Un numéro “unique” peut en cacher un autre - L'Infirmière Libérale Magazine n° 350 du 01/09/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 350 du 01/09/2018

 

SOIGNANTS EN SOUFFRANCE

Actualité

Laure Martin  

Tout professionnel de santé en souffrance peut contacter le service de l’association Soins aux professionnels de santé ou celui des ordres. Chaque numéro se présente comme “unique”. Concurrence ?

C’est le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM), avec la Caisse autonome de retraite des médecins de France (Carmf), qui a lancé le mouvement, dans les années 2000. Il met alors en place dans les territoires, par l’intermédiaire de sept associations*, des numéros d’appel à destination des médecins. La prise en charge, qui repose sur la solidarité et la confraternité, est financée par les cotisations des médecins adhérant à l’Ordre. En janvier 2018, l’offre du CNOM évolue. À la place d’un numéro d’appel par association, donc par territoire, payant, uniquement accessible aux médecins et aux internes, l’Ordre propose désormais un numéro unique national, gratuit à partir d’avril 2018, confidentiel et accessible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, aux professionnels de santé disposant d’un ordre professionnel et aux internes. Pour étendre ce numéro unique, toujours financé par les cotisations, à l’ensemble des professionnels de santé, le CNOM s’est rapproché des autres ordres professionnels. « Nous avons des missions de service public qui nous sont déléguées, explique Patrick Chamboredon, président du Conseil national de l’Ordre des infirmiers (ONI). Nous devons mettre en place une entraide. Or, jusqu’à présent, l’ONI n’avait jamais mis en œuvre cette mission, ou alors de manière ponctuelle, sans règle réelle. Pourtant, le mal-être se traduit, dans notre profession, par des suicides ou des abandons pendant les études. » À la suite d’un comité de liaison inter-ordres, l’ONI a fait le choix de rejoindre le numéro unique du CNOM.

Une aide personnalisée

Lorsqu’il appelle, « le soignant est mis en relation avec des psychologues cliniciens de la structure PSYA, avec laquelle nous avons contractualisé », explique le Dr Jacques Morali, président de la Commission nationale d’entraide du CNOM. À l’issue de son appel, l’appelant peut être orienté vers l’association ordinale intervenant dans sa région - les associations sont aujourd’hui fédérées au sein du Programme aide solidarité soignant (PASS). Il lui est alors proposé un programme d’accompagnement et une orientation spécifique assurés par des ressources locales, suivant l’expertise nécessaire : médecin du travail ou spécialiste, juriste, établissement hospitalier spécialisé, Commission d’entraide du Conseil départemental de l’Ordre des médecins. C’est l’Association d’aide professionnelle aux médecins et soignants (AAPMS) qui gère aujourd’hui le numéro unique.

Mais certains soignants s’interrogent sur le fait d’appeler, s’ils rencontrent un problème, un numéro promu par leur Ordre, une institution également susceptible… de les sanctionner. « Le prestataire PSYA est indépendant et ne lève pas l’anonymat de l’appelant, sauf si ce dernier l’accepte, pour que l’Ordre concerné puisse lui venir en aide », précise Patrick Chamboredon. Les seules informations transmises par la plateforme concernent le nombre d’appelants. Depuis le début de l’année, les demandes de soutien psychologique adressées à l’AAPMS ont été multipliées par quatre, pour atteindre plus de 300 appels de soignants.

De nombreux appels

En parallèle, dès 2014, le Pr Pierre Carayon, l’un des fondateurs du concept ordinal, souhaite étendre l’offre à l’ensemble des professionnels de santé, afin de proposer une réponse en interprofessionnalité, qu’il n’a pas pu mettre en place avec le CNOM. De sa rencontre avec le Dr Éric Henry, alors vice-président du Centre national des professions libérales de santé et formé à la prévention du risque

suicidaire, naît l’association Soins aux professionnels en santé (SPS). « Dès le début, avec le Pr Carayon, nous nous sommes entendus sur le dispositif que nous voulions mettre en place : une plateforme qui fonctionne sur un mode professionnel et non confraternel, gratuite, interprofessionnelle, avec des psychologues libéraux rémunérés qui répondent à tous les appels », explique le Dr Henry, aujourd’hui président de SPS. Et de poursuivre : « En 2015 et 2016, nous nous sommes rapprochés du CNOM pour tenter de construire un dispositif commun, mais, à l’époque, nous nous sommes vu répondre que le CNOM ne s’occuperait que de l’entraide pour les médecins, en raison de son financement par les cotisations, ce que nous pouvions entendre. » SPS a rencontré l’ONI, qui, selon l’association, n’a pas donné suite à sa proposition pour les mêmes raisons que le CNOM.

En novembre 2016, SPS ouvre sa plateforme nationale d’appel avec la création du premier numéro unique permettant à tous les soignants de joindre l’un des soixante psychologues libéraux de la société Pros Consulte. « Très vite, nous avons reçu un nombre d’appels conséquent », souligne le Dr Henry.

De novembre 2016 à juillet 2018, la plateforme, financée par la Caisse nationale d’assurance maladie, l’Agence régionale de santé d’Île-de-France, la Fondation AXA et Ampli Mutuelle à hauteur de 160 000 euros par an, a reçu 2 500 appels de professionnels libéraux ayant ou non un ordre professionnel, de salariés, d’étudiants ou encore d’administratifs. « Les appelants sont systématiquement réorientés vers un acteur de soin librement choisi du réseau national du risque psychosocial créé par SPS et déconnecté des structures sanctionnantes », précise le Dr Henry. En décembre 2016 et mars 2017, dans le cadre de sa stratégie nationale d’amélioration de la qualité de vie au travail des professionnels de santé, « la ministre de la Santé de l’époque, Marisol Touraine, a pris pour modèle notre plateforme, se félicite le Dr Henry. Agnès Buzyn a ensuite inscrit la santé des soignants dans sa stratégie nationale de santé, déclinée dorénavant dans les projets régionaux de santé. C’est la raison pour laquelle le CNOM a dû complètement revoir son offre. »

Application sur smartphone

Peut-il, entre deux numéros nationaux “uniques”, gratuits, pouvant garantir l’anonymat des appelants, exister une forme de concurrence ? « Je n’ai rien à dire sur SPS, indique Patrick Chamboredon. Cette association propose un numéro d’appel, nous aussi. Chaque professionnel appellera le numéro qu’il souhaite. Pour moi, il n’y a pas de concurrence, et peut-être y a-t-il une complémentarité. » Le Dr Henry approuve. « Quoiqu’il arrive, l’Ordre ne pourra pas nous empêcher de faire notre plateforme, soutient-il, tout comme SPS ne pourra pas empêcher le CNOM de faire la sienne. Tout le monde a maintenant compris que nos deux plateformes et la médecine du travail sont complémentaires car la présence des deux numéros permet de couvrir l’ensemble des professionnels en santé. »

L’association SPS a récemment renforcé son offre en lançant une application mobile d’aide et d’accompagnement aux professionnels de santé en souffrance. Son téléchargement sur smartphone est gratuit. Il est possible de choisir et d’être aussitôt mis en relation avec un psychologue, que le professionnel de santé peut rappeler pour un second accompagnement personnalisé.

* AAPMS (Association d’aide professionnelle aux médecins et aux soignants), APSS (Association pour les soins aux soignants), Arene (Association régionale d’entraide du Nord Est), le réseau ASRA (Aide aux soignants de Rhône-Alpes), ASSPC (Association santé des soignants de Poitou-Charentes), ERMB (Entraide régionale des médecins de Bretagne), MOTS (Médecin, organisation, travail, santé).

INFO +

Numéros d’aide

• Numéro de l’Ordre 0 800 800 854

• Numéro de SPS 0 805 23 23 36