L'infirmière Libérale Magazine n° 350 du 01/09/2018

 

Troubles de l’audition

Cahier de formation

Point sur

Marie Fuks*   Pr Michel Kossowski**  

Parce qu’ils peuvent envahir le quotidien au point de retentir sévèrement sur la qualité de vie, les acouphènes doivent être connus des Idels afin d’aider leurs patients à en comprendre les mécanismes et les rassurer quant à la possibilité de les maîtriser.

Qu’est-ce que c’est ?

Les acouphènes sont des perceptions auditives survenant en l’absence de toute source sonore extérieure. Il en existe deux types :

→ les acouphènes objectifs (moins de 5 % environ) (1) dont le bruit a une cause et peut être identifié à l’examen (acouphène pulsatile rythmé par le bruit du cœur, par exemple) ;

→ les acouphènes subjectifs (quelque 90 % des cas) : seul le patient les entend. La source de l’acouphène n’est pas déterminée et aucune cause organique n’engendre ce bruit.

Un trouble fréquent

Dans les pays industrialisés, les acouphènes toucheraient de 5 à 15 % de la population générale. On estime que plus de 80 % des patients ne s’en plaignent pas et que 10 à 15 % souffrent d’acouphènes chroniques, dont 1 à 3 % d’acouphènes “handicapants”.

Causes des acouphènes

Les causes les plus fréquentes sont d’ordre environnemental et sont généralement liées à une exposition traumato-sonore (concert, bricolage, chasse…). Les acouphènes peuvent également survenir après une chute ou un traumatisme crânien, au décours de certaines chimiothérapies toxiques pour l’oreille ou à la suite d’un événement stressant ou angoissant. Lorsque ces causes ne sont pas impliquées, l’origine de l’acouphène est souvent difficile à cerner et il n’est pas rare que les patients acouphéniques (PA) n’arrivent pas à définir pourquoi ils en ont pris conscience.

Physiopathologie

Le degré de gêne de l’acouphène est lié en partie à la manière dont le système limbique (qui régule les émotions) va gérer la perception du bruit et permettre aux personnes de le neutraliser ou au contraire de se focaliser sur le symptôme, de l’entretenir, voire de l’aggraver. Un état de stress, de dépression latente, de fatigue ou d’anxiété peut contribuer à initier le mécanisme de focalisation.

Diagnostic

L’interrogatoire médical cherche à cerner les circonstances de survenue de l’acouphène et l’examen clinique à écarter une cause évidente (bouchon dans le conduit auditif, perforation du tympan, otite…). Ils doivent être systématiquement associés à un test d’audiométrie afin de déterminer s’il existe une baisse de l’audition. Une fois les seuils auditifs évalués, une acouphénométrie permet, dans 92 % des cas, d’objectiver que l’intensité relative de l’acouphène est comprise entre 0 et 10 décibels, ce qui est très faible en comparaison de la perception beaucoup plus bruyante qu’en ont généralement les PA. Cela permet de leur expliquer que la perception qu’ils ont de leur acouphène vient de l’analyse qu’en fait leur cerveau et du rôle amplificateur joué par le système émotionnel. Dans le meilleur des cas, ces explications neurologiques permettent au PA de mieux appréhender son trouble et de parvenir à le gérer mentalement. Mais, le plus souvent, une prise en charge appropriée s’impose.

Prise en charge

Elle comporte deux volets, le traitement du symptôme “acouphène” et le traitement du patient acouphénique.

Le traitement du symptôme “acouphène”

L’habituation

Pour traiter le symptôme, il est important d’expliquer au PA que « son cerveau a, par erreur, instauré une priorité à la perception de son acouphène et que cette hypersensibilisation peut être réduite en “cassant” le cercle vicieux des pensées négatives associées à l’acouphène et en le détachant de toute réponse émotionnelle inadaptée » (1). Ce processus d’habituation à la perception de l’acouphène amène le cerveau à ne plus attacher d’importance au symptôme.

Les médicaments

Il n’existe pas de traitement médicamenteux de l’acouphène. Cependant, et sans que l’on sache si leur effet est placebo ou réel, les oxygénateurs tissulaires (vasodilatateurs) (2) peuvent améliorer des PA : associés à des compléments (magnésium, entre autres), ils participent à la microcirculation périphérique du sang et contribuent à une bonne audition. Des antidépresseurs à faible dose peuvent avoir une action, par analogie à leur prescription, dans les douleurs de membres fantômes en cas d’amputation, l’acouphène étant parfois considéré comme « l’équivalent d’une douleur par désafférentation, responsable d’une sensation fantôme conséquence d’une perte auditive ». Leur efficacité, pour un PA donné, n’est pas prédictible.

Les thérapies sonores

→ L’amplification sonore : chez le PA qui présente un déficit auditif, une amplification sonore par une prothèse auditive permet d’enrichir sa perception des sons et d’atténuer l’acouphène. C’est le premier traitement dans ce cas. Si l’appareil est porté en permanence (sauf le soir), l’acouphène ne revient pas instantanément, ni avec la même intensité, et devient beaucoup plus supportable.

→ Les systèmes de bruiteur : lorsque l’audition du PA est normale, l’amplification n’est pas utile. En revanche, un appareil générant un bruit blanc à faible intensité (il est constitué de toutes les fréquences du spectre sonore à la même intensité) permet de noyer l’acouphène et d’en atténuer la perception. Ce système aide le cerveau et le système limbique à mieux contrôler l’acouphène et à le rendre moins gênant.

À noter : le silence peut être l’ennemi du PA car en l’absence de bruit extérieur, celui-ci perçoit l’acouphène plus fortement et peut se focaliser dessus.

→ La thérapie sonore de désynchronisation : certains acouphènes résultent d’un dysfonctionnement des relais de l’appareil auditif amenant les cellules à fonctionner isolément ou ensemble de manière synchronisée, ce qui crée un sifflement. Dans ce cas, l’appareillage a pour objectif de désynchroniser le fonctionnement de ces cellules avec une stimulation sonore adaptée à la fréquence de l’acouphène.

→ La stimulation magnétique transcrânienne : utilisée pour traiter les acouphènes chroniques résistant aux traitements classiques, cette technique consiste à transmettre une impulsion magnétique indolore au niveau du cortex temporopariétal via une bobine placée sur la tête à l’aplomb de cette zone du cerveau.

À noter : aucun de ces dispositifs ne fonctionne à 100 %, surtout lorsque les troubles sont bien installés. Il est donc important de prévenir les PA qu’il n’existe pas de traitement immédiat on/off, mais qu’une prise en charge bien conduite doit, à terme, porter ses fruits.

Le traitement du patient

Il vise à agir sur le vécu et le retentissement de l’acouphène, sur l’état psychique du PA afin de l’apaiser et lui permettre d’être plus réceptif aux conseils et plus apte à s’investir. Il fait appel aux :

→ anxiolytiques et antidépresseurs : la prescription ponctuelle d’anxiolytiques permet d’atténuer les réactions émotionnelles et l’état de tension psychique, et de rétablir un sommeil efficace si celui-ci est perturbé. Des antidépresseurs à faible dose sont parfois prescrits pour la prise en charge des acouphènes et des sons fantômes, avec des résultats aléatoires ;

→ thérapies alternatives : sophrologie, thérapie cognitivo-comportementale, hypnose, auriculothérapie, acupuncture… Ces thérapies actives permettent aux PA de se détendre malgré la présence des bruits parasites, de mieux gérer l’émotionnel lié à la présence des symptômes, de parvenir à refouler les pensées négatives et ainsi de se déconditionner progressivement jusqu’à ne plus se focaliser sur les sensations désagréables.

Pluridisciplinarité

La prise en charge de l’acouphène doit être pluridisciplinaire. L’Association francophone des équipes pluridisciplinaires en acouphénologie (3) recense les équipes capables d’optimiser la prise en charge de ce symptôme complexe en proposant des stratégies diversifiées qui, à défaut d’obtenir le silence complet, confineront l’acouphène à la marginalité.

(1) Dr Martine Ohresser (coord.), Les acouphènes. Diagnostic, prise en charge et thérapeutique, collection ORL, Elsevier Masson, 2017.

(2) Produits à base de Ginkgo biloba (Audistim, Tanakan) ; dichlorhydrate de trimétazidine (Vastarel) ; naftidrofuryl oxalate (Praxilène) ; piribedil (Trivastal) ; nicergoline (Sermion).

(3) Site Internet : www.afrepa.org.

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêts.