L'infirmière Libérale Magazine n° 351 du 01/10/2018

 

Arthropathie microcristalline

CAHIER DE FORMATION

POINT SUR

Florence Leandro*   Dr Nassim Guerroui**  


*rhumatologue à l’Hôpital Européen de
Marseille (Bouches-du-Rhône)

Longtemps surnommée la “maladie des rois” car elle touchait les hommes riches d’âge mûr, bons buveurs et bons mangeurs, la goutte est une arthropathie encore relativement fréquente, classiquement localisée au niveau du gros orteil.

Physiopathologie

→ À l’origine, il y a une hyperuricémie, c’est-à-dire un excès d’acide urique dans le sang. Cet acide urique est le produit de dégradation des purines, des molécules de base notamment présentes dans l’ADN. Au-delà de 60 mg/l, l’urate de sodium n’est plus soluble : il précipite et forme des microcristaux qui s’accumulent dans les articulations et provoquent une inflammation. La goutte est une arthropathie microcristalline inflammatoire.

→ L’hyperuricémie résulte d’un excès de production et/ou d’un défaut de l’élimination rénale d’acide urique (mécanisme majoritaire). Mais, attention, toutes les hyperuricémies ne conduisent pas à la goutte ! C’est là une condition nécessaire mais non suffisante ; environ 10 % des patients hyperuricémiques développent la maladie. Le plus souvent, l’anomalie biologique est présente depuis de nombreuses années et un facteur déclenchant est retrouvé : traumatisme, déshydratation, infection, nouveau médicament, modifications alimentaires, etc.

Signes cliniques

→ La goutte est caractérisée par des crises douloureuses au niveau d’une ou de plusieurs articulations. L’atteinte du gros orteil constitue le cas typique, mais toutes les articulations peuvent être touchées. Au plus fort de la crise, également appelée “accès goutteux”, le patient ressent une douleur très violente, pulsatile, qui apparaît brutalement et l’empêche de dormir. Un simple drap provoque un contact insupportable. L’articulation est très inflammatoire : rouge, gonflée et chaude. UAu bout de plusieurs années et en l’absence de traitement adapté, l’urate de sodium forme des dépôts spécifiques de la goutte appelés tophi (tophus au singulier). Ces dépôts sont parfois visibles sous la peau, par exemple au niveau de l’oreille ; lorsqu’ils touchent les articulations, ils sont à l’origine d’une déformation et d’une destruction articulaire progressive et, lorsqu’ils se forment dans les reins, de troubles rénaux pouvant aller jusqu’à l’insuffisance rénale et la dialyse.

→ La goutte est chronique à partir de deux crises aiguës, en présence de tophi, d’une atteinte rénale et d’arthropathie goutteuse.

Épidémiologie

→ La goutte touche près de 1 % de la population française adulte(1), essentiellement des hommes à partir de 50 ans. Le développement de la maladie chez la femme intervient le plus souvent après la ménopause car les œstrogènes se tarissent. Or ces derniers participent à une moindre réabsorption tubulaire de l’acide urique et donc à une meilleure élimination de celui-ci.

→ Plusieurs facteurs de risque viennent s’ajouter au sexe, à l’âge et au statut hormonal. Ils sont à la fois génétiques et environnementaux : diurétiques thiazidique (par exemple hydrochlorothiazide dans Esidrex) et de l’anse (furosémide dans Lasilix…), aspirine à faible dose et au long cours, alimentation riche en purines, hémopathies…

→ L’hyperuricémie et la goutte sont fréquemment associées à des co-morbidités (syndrome métabolique, maladies cardiovasculaires, diabète de type II, insuffisance rénale…) qu’il convient de dépister et de traiter en parallèle de la prise en charge rhumatologique.

Diagnostic

L’accès gouteux typique rend possible un diagnostic clinique, notamment en médecine de ville. Cependant, le diagnostic de goutte est formellement posé uniquement lors de la mise en évidence de microcristaux d’urate de sodium dans le liquide articulaire, c’est-à-dire après ponction de l’articulation douloureuse. L’échographie est parfois utilisée. Quant à la radiographie, elle n’est pas contributive pour poser le diagnostic de goutte (radios normales). En revanche, elle permet de mettre en évidence les dégâts articulaires dus à la goutte chronique.

Prise en charge

→ Le traitement de la crise de goutte repose principalement sur la colchicine, dosée à 1 mg, présente seule dans Colchicine Opocalcium et en association avec des antidiarrhéiques dans Colchimax. C’est une molécule très efficace (régression des symptômes en moins de 48 heures) mais à marge thérapeutique étroite, rapidement toxique voire mortelle en cas de surdosage, et sans antidote connu à ce jour. En 2016, dans un rappel des règles de bon usage, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)(2) a rappelé, d’une part, que la dose maximale de colchicine par prise ne doit pas dépasser 1 mg et, d’autre part, que la posologie de 3 mg par jour, à ne jamais dépasser, doit être réservée à la prise en charge tardive (au-delà de 36 heures) d’accès aigus pour le premier jour de traitement uniquement.

→ D’autres médicaments peuvent être utilisés pour soulager une crise : les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), les corticoïdes (per os ou en intra-articulaire), et même une biothérapie, le canakinumab (Ilaris).

→ À distance d’un accès aigu, le traitement de fond hypo-uricémiant est mis en place pour abaisser l’uricémie et ainsi éviter que les crises de goutte ne se répètent. En France, il repose essentiellement sur des inhibiteurs de la xanthine oxydase, donc des inhibiteurs de la synthèse d’acide urique à partir des purines : l’allopurinol (Zyloric) et le fébuxostat (Adenuric). Attention, des crises de goutte peuvent paradoxalement survenir en début de traitement, une prophylaxie à base d’AINS et/ou de colchicine est maintenue les six premiers mois. De plus, ces molécules ne sont pas exemptes d’effets indésirables (par exemple toxidermies sous allopurinol) et ne doivent pas servir à corriger une hyperuricémie asymptomatique, sauf cas particuliers.

Conseils aux patients

→ L’observance est essentielle : même si les crises ont disparu, l’hypo-uricémiant doit souvent être poursuivi à vie. En cas de nouvelle crise, redémarrer le traitement ad hoc tout en continuant à prendre l’hypo-uricémiant. Mettre l’articulation au repos et appliquer du froid.

→ Prévenir tous les professionnels de santé de la prise de colchicine. Savoir reconnaître les premiers signes de toxicité : douleurs abdominales, diarrhées profuses, nausées et vomissements.

→ Adapter le mode de vie : limiter les aliments riches en purines, surtout les protéines animales (viandes, gibiers, abats, poissons, fruits de mer). Supprimer la bière (y compris sans alcool), les alcools forts et faire la chasse au fructose, pourvoyeur d’acide urique, dans les sodas et autres boissons sucrées. Privilégier les laitages allégés, le café, les cerises et la vitamine C qui diminuent l’uricémie. Bien s’hydrater ; en particulier, une diurèse alcaline permet d’augmenter le pH urinaire et d’éviter la formation de lithiases uriques. Pratiquer une activité physique non traumatisante pour les articulations. Encourager un arrêt du tabac et une perte de poids si besoin.

(1) Étude Équipage, menée par les Prs Pascal Richette et Thomas Bardin, rhumatologues à l’hôpital Lariboisière (AP-HP), et présentée en 2014.

(2) À consulter via le lien bit.ly/2wFqBZB

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêts.