De retour dans sa Bretagne natale, Océane Kermabon, Idel dans un cabinet infirmier de Quiberon (Morbihan), a rejoint l’équipe des sauveteurs en mer. Depuis un an, elle participe aux exercices et aux opérations de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM).
Océane Kermabon se souviendra longtemps de ce dimanche 25 juin 2017. Ce jour-là, vers 19 heures, la jeune infirmière libérale reçoit un appel : elle doit se rendre au plus vite à Port-Maria, port d’attache de la vedette SNS 142 “La Teignouse” de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM), à Quiberon (Morbihan). Elle n’a, à ce moment-là, aucune idée du motif de l’opération. Même si elle a déjà effectué quelques sorties d’entraînement, c’est officiellement sa première intervention de sauvetage. Arrivée sur place, elle est informée de la mission : un voilier de 7 mètres a été fortement endommagé dans une collision avec un bateau à moteur. En quelques minutes, l’équipage prend le large. Direction la pleine mer, au nord de l’île d’Houat. Sur les lieux de l’accident, l’équipage prend la mesure du drame. L’homme à la barre du voilier a été percuté de plein fouet par l’autre embarcation. Il est grièvement blessé au thorax. En attendant l’arrivée de l’hélicoptère de la Sécurité civile, Dragon 56, Océane prend en charge la victime. « Le bateau était en train de couler, l’homme était inconscient et il y avait du sang partout. C’était une urgence vitale », se souvient-elle. L’homme est transféré sur “La Teignouse”. Quelques minutes plus tard, Dragon 56 dépose un médecin du SMUR sur la vedette. Puis la victime est hélitreuillée et évacuée vers l’hôpital de Vannes. Elle survivra.
Le 25 juin 2017, l’importance d’avoir à bord une infirmière s’est avérée cruciale. Charles Brossard, président de la station SNSM de Quiberon, sur “La Teignouse” ce jour-là, en témoigne : « [Sans elle], nous aurions été complètement dépassés par la situation. Une infirmière embarquée, c’est un gros plus. » Océane Kermabon, 27 ans, a toujours aimé se rendre utile pour les autres. Des valeurs qu’elle a apprises à l’école et surtout dans sa famille. « Mon père est membre de la SNSM, confie-t-elle. Il est aussi pompier volontaire. J’ai moi-même passé trois ans au sein des pompiers, avant mes études à l’école d’infirmières de Niort, promotion 2012/2013. » Une fois son cursus terminé, diplôme en poche, elle part en région parisienne, faute de trouver un poste en Bretagne. Trois années au CHU de Versailles (Yvelines), services oncologie, pneumonie, médecine interne. Mais le désir de revenir en Bretagne la travaille. Pendant un séjour dans la région, elle participe à une sortie récréative de la SNSM dans le golfe du Morbihan et découvre l’univers des sauveteurs. « Cela m’a beaucoup plu. Charles Brossard était ravi de recevoir ma candidature. Auparavant, l’équipage avait déjà accueilli une infirmière, mais elle avait le mal de mer et a été obligée d’arrêter ! »
Hasard ou coïncidence, un cabinet d’Idels de Quiberon recherche alors une nouvelle associée. Océane quitte l’hôpital et la région parisienne pour le rejoindre. « Nous sommes sept infirmières, installées en plein centre dans une maison de santé, qui compte aussi un autre cabinet infirmier. Quotidiennement, trois d’entre nous travaillent. Pour essayer d’avoir des tournées équitables financièrement, nous avons divisé Quiberon en trois : Ouest, Est, et ce qu’on a appelé “le milieu” ! » Une trentaine de visites sont réalisées chaque jour - un nombre qui peut doubler pendant la saison estivale. Comme le temps passé en voiture. « On n’effectue pas plus de cinquante kilomètres, mais la circulation des vacanciers complique nos trajets et il est plus difficile de se garer. »
Océane, comme ses collègues, travaille trois à quatre jours d’affilée. Suivis de quelques jours de repos. « J’en profite pour poser mes disponibilités sur la plateforme téléphonique de la SNSM. Ainsi, en cas de besoin, on est contacté sur nos portables. » La procédure est rodée. D’abord, le Cross (Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage), basé à Étel (Morbihan), localise le bateau en difficulté à cause d’un accident, d’une panne de moteur… Puis il alerte la SNSM la plus proche, dont le responsable joint les volontaires et organise l’équipage.
À bord de la vedette, il y a obligatoirement le “patron” : c’est le commandant, celui qui pilote et qui connaît parfaitement la navigation dans les eaux régionales. Avec lui, le “radio”, pour la communication, et le mécanicien. Enfin, les canotiers, qui s’occupent de l’amarrage, des tâches inhérentes à la navigation. Certains sont aussi secouristes ou plongeurs. L’équipage compte cinq ou six personnes. Car, s’il faut mettre à l’eau un canot pneumatique motorisé, « trois paires de bras sont au moins nécessaires », note le président de la SNSM. Quand il s’agit d’intervenir pour un problème matériel (panne de moteur, filets pris dans l’hélice…) ou d’un remorquage, Océane n’est pas de la mission.
Ce matin de juin 2018, l’équipage se retrouve au port. Détendu. « C’est un simple exercice à l’occasion du congrès des sapeurs-pompiers du Morbihan », précise Océane. Après un défilé de camions anciens, le public va en effet assister à l’évacuation d’une victime en mer. Comme ses collègues volontaires, l’infirmière libérale revêt les vêtements orange des sauveteurs en mer. Collin Tugdual, le patron du jour, est un ancien officier de la Marine nationale. Jean-Florent Lenain, le mécanicien, est marin-pêcheur. C’est Charles Brossard, président de la SNSM locale et par ailleurs responsable de la criée de Quiberon, qui gère la radio. À bord, un seul canotier, Bruno Le Guellanff, gendarme à la retraite.
Océane descend dans la cale, où est entreposé le matériel de secours : des couvertures de survie, un plan dur pour le transport de patients, un matelas coquille, des atèles de tout type. « À mon arrivée à la SNSM, j’ai forcément jeté un œil sur le matériel. J’ai un peu remis les choses à jour. » Le sac de secours contient ce qui sert à prendre les paramètres (tension, saturation…), des thermomètres, de quoi faire un massage cardiaque, un défibrillateur… Mais Océane le précise : elle est d’abord un canotier comme les autres. « Je ne suis pas officiellement ici en tant qu’infirmière. Ce poste n’existe pas à la SNSM. Je ne prendrai jamais de décisions. Le SMUR, en général, intervient simultanément. Je suis là en plus et les assiste si besoin. »
Des blagues fusent entre les équipiers. En dehors du largage des amarres, Océane reste un peu à l’écart. « Chacun sa place, sa discipline. » En attendant le top départ de l’opération, “La Teignouse” fait des ronds dans l’eau, sous un ciel changeant. La radio crache des informations venant des bateaux alentour. Chacun s’équipe dans les règles, avec un gilet de sauvetage, un casque à visière, obligatoire en intervention, et une sangle pour être retenu à l’embarcation : quand un hélicoptère survole le bateau, le déplacement d’air risque de faire passer le marin par-dessus bord. Un message radio signale soudain une victime - fictive, donc. Dans le ciel, Dragon 56 est déjà en vue. Au loin, on aperçoit également un engin à moteur se déplaçant à vive allure sur la mer. Il s’agit du jet ski des sapeurs-pompiers transportant la victime. En quelques minutes, il rejoint le bateau de la SNSM. Le pseudo-blessé est hissé à bord. Dragon 56 survole le bateau à basse altitude. Un pompier, déposé sur le pont, prend l’opération en main pendant que les canotiers l’aident à sangler la “victime”. Moins de cinq minutes plus tard, les deux hommes sont hissés dans l’hélicoptère. Retour à Port-Maria. « Cela donne une idée au public. Il peut prendre conscience de la continuité des soins sur la presqu’île », se félicite la sauveteuse.
Demain, Océane Kermabon reprendra le chemin du cabinet et des tournées. « C’est tout de même cela qui compte le plus : mon métier. Être sauveteur en mer, c’est mon loisir. Pour occuper mon temps libre. J’aime la mer et l’ambiance sur le bateau. Même s’il n’y a que des hommes ! » À la rentrée, un engagement supplémentaire attend cette jeune femme très active : elle va rejoindre les pompiers volontaires. Cette fois, comme infirmière-pompier. Elle devra effectuer des gardes. Pour le moment, elle suit les formations. « C’est beaucoup plus strict comme engagement. Cela va me prendre du temps. Mais, quand on veut, on le trouve, ce temps ! » Le temps d’aider les autres, sur terre comme en mer.
La Société nationale de sauvetage en mer, fusion de deux anciennes institutions créées au XIXe siècle, a vu le jour en 1967. Elle compte aujourd’hui 218 stations de sauvetage en France et en Outre-mer. En 2016, environ 4 400 sauveteurs bénévoles ont permis de secourir 8 000 personnes. La grande partie du budget de la SNSM provient des dons de particuliers ; s’y ajoutent des subventions de quelques communes du littoral - mais aucune de l’État. Le personnel est bénévole, mais les bateaux et leur entretien coûtent cher. Chaque station doit aussi acheter les équipements et payer le carburant. La station de Quiberon a ainsi besoin de 45 000 euros par an pour fonctionner. Bien sûr, les secours à personnes sont gratuits. En revanche, le remorquage d’un bateau coûte environ 600 euros de l’heure. Plus d’informations sur le site Internet de la SNSM : www.snsm.org.