L'infirmière Libérale Magazine n° 350 du 01/09/2018

 

La vie des autres

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Laure Martin  

Des rituels rythment le fonctionnement quotidien des services de santé. Mais il arrive que, à l’image de pseudo-évidences, ils n’aient aucun fondement. Tel est le constat de l’expérimenté Arno Mank, infirmier depuis quarante-trois ans aux Pays-Bas.

« Je suis devenu infirmier par accident, raconte Arno Mank. C’est ma mère, hospitalisée lorsque j’avais 17 ans, qui a pensé que j’avais peut-être le profil pour exercer ce métier. Lorsque j’ai débuté mes études, cela m’a paru évident et, depuis, cela fait quarante-trois ans que je travaille dans ce secteur. » Pendant environ quatre ans et demi, il effectue donc ses études pour devenir infirmier général à la VU Medisch Centrum d’Amsterdam, avant de poursuivre deux années pour intégrer la psychiatrie : « Il est utile pour un infirmier de connaître l’aspect physique mais aussi psychologique et mental des patients. »

À la fin de ses études, il commence par exercer dans des hôpitaux généraux puis dans des hôpitaux psychiatriques, au sein desquels il a l’opportunité de manager des équipes. « J’ai aimé travailler dans les hôpitaux psychiatriques car nous y apprenons beaucoup sur la manière dont fonctionne le mental. Mais les patients guérissent plus difficilement et reviennent souvent en soins ; j’avais besoin d’autre chose pour ma pratique. »

Arno Mank part alors exercer pendant deux ans aux urgences avant d’intégrer, il y a plus de trente ans, le service d’oncologie et d’hématologie de l’Academic Medical Center d’Amsterdam. « J’ai pensé que, dans ce type de service, j’aurais davantage l’opportunité de soigner les patients. » Il prend un poste de management et participe à l’organisation des soins pendant deux ans, jusqu’à ce que l’hématologiste du service lui propose de travailler conjointement sur la prise en charge des soins complexes. « Les patients en hématologie sont vraiment très malades. Ils suivent des chimiothérapies, des radiothérapies, des greffes de cellules souches. Malgré les traitements, qui sont lourds, leur vie est menacée. » Il poursuit : « Avec l’hématologiste, nous avons souhaité trouver une manière d’améliorer le confort de leurs soins en impliquant les infirmiers, qui sont les premiers à savoir lorsque les patients ne vont pas bien. »

« Nous ne savions pas vraiment pourquoi nous faisions cela… »

Fort de ce projet, Arno Mank reprend les cours pour apprendre à faire de la recherche et à mener des études. Son objectif est d’analyser les pratiques et les rituels du service pour les faire évoluer. On parle d’Evidence-based practice (lire l’encadré en haut de cette page). Sa première réflexion, en 2000, porte sur la prise en charge des malades recevant des greffes de cellules souches ou de hautes doses de chimiothérapie car atteints de leucémie ou de lymphome non hodgkinien. « Ces patients ont pendant longtemps été isolés, rapporte Arno Mank. Lorsqu’ils recevaient de la visite ou que les professionnels venaient dans leur chambre, ces derniers étaient gantés et masqués. Mais nous ne savions pas vraiment pourquoi nous faisions cela, ni si c’était nécessaire. »

L’équipe s’est donc interrogée sur cette pratique. « Après avoir fait des recherches et lu des articles internationaux, nous avons compris qu’un tel fonctionnement n’était pas utile et nous avons décidé que ces patients n’avaient plus à être isolés. » Certes, les premiers patients à avoir expérimenté ce nouveau fonctionnement se sont interrogés sur sa faisabilité. « Rapidement, la prise en charge a été plus simple, sans que les patients ne soient davantage malades. Bien entendu, ils ne doivent pas être au contact de personnes malades et doivent éviter la foule. Mais tous ont été satisfaits de ne plus être enfermés et isolés dans leur chambre. »

La dernière recherche d’Arno Mank consiste à savoir si les patients du service peuvent rentrer chez eux pour recevoir les soins. « Ce n’est pas le cas de tous, notamment lorsqu’ils ont des causes médicales associées comme le diabète ou pour une personne âgée avec des problèmes cardiaques. Mais, lorsque c’est possible, s’ils le souhaitent, s’ils ont une personne à leurs côtés à domicile ou qu’ils sont proches d’un établissement hospitalier, nous l’encourageons. C’est toujours mieux pour ces patients d’être chez eux, de dormir dans leur lit et de manger leur nourriture faite maison. » C’est aussi un avantage pour l’hôpital… car cela libère des lits. Des changements ont également eu lieu dans le domaine de la nutrition. « Auparavant, les patients ne pouvaient manger que des aliments très cuits. J’ai donc mené mes recherches sur le sujet et finalement, en dehors des œufs et du poulet, pour lesquels il faut faire attention, les patients peuvent manger de tout. Nous avons alors changé notre manière de faire dans ce domaine. »

Aujourd’hui, Arno Mank effectue à la fois de la recherche, de l’enseignement et continue de dispenser des soins. « Il m’est nécessaire d’être au contact des patients, c’est important pour moi car c’est d’eux que je tire mes interrogations pour ensuite améliorer leur prise en charge. »

L’Evidence-based practice

Méthodologie basée sur les preuves, l’Evidence-Based Practice (EBP) permet de réduire l’incertitude lors d’une décision clinique. Elle fournit une aide au choix thérapeutique en se basant sur les meilleures “preuves” issues de la recherche scientifique et de l’expérience clinique, tout en tenant compte des préférences du patient. Cette démarche, qui s’intègre dans la pratique clinique, est de plus en plus recommandée aux professionnels de santé. Arno Mank dispense des cours à l’école des infirmières en hématologie et en oncologie, notamment sur l’EBP. « Ce qui manque souvent aux professionnels, c’est la pratique de l’EBP, estime-t-il. Si on veut changer les méthodes, il faut inclure le patient. Certes, beaucoup d’infirmières me disent qu’elles n’ont pas le temps et, lorsqu’elles subissent une pression, c’est la première chose qu’elles vont mettre de côté. Il faut convaincre le cadre du service de l’intérêt de l’EBP. »

Il dit de vous !

« Aux Pays-Bas, il y a de plus en plus d’infirmières qui veulent devenir indépendantes. Nous n’avons pas de chiffres mais elles sont nombreuses à ne plus vouloir être rattachées à un hôpital. En étant indépendantes, elles peuvent soit travailler dans plusieurs hôpitaux afin de varier leur activité, soit travailler au domicile des patients, elles ont le choix. Pendant longtemps, ce type d’activité était instable d’un point de vue financier. C’est moins le cas aujourd’hui, car de plus en plus de patients souhaitent être pris en charge à domicile. Dans ce type de modèle, les infirmières sont payées soit par le système de Sécurité sociale, soit par l’assurance du patient, parfois par les deux. »