l’ablation d’un organe. Les entérostomies peuvent aussi être utilisées pour des traitements ou à la place de l’ablation d’un organe.
Par exemple, lorsque l’ablation du rectum pour une tumeur n’est pas réalisable parce que le patient est trop âgé ou trop fragile, une entérostomie peut pallier une occlusion sans enlever la tumeur. Ou encore quand la radiothérapie pour un cancer de l’anus est mal tolérée et entraîne douleurs et diarrhées, une entérostomie évite que les selles n’empruntent la partie traitée.
→ Cancers du côlon, du rectum ou de l’anus (cause prédominante).
→ Maladies inflammatoires de l’intestin (diverticulose colique…).
→ Traumatismes (plaie colique, ingestion de produits toxiques).
→ Malformations congénitales (imperforation anale, absence de rectum, maladie de Hirschsprung…).
→ Cancers du côlon, de l’intestin grêle, polypose familiale diffuse (cause prédominante).
→ Malformations congénitales (agénésie, intestin non fonctionnel, maladie de Hirschsprung…).
→ Maladies inflammatoires de l’intestin (maladie de Crohn, colite ulcéreuse).
→ Pathologies traumatiques ou iatrogènes.
→ Protection d’anastomoses (jonctions de deux parties du tube digestif).
→ Perforation du sigmoïde.
→ Lorsqu’un traitement ou une cicatrisation nécessite un intestin vide de toute matière (protection de sutures intestinales).
→ En cas d’obstacle intestinal : une décompression de l’intestin peut être réalisée en urgence par exemple en cas de tumeur ou de torsion mécanique de l’intestin. ULors d’un traumatisme de l’intestin (plaie…).
→ En cas d’endométriose sévère, lorsque le retrait de nodules implique d’ouvrir le vagin et le rectum. Les deux organes sont réparés, mais il y a un risque de fuite entre le vagin et le rectum. Une iléostomie provisoire évite que les selles n’atteignent la suture.
Les complications d’une entérostomie sont de quatre ordres : chirurgicales précoces et tardives, cutanées péristomiales et métaboliques.
Ces complications surviennent rapidement après la confection de la stomie. « Les complications précoces sont assez rapides et présentent des signes d’alerte. Pour le moment, les durées d’hospitalisation de plus en plus courtes permettent encore de repérer ces problèmes. En cas de doute, le patient ne sortira pas », rapporte Danièle Chaumier, stomathérapeute à l’hôpital Tenon à Paris (XXe arrondissement) et présidente de l’Association française d’entérostoma-thérapeutes.
La nécrose de la stomie est due à une mauvaise vascularisation du segment intestinal ou à une traction de la stomie (sur baguette). La stomie change de couleur et passe du rouge rosé au violacé, voire au noir. Une surveillance suffit le plus souvent ; une intervention chirurgicale peut être nécessaire, notamment si la nécrose s’étend à la partie visible de l’intestin.
Très rare, l’éviscération parastomiale est une extériorisation d’une partie des anses intestinales. Elle est due à un orifice aponévrotique ouvert trop largement ou à une mauvaise fixation de l’entérostomie à la paroi abdominale. Une reprise chirurgicale en urgence est nécessaire.
La réintégration partielle ou totale de l’intestin qui a tendance à repartir vers l’intérieur de l’abdomen est due à la désunion de l’entérostomie à la peau. Elle survient notamment chez les personnes obèses ou lorsque l’anse intestinale semble trop courte pour être amenée à la peau. La désinsertion de l’entérostomie nécessite une surveillance et un appareillage adapté, voire une reprise chirurgicale.
L’occlusion intestinale précoce du grêle ou du côlon est un blocage partiel ou complet du transit normal des selles et des gaz. Dans un premier temps, la prise en charge repose sur l’observation, la mise à jeun du patient et la pose d’une sonde naso-gastrique. Si le transit ne reprend pas de façon satisfaisante, en cas de douleurs non soulagées ou de fièvre, une exploration chirurgicale peut être indiquée.
Ces complications peuvent survenir à distance de l’intervention chirurgicale.
Plus rare avec une iléostomie, l’éventration correspond au passage d’anses intestinales ou du gros intestin (côlon) à travers l’orifice de l’entérostomie. Elle est favorisée par une faiblesse des muscles de la paroi abdominale au pourtour de l’entérostomie. Une reprise chirurgicale est nécessaire si la stomie ne peut plus être appareillée correctement, si l’évacuation du transit n’est plus satisfaisante ou si l’éventration est douloureuse.
Le prolapsus stomial est une excroissance de la stomie qui sort de plus en plus de l’abdomen. Il est dû à une surpression péristomiale, causée le plus souvent par l’appareillage ou par un orifice stomial trop large et/ou une muqueuse très mobile. Sa survenue doit conduire à alerter une stomathérapeute ou le service de chirurgie. Le prolapsus peut causer un inconfort, un appareillage difficile, des troubles du transit, et expose à un risque de nécrose de l’anse extériorisée en cas d’étranglement. Deux niveaux de traitement sont proposés :
→ le prolapsus peut être réduit manuellement par une rétraction de la muqueuse à l’aide d’une compresse humide froide sur un patient allongé ;
→ un prolapsus volumineux, difficile à réduire et qui menace de s’étrangler relève de la chirurgie.
La sténose stomiale peut être visible à l’œil nu s’il s’agit d’un rétrécissement de l’orifice de la stomie. Une sténose pariétale est repérée par des selles plus fines et par un toucher stomial. Une sténose stomiale peut être très bien supportée, mais peut aussi entraîner une modification des selles (filiformes, liquides) et entraver leur évacuation. Ici aussi, deux niveaux de traitement sont envisagés :
→ manuellement par des dilatations digitales ou instrumentales si la sténose est peu serrée ;
→ chirurgicalement si la sténose est trop importante.
Il faut distinguer les saignements de la muqueuse des saignements associés aux selles (voir la partie “Savoir faire”, p. 39).
Les problèmes cutanés autour de la stomie peuvent être liés aux soins, à la qualité des effluents ou à une pathologie dermatologique (voir la partie “Savoir faire”, pp. 41-42).
La perte de la continence impose un appareillage des entérostomies avec des poches de stomie fixées sur l’abdomen et adaptées à la nature des effluents. Les infirmières peuvent prescrire tous les dispositifs médicaux nécessaires : poches, anneaux, filtres, clamps, supports de gomme, ceintures, tampons absorbants et pâtes pour la protection péristomiale (voir la partie “Savoir faire”, p. 44).
La formation du patient aux soins de stomie a pour objectif de lui redonner une autonomie optimale compte tenu de ses possibilités. « Il est impossible de présager des capacités du patient et de sa réaction après l’opération. La moitié des patients font un malaise ou manifestent une réelle détresse lors de la première toilette avec la stomie », souligne Martine Pagès, stomathérapeute au CHU de Nîmes (Gard). « Le rôle de l’infirmière stomathérapeute est de favoriser l’expression des émotions du patient grâce à une approche progressive des difficultés rencontrées car le patient stomisé doit réaliser un véritable travail de deuil face aux répercussions de la stomie, telles que la perte de l’intégrité physique ou de la continence », ajoute-t-elle. Les réactions restent très variables d’un patient à l’autre. Pour certains patients, la stomie est perçue comme insupportable, honteuse, voire inacceptable. D’autres, plus à l’aise avec l’apprentissage technique des soins, “récupèrent” plus rapidement une autonomie. Sachant qu’« aucun patient n’accepte totalement la stomie, mais chacun s’y adapte ou tente de “bien vivre avec” », précise la stomathérapeute.
« Un accident de poche ou une complication peut toujours déstabiliser une adaptation à la stomie considérée comme acquise », prévient Martine Pagès. Une situation rencontrée par Hervé Boni, infirmier libéral stomathérapeute à Marseille (Bouches-du-Rhône) : « Une patiente d’une cinquantaine d’années atteinte d’un cancer nous avait été adressée par l’hôpital pour une éducation aux soins de stomie à domicile. Rapidement devenue autonome après deux semaines de prise en charge, elle a souhaité reprendre son activité professionnelle malgré les chimios et la stomie. Elle s’est retrouvée en état de stress, elle a pris du poids et changé de morphologie. Elle a fait un prolapsus et elle nous a demandé d’assurer le suivi de sa stomie car elle n’était plus en confiance et avait peur d’un autre accident. »
Les conseils de l’infirmière ne se limitent pas à la gestion de la poche, mais visent, dans une approche globale, l’intégration de la stomie à la vie du patient, « car même quand la gestion de la stomie se passe bien physiquement, moralement, une telle dérivation extériorisée pose des problèmes à tous les patients », observe Martine Pagès. Ce qui peut entraîner le plus souvent un repli sur soi, voire une dépression. L’infirmière à domicile peut ainsi repérer par exemple les personnes qui ne se rendent plus aux repas chez leurs enfants sous des prétextes divers, ou qui ne font plus leurs courses dans les magasins. Elle peut pointer les difficultés et proposer des solutions en fonction de ses connaissances, ou orienter si nécessaire vers une stomathérapeute.
Le retour à domicile est souvent une étape difficile pour le patient. Il doit être préparé et accompagné avant la sortie de l’hôpital par la stomathérapeute, qui évalue ses besoins en collaboration avec le chirurgien. Conseils pratiques et informations sur la surveillance sont communiqués au patient et une ordonnance pour le matériel, un rendez-vous de consultation et les coordonnées du service et de la stomathérapeute ou de l’infirmière référente lui sont remis. En l’absence d’autonomie suffisante, le patient aura également une prescription pour l’infirmière libérale. Un aidant peut être sollicité et formé pour aider et pallier les déficiences de la personne stomisée. Dans la mesure du possible et avec l’accord du patient, l’entourage est informé car l’entérostomie a des répercussions sur la vie de famille.
Il n’existe pas de données épidémiologiques spécifiques concernant les dispositifs de recueil des selles et d’irrigation. Les chiffres ci-dessous correspondent aux patients utilisant ces dispositifs, évalués à partir des remboursements du régime général pour l’année 2015
→ au minimum 26 000 patients utiliseraient des poches de recueil des matières fécales non vidables (19 millions d’unités remboursées), et au minimum 28 000 patients utiliseraient des poches de recueil des matières fécales vidables (10 millions d’unités remboursées) ;
→ environ 2 400 patients utiliseraient des collecteurs de matières fécales à haut débit ;
→ au minimum 3 200 patients utiliseraient des dispositifs pour l’irrigation colique au travers d’une colostomie (590 000 manchons remboursés en ville).
* Haute Autorité de santé, “Dispositifs de drainage et de recueil des urines et des selles”, juin 2017 (lien raccourci : bit.ly/2KbAbcm).
En fonction de son emplacement, l’entérostomie permet de dériver les matières et de laisser une partie du côlon au repos.
Rôle infirmier
Le suivi du patient stomisé associe des soins techniques, relationnels et éducatifs qui nécessitent de connaître le type d’intervention pratiquée par le chirurgien, ses conséquences, et la partie de l’intestin maintenue après l’intervention.
Les soins de base reposent sur une toilette minutieuse de la stomie, une découpe adaptée du support de la poche, une protection cutanée, une surveillance du transit et un dépistage des complications possibles (voir la partie “Savoir faire”, p. 39).