L'infirmière Libérale Magazine n° 350 du 01/09/2018

 

Cahier de formation

Savoir

La thrombose veineuse profonde est aussi connue sous le nom de “phlébite”. C’est une affection aiguë caractérisée par la formation d’un caillot de sang dans une veine profonde, le plus souvent au niveau des membres inférieurs. Le traitement doit être le plus efficace et le plus rapide possible, notamment pour éviter que la situation ne dégénère en embolie pulmonaire potentiellement mortelle.

RAPPELS

La circulation sanguine

→ Les vaisseaux sanguins participent au transport du sang dans le corps. En particulier, les veines assurent le retour vers le cœur d’un sang appauvri en oxygène et enrichi en dioxyde de carbone, on parle aussi de “retour veineux” (lire le point suivant). Les artères font le contraire : elles transportent un sang enrichi en oxygène et appauvri en dioxyde de carbone du cœur vers les organes. Quant aux capillaires sanguins, ce sont de minuscules vaisseaux à la paroi fine et perméable permettant les échanges entre le sang et les tissus.

→ La circulation pulmonaire, aussi appelée “petite circulation”, relie le cœur et les poumons et fonctionne à l’inverse de cette circulation générale (ou “grande circulation”). L’artère pulmonaire charrie un sang appauvri en oxygène et enrichi en dioxyde de carbone du cœur vers les poumons, afin qu’il puisse s’oxygéner et se détoxifier au niveau des alvéoles pulmonaires. Le sang voyage ensuite des poumons vers le cœur avant d’être redistribué aux organes.

Le retour veineux

Au niveau des membres inférieurs, le retour veineux est assuré :

→ à 90 % par le système veineux profond : veines situées au plus près des artères et des muscles ;

→ à 10 % par le système veineux superficiel : veines directement situées sous la peau.

Ces deux systèmes sont reliés par des veines dites “perforantes”.

Le retour veineux est favorisé par divers mécanismes :

→ un jeu efficace de pompes, et en particulier la pompe du mollet (parfois appelé le “cœur veineux”) actionnée lors de la marche ;

→ une différence de pression entre les veines périphériques et le cœur ;

→ la présence de valvules veineuses jouant un rôle anti-reflux et imposant un sens unidirectionnel ;

→ la rigidité et la vasoconstriction des veines assurent à la fois une propulsion et une résistance mécaniques.

L’hémostase

L’hémostase est l’ensemble des mécanismes permettant au sang de rester fluide, tout en prévenant les saignements et en stoppant les hémorragies. Elle se découpe en trois phases successives, à partir d’une lésion vasculaire, c’est-à-dire une “blessure” d’un vaisseau et l’apparition d’une brèche dans la paroi de ce vaisseau :

→ l’hémostase primaire consiste en la formation d’un caillot qui est en fait un agrégat de plaquettes ;

→ la coagulation aboutit à un caillot de fibrine, plus résistant au flux sanguin grâce à une cascade enzymatique complexe mettant en jeu différents facteurs de la coagulation numérotés de I à XIII, et des inhibiteurs physiologiques de régulation. La plupart sont synthétisés au niveau du foie, et certains nécessitent l’action de la vitamine K ;

→ la fibrinolyse est la dissolution du caillot et la restauration de la perméabilité vasculaire.

LA THROMBOSE VEINEUSE PROFONDE

Définitions

→ La thrombose veineuse profonde (TVP), anciennement nommée “phlébite”, est une affection aiguë correspondant à la formation d’un caillot dans une veine profonde, obstruant la lumière du vaisseau et bloquant le flux sanguin.

→ La TVP concerne essentiellement les membres inférieurs. En fonction de la localisation du caillot, il faut distinguer les TVP proximales situées au-dessus du genou et les TVP distales situées en dessous du genou. Le plus souvent, les TVP proximales sont plus symptomatiques et plus à risque de complications graves du type embolie pulmonaire. À l’inverse, le principal risque associé à une TVP distale est son extension proximale.

→ La thrombose veineuse profonde peut également concerner les membres supérieurs mais cela reste relativement rare. La majorité des thromboses débute dans les membres inférieurs parce qu’ils sont plus souvent et plus facilement immobilisés que les membres supérieurs.

Physiopathologie

La TVP repose d’une part sur la formation d’un caillot sanguin, aussi appelé “thrombus”, et d’autre part sur le caractère obstructif de ce caillot, empêchant le sang de circuler normalement dans la veine.

La formation du caillot sanguin résulte de la combinaison plus ou moins complète de trois facteurs qui constituent la triade de Virchow, du nom du médecin allemand du XIXe siècle qui la décrivit pour la première fois. Ces trois facteurs sont :

→ une stase veineuse : la vitesse d’écoulement du flux sanguin diminue et le retour veineux est altéré ;

→ une lésion des cellules endothéliales qui tapissent l’intérieur de la paroi des veines : cette lésion induit l’hémostase décrite précédemment ;

→ une hypercoagulabilité sanguine : les processus de coagulation s’amplifient et l’équilibre hémostatique se rompt.

Le devenir du thrombus ainsi formé et la symptomatologie qui en découle sont variables. Parfois, il ne se passe rien sur le plan clinique : le thrombus reste asymptomatique et “se lyse” spontanément, en particulier si les facteurs déclenchants, comme l’immobilisation, disparaissent. Le plus souvent, le thrombus s’étend et devient véritablement obstructif, entraînant la thrombose proprement dite et les différents symptômes. Enfin, le thrombus peut se fragmenter : les fragments s’appellent des “emboles” et migrent vers les poumons, causant une embolie pulmonaire.

Symptômes

→ Les signes cliniques sont présents de façon inconstante et parfois même totalement absents, ce qui rend la maladie encore plus dangereuse. Ils sont le plus souvent locaux et unilatéraux mais peuvent aussi être généraux.

→ Les signes cliniques de la TVP ne sont pas spécifiques : si le patient ne ressent pas de douleur ou de gêne particulière, il peut ne pas s’alarmer et ne pas consulter, en pensant par exemple qu’il souffre d’un simple hématome ou en se plaignant de ne plus rentrer dans son pantalon mais d’un seul côté uniquement…

→ Les symptômes sont souvent méconnus du grand public, alors qu’une prise en charge rapide permet de limiter le risque de conséquences graves, au premier rang desquels figure l’embolie pulmonaire.

→ La douleur est présente dans 60 % des cas, mais son intensité varie du simple au double. Certains patients ressentent une simple gêne, d’autres une douleur modérée, d’autres encore se plaignent d’une douleur très aiguë qui les empêche de marcher normalement : ils boîtent et “traînent la jambe”. Une telle douleur associée à d’autres symptômes peut logiquement les amener à consulter plus rapidement leur médecin que les autres. Le signe de Homans est une douleur particulière en faveur d’une TVP : elle est déclenchée lorsque le pied est en dorsiflexion sur la jambe, c’est-à-dire lorsque la pointe du pied est ramenée vers le genou.

→ L’œdème est plus ou moins important et peut entraîner une différence de circonférence entre les deux mollets. Le mollet atteint devient gonflé et tendu, il perd son ballotement naturel.

→ Un autre symptôme majeur à connaître et associé à la réaction inflammatoire est l’apparition d’un érythème (rougeur).

→ Parmi les autres signes locaux possibles côté phlébite : trajet veineux plus visible et douloureux au toucher, pigmentation de la peau (plus foncée ou bleutée), sensation de chaleur ressentie par le patient, avec une augmentation de la température locale.

→ Parmi les signes généraux, on trouve : fébricule à 38 °C, anxiété, palpitations.

→ Certains tableaux cliniques doivent alerter, comme celui de Phlegmatia coerulea dolens : l’œdème est majeur, le membre atteint est tendu et cyanosé (bleu), l’ischémie est telle que le pied n’est plus perfusé correctement, il devient froid et peut même commencer à se nécroser. Cette forme très rare mais très grave de TVP peut mener à l’amputation, voire au décès si la prise en charge n’est pas assez rapide.

Facteurs étiologiques

Les facteurs favorisants et/ou déclenchants d’une TVP sont particulièrement variés. Mais, paradoxalement, dans la moitié des cas environ, aucun facteur n’est retrouvé, et la TVP est alors qualifiée d’idiopathique.

Sur le plan physiopathologique, chaque facteur agit en fait sur une ou plusieurs composantes de la triade de Virchow :

→ la stase veineuse peut résulter d’une immobilisation (membre dans le plâtre, station assise prolongée lors d’un voyage en avion ou en car, alitement au cours d’une hospitalisation…), d’une compression veineuse (par exemple, celle induite par une tumeur en cas de cancer ou par l’utérus en cas de grossesse) ou encore d’une insuffisance veineuse (lire la question de patient en encadré en haut à gauche) ;

→ des événements comme une chirurgie, la pose d’un cathéter veineux central ou un cancer peuvent entraîner une lésion de l’endothélium vasculaire ;

→ l’hypercoagulabilité sanguine peut être liée à un événement particulier : hospitalisation, chirurgie…, mais aussi à plusieurs facteurs de risque directement liés au patient : obésité, tabagisme, grossesse, maladie inflammatoire… Dans certains cas, l’hypercoagulabilité résulte d’une thrombophilie, c’est-à-dire une anomalie constitutionnelle ou acquise de la coagulation responsable d’une amplification du phénomène de coagulation dans le sang et donc d’une augmentation du risque thrombotique veineux.

L’âge et le sexe du sujet sont déterminants.

→ L’âge. Les enfants et les jeunes adultes sont rarement touchés par la TVP. Le plus souvent, quand c’est le cas, dans un contexte de thrombophilie. À l’inverse, l’incidence de la TVP augmente à partir de 40 ans et progresse de façon exponentielle chez le sujet âgé, celui-ci ayant tendance à cumuler les facteurs de risque en plus de son âge.

→ Le sexe. Le statut hormonal de la femme joue un rôle important dans le risque de survenue d’une TVP car les hormones féminines créent un état d’hypercoagulabilité. Les femmes sont plus souvent touchées au moment de la grossesse, du post-partum et en cas de traitement hormonal : pilule contraceptive (lire la question de patient ci-dessous), traitement hormonal de la ménopause, stimulation ovarienne dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation (AMP). Mais, globalement, ce sont les hommes qui sont le plus souvent atteints par la TVP, surtout quand l’âge augmente.

Les facteurs de risque peuvent être classés de différentes façons :

→ facteurs majeurs versus facteurs mineurs : certains facteurs sont dits “majeurs” car leur rôle dans la survenue de la TVP est assez évident (chirurgie récente, fracture…), d’autres sont qualifiés de “mineurs” car ils sont plus favorisants que vraiment déclenchants (grossesse, voyage en avion ou “syndrome de la classe économique”…) ;

→ facteurs permanents versus facteurs transitoires : un patient ne peut pas changer certaines caractéristiques comme son âge, ses antécédents familiaux, une maladie chronique… En revanche, pour certains facteurs dits “transitoires”, comme l’alitement ou le voyage en avion, le risque de TVP diminue puis disparaît plus ou moins rapidement après la fin de l’exposition au risque.

Épidémiologie

→ La maladie thromboembolique veineuse, qui regroupe la thrombose veineuse profonde et sa principale complication, l’embolie pulmonaire, dont elle est la cause majoritaire, est, après l’infarctus du myocarde et l’accident vasculaire cérébral, la troisième cause de mortalité cardiovasculaire.

→ Chaque année, en France, environ 300 000 TVP et quelque 60 000 embolies pulmonaires sont responsables de 10 000 à 20 000 décès.

Évolution et complications

→ Sans traitement, l’évolution dépend de la taille du caillot et de l’exposition aux facteurs étiologiques précédemment décrits. Ainsi, si l’exposition à certains facteurs est modifiée, par exemple en cas de reprise rapide de la marche, un caillot de petite taille peut se dégrader spontanément grâce à la fibrinolyse physiologique. Lorsque les facteurs persistent, la taille du caillot s’accentue et le risque de complications est fortement accru.

→ À court terme, le principal risque pour le patient est de développer une embolie pulmonaire (EP), notamment en cas de TVP proximale (une TVP proximale sur deux se complique d’une EP symptomatique ou non). Sur le plan physiopathologique, le thrombus se fragmente, migre via la circulation sanguine et vient obstruer les vaisseaux pulmonaires. Sur le plan clinique, les symptômes sont cardio-pulmonaires et comprennent toux, douleur thoracique, dyspnée (essoufflement) et hémoptysie (crachats sanglants lors d’un effort de toux). Ils sont d’apparition brutale, doivent alerter et faire contacter rapidement le 15. L’embolie pulmonaire est une affection encore plus aiguë que la TVP, elle met en jeu le pronostic vital et nécessite une prise en charge en urgence.

→ À long terme, c’est-à-dire dans les années qui suivent l’épisode aigu, le patient peut développer un syndrome post-thrombotique ou post-phlébitique. Entre 20 et 50 % des patients sont concernés par ce syndrome chronique, finalement assez proche de l’insuffisance veineuse, caractérisé par un ensemble de symptômes locaux tels que douleurs, varices, œdèmes, pigmentation cutanée, ulcères. La qualité de vie du patient peut être altérée de façon importante et durable.

→ Les récidives de TVP, précoces ou tardives, constituent un autre problème majeur. Les chiffres de la récidive varient en fonction de nombreux facteurs : type de TVP (les TVP proximales récidivent plus souvent que les distales), circonstances de survenue de l’épisode initial (un facteur de risque temporaire expose à moins de risques de récidive qu’un facteur de risque persistant) ou encore modalités de la prise en charge (l’absence de traitement anticoagulant augmente fortement le risque de récidive). On estime que 10 à 30 % des patients récidivent dans l’année. Dans certains cas, les récidives peuvent faire envisager au médecin la mise en place d’une anticoagulation au long cours, mais cette décision se fait au cas par cas car elle entraîne l’apparition d’un nouveau risque : le risque hémorragique.

DIAGNOSTIC

→ Poser un diagnostic de phlébite n’est pas toujours évident, notamment lorsque le patient est peu symptomatique et/ou ne présente pas de facteur de risque particulier. De plus, il existe un certain nombre de diagnostics différentiels : érysipèle, traumatisme musculaire, lymphœdème, phlébite superficielle ou paraphlébite (lire la question de patient en haut de la page précédente), kyste synovial… Dans tous ces cas, certains signes cliniques présents en cas de TVP, comme la douleur et l’œdème, peuvent être retrouvés.

→ Typiquement, les signes cliniques sont signalés dans un premier temps par le patient lui-même ou par son entourage (lire le témoignage ci-contre) et sont confirmés par le médecin lors d’un examen clinique : examen visuel et palpation du membre concerné. L’interrogatoire est un autre élément crucial de cette primo-consultation, car il permet de lister les facteurs favorisants, les antécédents, les traitements en cours…

→ Le score de Wells est un score qui évalue la probabilité clinique de TVP. Il regroupe des données issues de l’examen physique et de l’entretien avec le patient (lire l’encadré en haut à gauche). Il est performant pour écarter ou conforter un diagnostic.

Parmi les examens paracliniques complémentaires et utiles au diagnostic :

→ biologie : les D-dimères sont des produits de dégradation de la fibrine constitutive des caillots sanguins. Ils sont dosés en cas de doute diagnostique (score de Wells faible ou intermédiaire). Un résultat négatif, c’est-à-dire un taux inférieur à 500 µg/l, permet d’exclure un diagnostic de TVP. En revanche, un résultat positif ne permet pas de poser le diagnostic car les D-dimères sont des marqueurs non spécifiques, augmentés dans de nombreuses situations comme une chirurgie récente, une infection, une maladie rénale, hépatique ou cardiaque, un cancer… En cas de résultat positif, il faut donc poursuivre les recherches ;

→ imagerie : l’écho-doppler veineux (lire la question de patient ci-dessus) est l’examen de référence pour confirmer le diagnostic à la suite d’une probabilité clinique forte (score de Wells élevé) et/ou des D-dimères positifs. La phébographie, qui consiste à injecter un produit de contraste pour explorer les veines, est aujourd’hui quasiment abandonnée ;

→ des thromboses à caractère insolite, c’est-à-dire spontanées, récidivantes, familiales, avec une localisation inhabituelle et/ou chez le sujet jeune, justifient la réalisation d’un bilan de thrombophilie (interrogatoire orienté, dosages biologiques) chez certains patients, le plus souvent à distance de l’épisode aigu et du traitement anticoagulant.

Note : la TVP est une pathologie aiguë, potentiellement mortelle. Confirmer le diagnostic, c’est bien ; commencer à traiter rapidement, c’est mieux. Le plus souvent, un traitement à base d’anticoagulant et/ou de compression veineuse est mis en place avant même la confirmation du diagnostic de TVP par écho-doppler veineux.

STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE

Généralités

→ Le parcours du patient est variable : il est d’abord examiné par son médecin généraliste ou repéré lors de sa venue aux urgences. Il est ensuite rapidement adressé à un cardiologue ou à un médecin vasculaire. La prise en charge est essentiellement ambulatoire, l’hospitalisation étant réservée aux cas les plus graves et/ou les plus complexes : embolie pulmonaire, insuffisance rénale sévère, risque hémorragique, contre-indications aux différents anticoagulants, contexte psychosocial, géographique et médical défavorable…

→ Les TVP n’ont pas le même niveau de risque selon qu’elles sont distales ou proximales : ceci pourrait logiquement conduire à des prises en charge sensiblement différentes. En France, les TVP proximales et distales ont tendance à être soignées de la même façon, sauf dans certains cas de TVP distales peu symptomatiques pour lesquels une surveillance clinique et paraclinique par échodoppler est mise en place.

→ La durée totale de traitement est fonction du contexte clinique et du risque de récidive, mais elle est toujours supérieure ou égale à trois mois (lire la question de patient ci-contre sur cette page).

Protocoles curatifs

Le traitement d’attaque doit démarrer le plus tôt possible. Deux voies d’administration possibles :

→ voie injectable (voir le tableau dans la partie “Savoir faire” p. 43) : pendant au moins cinq jours, héparine de bas poids moléculaire (HBPM), héparine standard non fractionnée (HNF) ou fondaparinux ;

→ voie orale : deux anticoagulants oraux directs (AOD) utilisables, l’apixaban (Eliquis) pendant sept jours et le rivaroxaban (Xarelto) pendant vingt-et-un jours.

Le traitement d’attaque est suivi d’un traitement d’entretien par voie orale :

→ par anti-vitamines K (AVK) : acénocoumarol (Sintrom, Mini-Sintrom), fluindione (Previscan) ou warfarine (Coumadine) ;

→ par AOD : apixaban ou rivaroxaban, poursuivis à dose plus faible que lors du traitement d’attaque.

Note : dans certains cas, le relais n’est pas réalisé et le patient reste traité par voie injectable. C’est notamment le cas des patients atteints de cancer (lire la première partie de “Savoir faire” p. 42) et insuffisants rénaux sévères. Pour ces derniers, seule une héparine de type HNF peut être utilisée.

Protocoles préventifs

→ Toute réduction de la mobilité associée ou non à des facteurs de risque thromboemboliques veineux doit faire envisager une prophylaxie anticoagulante. Les situations sont multiples, chirurgicales ou médicales, en milieu hospitalier, en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ou en médecine ambulatoire.

→ Le traitement préventif repose principalement sur la voie injectable (héparines et fondaparinux) à des doses plus faibles et pour des durées totales plus courtes qu’en curatif.

→ L’arrivée des AOD (apixaban, rivaroxaban et dabigatran, Pradaxa) a permis de se passer d’un traitement par voie injectable, mais uniquement pour la prophylaxie de certaines chirurgies orthopédiques (prothèse totale de hanche ou de genou, lire la seconde partie de “Savoir faire” p. 44). Là encore, les posologies et les durées sont réduites par rapport au traitement curatif.

Anticoagulants

→ Les différents médicaments anticoagulants empêchent l’extension du thrombus mais n’assurent pas sa dégradation progressive : cette étape est réalisée par la fibrinolyse physiologique.

→ Tous les anticoagulants exposent à un risque hémorragique. Le patient doit en avoir conscience au quotidien (lire l’encadré en bas de cette page). À l’inverse, en cas de sous-dosage ou de défaut d’observance, le traitement n’est pas assez efficace et le patient risque de “thromboser” de nouveau.

À propos des AVK

→ Ce sont des analogues structuraux de la vitamine K. Ils agissent de façon indirecte, au sein des hépatocytes, et bloquent la synthèse des formes actives des facteurs de la coagulation vitamine K-dépendants : facteurs II, VII, IX et X. Cette activité en amont de la cascade de la coagulation entraîne un effet anticoagulant retardé, qui persiste quelques jours après l’arrêt du traitement. Les AVK ne sont donc pas des médicaments de l’urgence et ne doivent pas être utilisés en traitement d’attaque d’une thrombose veineuse profonde.

→ Les AVK constituent une classe particulièrement à risque d’interactions médicamenteuses mais aussi alimentaires. L’alimentation doit être variée et équilibrée ; les aliments riches en vitamine K (légumes verts, chocolat…) ne sont pas interdits mais les apports doivent être régulièrement répartis.

→ Le degré d’anticoagulation d’un patient sous AVK est objectivé par un examen biologique standardisé appelé INR (International Normalized Ratio). L’INR cible est généralement compris entre 2 et 3 et peut conduire à adapter individuellement la posologie. Un INR trop bas correspond à un risque thrombotique, un INR trop haut à un risque hémorragique. Dans ce dernier cas, l’administration de vitamine K (antidote) peut être nécessaire (voir le tableau de la page ci-contre).

Autres traitements

→ La compression veineuse élastique fait partie intégrante des traitements préventifs et curatifs de la TVP (lire la seconde partie de “Savoir faire” p. 44). Elle complète, voire remplace en cas de contre-indications et/ou de risque hémorragique élevé, les anticoagulants.

→ La mobilisation précoce consiste à faire lever le patient le plus tôt possible, plutôt que de le laisser alité.

→ La pose d’un filtre cave dans la veine cave inférieure est réalisée chez quelques patients, notamment en cas de contre-indications aux médicaments ou d’échec d’un traitement bien conduit. Ce dispositif empêche mécaniquement la migration du caillot des membres inférieurs vers les poumons, et diminue donc le risque d’embolie pulmonaire.

→ Des traitements interventionnels existent : chirurgie, thrombolyse ou encore thrombectomie.

Suivi du patient

→ Une fois l’anticoagulant administré pour résoudre l’épisode aigu, un contrôle par écho-doppler est réalisé après une à deux semaines, avec pour critère principal l’absence d’aggravation du thrombus, signe que le traitement est efficace.

→ À l’issue de l’épisode, la surveillance se fait surtout par échodoppler, à trois, six, douze mois, voire tous les ans par la suite selon les séquelles et les facteurs de risque encore présents.

→ En cas de récidive, le patient se retrouve souvent avec le même tableau que l’épisode initial et doit consulter rapidement. Pour limiter le risque de récidive, il est invité à bien suivre le traitement prescrit à l’issue du premier épisode (traitement oral et mesures adjuvantes, notamment compression veineuse pendant au moins deux ans…) et anticiper les situations à risque (voyages de plusieurs heures en position assise). Dans certains cas, le médecin peut prescrire une héparine à dose préventive.

Question de patient

J’ai souvent les jambes lourdes. Mon médecin m’a dit que je souffre d’insuffisance veineuse et m’a prescrit des bas de contention. Qu’est-ce que c’est exactement ? Qu’est-ce que je risque ?

En cas d’insuffisance veineuse, l’élasticité veineuse diminue et les valvules deviennent inefficaces : le retour veineux se fait donc moins bien. La maladie se traduit par une sensation de jambes lourdes, mais aussi des œdèmes, des crampes nocturnes, des fourmillements, des démangeaisons, des varicosités ou encore des varices, qui consistent en une dilatation souvent disgracieuse et douloureuse des veines superficielles. La maladie évolue sur plusieurs stades et peut même devenir invalidante et grave dans les cas les plus sévères. L’insuffisance veineuse est un facteur de risque important dans le développement d’une TVP. Elle touche environ un Français sur trois, dont de nombreuses infirmières contraintes de travailler debout et de piétiner toute la journée… Le traitement de l’insuffisance veineuse repose essentiellement sur le port d’une compression veineuse, voire sur la prise de veinotoniques par voie orale. Contrairement aux idées reçues, ce n’est ni un problème exclusivement féminin, ni une affection à prendre à la légère.

Question de proche

Une amie m’a dit qu’elle avait eu, non pas une phlébite, mais une paraphlébite. De quoi s’agit-il ?

Une paraphlebite est une thrombose veineuse superficielle. Le réseau veineux concerne est donc le réseau veineux superficiel, directement situe sous la peau. Les paraphlebites sont plus fréquentes que les thromboses veineuses profondes mais restent très souvent bénignes. En particulier, elles ne nécessitent pas de traitement anticoagulant au long cours ni de surveillance médicale rapprochée comme c’est le cas pour une véritable phlébite.

Question de patient

Je suis sous pilule œstroprogestative, quel est mon niveau de risque ?

Tout d’abord, il faut savoir que tous les contraceptifs œstroprogestatifs, aussi appelés “contraceptifs combines” car ils associent un œstrogène et un progestatif, augmentent le risque de thrombose en générant un état d’hypercoagulabilité, et ce, quelle que soit leur voie d’administration. Le risque dépend de plusieurs facteurs : la durée d’utilisation (risque maximal la première année de traitement), le type de progestatif utilise (risque majore avec une pilule dite de 3e ou de 4e génération), ou encore certains comportements individuels (et notamment le tabagisme). Le nombre d’évènements reste néanmoins faible, de l’ordre de cinq à douze cas de TVP pour 10 000 patientes traitées par an.

Le score de Wells

Le score de Wells évalue la probabilité clinique de thrombose veineuse profonde.

→ Cancer actif (en cours de traitement curatif ou palliatif ou découvert depuis moins de six mois) : + 1 point.

→ Paralysie, parésie ou immobilisation du membre suspect : + 1 point.

→ Alitement récent de plus de trois jours ou chirurgie majeure datant de moins de trois mois : + 1 point.

→ Tension douloureuse localisée : + 1 point.

→ Œdème global de tout le membre : + 1 point.

→ Circonférence du mollet augmentée de 3 cm par rapport au membre controlatéral : + 1 point.

→ Œdème prenant le godet : + 1 point.

→ Développement d’une circulation veineuse collatérale : + 1 point.

→ Antécédent de thrombose veineuse : + 1 point.

→ Autre diagnostic au moins aussi probable que la TVP : - 2 points.

Interprétation des résultats : probabilité clinique faible (Wells = 0), intermédiaire (Wells = 1 ou 2) ou forte (Wells > 2).

Remarque : il existe un autre score de Wells utilisé dans le diagnostic de l’embolie pulmonaire.

Source : P.S. Wells, D.R. Anderson, J. Bormanis et al., “Value of assessment of pretest probability of deep-vein thrombosis in clinical management”, Lancet, décembre 1997 ; 350, 1795-8.

Point de vue

« Être à l’écoute de ses jambes »

Isabelle Habot, Idel à Marseille (Bouches-du-Rhône)

« En tant qu’Idel, je prends régulièrement en charge des patients après une thrombose veineuse profonde ou une embolie pulmonaire. Mais on nous demande aussi d’intervenir en amont, en préventif, pour des patients ayant subi une importante chirurgie abdominale ou orthopédique. Pour les patients jeunes, atteints d’un cancer ou nécessitant un traitement long, le fait d’apprendre à faire eux-mêmes les injections d’héparine leur permet d’avoir une plus grande liberté. Chez les patients âges que l’on voit au quotidien depuis de nombreuses années, les phlébites sont finalement assez rares. On est la pour surveiller l’état des jambes et pour donner des conseils de prévention, on met les bas de contention le matin et on les retire le soir. On connait les premiers signes [de TVP] et on apprend au patient et à sa famille à les repérer. Si besoin, je contacte immédiatement le médecin traitant et j’oriente le plus souvent le patient vers l’angiologue du quartier pour un doppler en urgence. Parfois, on commence l’héparine avant même d’avoir les résultats. Les différents traitements oraux nous imposent la plus grande vigilance. Sous AVK, nous planifions les prises de sang, récupérons les résultats, contactons le médecin en cas de problème. Il m’est arrivé de devoir sauter une prise à cause d’un INR trop élevé. Sous AOD, c’est finalement encore plus dangereux car aucune surveillance biologique n’est possible. »

Questions de patients

Comment se déroule un écho-doppler veineux ?

C’est un examen qui permet d’étudier les veines et les flux sanguins. Il est totalement indolore, non invasif et dure environ trente minutes. Comme son nom l’indique, l’écho-doppler veineux regroupe en fait deux techniques : l’échographie, qui repose sur l’utilisation des ultrasons, et l’effet doppler qui mesure le débit sanguin.

Je vais mieux, pourquoi dois-je continuer mon traitement anticoagulant ?

Le traitement permet à la fois de résoudre l’épisode aigu et de limiter le risque de complications. Arrêter le traitement trop tôt expose à un risque accru de récidive de thrombose.

Anticoagulants : quelques conseils pratiques

→ Ne jamais oublier que les anticoagulants fluidifient le sang.

→ Limiter les activités à risque et/ou renforcer sa vigilance - le patient sous anticoagulant qui veut éplucher des légumes à l’aide d’un couteau bien aiguise doit faire particulièrement attention… Eviter les sports violents, ceux à risque de chute et de choc, et privilégier la marche.

→ Repérer les signes d’un surdosage : il peut s’agir dans un premier temps de saignements cutaneo-muqueux lors du brossage des dents, du rasage ou encore l’apparition d’hématomes spontanés. Une fatigue inhabituelle doit faire suspecter une hémorragie interne potentiellement plus grave, de même que des hématuries - sang dans les urines. Dans tous les cas, il est conseille de consulter un médecin.

→ Éviter l’automédication sans avis médical ou pharmaceutique : en particulier, les AINS et l’aspirine sont déconseilles car ils augmentent le risque de saignement. Attention également à certaines plantes et notamment au millepertuis, qui est un puissant inducteur enzymatique et qui risque d’inactiver l’anticoagulant.

→ Prévenir tout professionnel de santé de la prise d’anticoagulant : dentiste, infirmière, kinésithérapeute, podologue, etc., afin que chacun puisse intégrer le risque hémorragique dans son soin. En particulier, les injections intra-musculaires sont contre-indiquées.