Les IPA en ville… c’est pour bientôt - L'Infirmière Libérale Magazine n° 351 du 01/10/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 351 du 01/10/2018

 

(R)ÉVOLUTION

SUR LE TERRAIN

ENQUÊTE

Malika Surbled*   tOad**  

En juin 2019, les premiers infirmiers de pratique avancée (IPA) diplômés d’État sortiront des bancs de la fac. En ville, ces professionnels suivront des files actives de patients pour des entretiens, sans pour autant prendre la place des Idels.

C’est une nouvelle profession qui vient renouveler l’offre de soins en France. Une véritable “révolution” pour ses partisans. Les IPA devraient pouvoir commencer à exercer, une fois titulaires d’un diplôme d’État d’infirmier en pratique avancée, dès l’été prochain. Il s’agit de « répondre aux enjeux d’un système de santé en pleine mutation », explique une note publiée sur le site du ministère des Solidarités et de la Santé. Objectif annoncé ? « Améliorer l’accès aux soins ainsi que la qualité des parcours des patients, en réduisant la charge de travail des médecins sur des pathologies ciblées. » D’ici 2023, le ministère a l’ambition de faire former 5 000 IPA, dont la moitié exercerait en ville.

Suivi cliniqueet prescription

En ville, quel sera le rôle de l’IPA ? Prendra-t-il la place de certains Idels, qui s’inquiètent parfois des glissements de compétences qui s’opèrent au sein du système de santé ? « En aucun cas, rassure Florence Ambrosino, co-pilote du GIC Repasi (Réseau de la pratique avancée en soins infirmiers). L’objectif de la mise en place des IPA est de libérer du temps médical et non de priver les Idels de leur activité. L’IPA spécialiste des pathologies chroniques stabilisées, par exemple, suivra des files actives de patients, confiées par un ou plusieurs médecins traitants. » Exemple simple : si une patiente diabétique se rendait chez son médecin tous les mois pour un suivi, une évaluation et un renouvellement d’ordonnance, elle pourra à présent ne consulter ce dernier que tous les six mois, voire tous les ans, en fonction d’un protocole de collaboration (appelé aussi “protocole d’organisation de la coopération”) établi entre le médecin et l’IPA. Et c’est celui-ci qui assurera les autres entretiens.

« L’IPA n’est pas là pour faire du soin infirmier ni même pour assurer des séances d’éducation thérapeutique. Si la patiente diabétique a aussi besoin d’un pansement de pied, de glycémies capillaires quotidiennes ou encore d’une injection d’insuline, elle conservera son Idel habituelle. Si elle fait partie d’un programme d’ETP avec un réseau de santé ou une infirmière Asalée, elle le conservera aussi », ajoute Florence Ambrosino.

Pendant ses entretiens, l’IPA pourra conduire une activité d’orientation, d’éducation, de prévention ou de dépistage ; effectuer des actes d’évaluation clinique ainsi que des actes de surveillance consistant à adapter le suivi du patient en fonction des résultats des examens complémentaires. Il pourra aussi renouveler certains actes techniques sans prescription médicale, prescrire lui-même des examens complémentaires (ECG de repos, examens d’imagerie…). Il pourra enfin prescrire des médicaments non soumis à prescription médicale et en renouveler d’autres, selon une liste établie par arrêté*.

Autre information de taille : l’IPA sera entièrement responsable de l’ensemble de ses actes car il ne travaillera pas sous délégation.

Conserver - ou non - une pratique d’Idel

Dans le cas où il maintiendrait de façon partielle son activité d’Idel, l’IPA pourrait néanmoins conserver des actes de soins classiques. « Dans le cas d’une double activité, il faut imaginer des jours consacrés à l’activité d’IPA et d’autres consacrés à l’activité d’Idel. Les soins relevant de l’Idel ne pourront pas être faits sur le temps IPA », explique Florence Ambrosino. En clair : l’IPA qui souhaiterait conserver une activité de soins relevant de la NGAP des Idels ne pourra effectuer ces soins que sur sa patientèle établie en qualité d’infirmier libéral. Pour l’instant, aucune projection ne semble possible. « Cela pourrait prendre des années avant que les médecins soient rodés à confier leurs patients aux IPA. Les IPA pourraient donc, au début, ne pas avoir assez de patients pour vivre de cette seule activité. À l’inverse, comme ils seront peu nombreux, on peut imaginer qu’ils aient quand même beaucoup de travail. Comment savoir ? », s’interroge-t-elle.

Exit l’exercice isolé

Maisons de santé pluridisciplinaire, centres de santé… C’est un fait établi : les IPA devront exercer au sein d’une équipe de soins primaires, coordonnée par un médecin ou auprès de spécialistes, hors soins primaires. « L’IPA qui va poser sa plaque au coin de la rue et qui travaillera de façon isolée, ce ne sera pas possible », explique le Dr Michel Varroud-Vial, conseiller médical à la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), qui a participé à l’élaboration des textes réglementaires relatifs aux conditions d’exercice et de formation des IPA. Exit l’exercice isolé donc. « Des modalités d’exercice innovantes pourront être trouvées dans le cadre des Communautés professionnelles territoriales de santé, mais toujours au sein d’une équipe. » Ainsi, l’IPA pourra travailler avec plusieurs équipes de soins primaires de façon à accroître les possibilités de se constituer une file active de patients. « Ce n’est pas un problème. Au contraire : le partage de l’activité entre plusieurs structures de soins primaires leur permettra de faire le lien entre ces structures dans une perspective de coopération territoriale entre les différents acteurs. Nous l’encourageons », ajoute le Dr Varroud-Vial.

Une rémunération au parcours ?

Si les volets “conditions d’exercice” et “formation” ont déjà été validés par décrets (lire plus loin), ce n’est pas le cas du volet “rémunération”. De ce côté-là, tout reste à faire. Des négociations conventionnelles spécifiques sont attendues, mais n’auraient pas débuté, selon la DGOS, qui défend un système de rémunération par capitation, c’est-à-dire au parcours et non à l’acte. « C’est ce que nous souhaitons. Mais la réalité, c’est que, comme toute rémunération pour les professionnels de santé en ville, il faut passer par une négociation entre l’Uncam et les représentations professionnelles, dans le cas présent les syndicats des Idels. Tout devrait se décider d’ici le deuxième trimestre 2019 », affirme le Dr Varroud-Vial.

Une formation bac +5

Avant de pouvoir pratiquer, l’IPA sera passé par une formation à l’université et sera titulaire d’un diplôme d’État d’IPA (DEIPA), conférant un grade master. Si les conditions d’accès à la formation, prévues par un arrêté du 18?juillet 2018, précisent qu’il faut trois années d’exercice professionnel en qualité d’infirmier pour exercer, l’interprétation peut être double : dans les textes, rien n’empêche un étudiant sortant du DE de poursuivre directement vers la formation. Mais il faudra, à la sortie du DEIPA, qu’il exerce d’abord trois années en qualité d’infirmier.

« En réalité, pour l’instant, ce seront plutôt des infirmiers confirmés qui font état d’un projet professionnel formalisé en ville qui suivront la formation, explique Martine Novic, co-responsable pédagogique de la formation menant au DEIPA de l’Université Paris-Diderot. Pour les hospitaliers, ce sont des professionnels qui s’inscrivent dans des projets transversaux et qui ont en majorité une certaine expérience et un cursus multiple. » Si la liste des universités accréditées pour délivrer cette formation n’est pas encore connue à l’heure où nous rédigeons cet article, on sait cependant qu’une dizaine d’entre elles ont déposé un dossier auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et qu’elles attendent, d’un jour à l’autre, une réponse (Paris-Diderot, Rennes, Nantes, Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, Marseille, Toulouse…).

Un tronc commun composera la première année d’études. Puis, en deuxième année, les participants choisiront une mention parmi trois domaines d’intervention ouverts à l’exercice en pratique avancée : oncologie et hémato-oncologie ; maladie rénale chronique, dialyse et transplantation rénale ; pathologies chroniques stabilisées et prévention et polypathologies courantes en soins primaires. Ce sont les infirmiers qui auront suivi cette dernière mention qui seront les plus sollicités en ville, bien que les autres y aient leur place aussi (auprès de médecins spécialistes).

Une autre mention relative à la psychiatrie devrait s’ouvrir en septembre 2019.

Côté financement, il existera des indemnisations. Outre le FIF-PL qui peut prendre en charge une partie de la formation pour les Idels, les Agences régionales de santé ont la possibilité de verser une indemnisation pour le temps passé à la formation, mais uniquement « si l’infirmier s’inscrit dans un projet professionnel au sein d’une équipe de soins », prévient le Dr Varroud-Vial.

Des passerelles selon le parcours

Les professionnels qui sont déjà titulaires d’un master en sciences cliniques infirmières (Aix-Marseille), d’un master en soins cliniques paramédicaux (Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines) ou encore d’un master en santé publique, parcours sciences infirmières en gériatrie (Paris-Diderot), peuvent faire valoir leur diplôme auprès des universités, sans pour autant obtenir une équivalence. « Ce sera au cas par cas, explique Martine Novic. Selon leur cursus, ils auront soit la quasi-totalité des UE à passer, soit celles de deuxième année, soit uniquement celles relatives aux actes dérogatoires et donc aux prescriptions. Pour le stage obligatoire de douze semaines, la situation est, elle aussi, étudiée au cas par cas. » L’admission directe en master 2 se fera donc après une validation des études supérieures (VES) ou une validation des acquis de l’expérience (VAE).

Des possibilités d’ouverture

Et après ? Que reste-t-il à faire ? Comment évolueront les infirmiers titulaires d’un DEIPA ? Côté université, le grade master ouvre la voie au parcours doctoral. « La science infirmière s’autonomise et devient un champ à part entière. À terme, on aura des docteurs en sciences infirmières, qui seront eux-mêmes responsables de ces masters, et non des professeurs issus de la filière médicale », remarque le Dr Somme, responsable de la formation menant au DEIPA de l’université de Rennes.

INFIRMIERS DU DISPOSITIF ASALÉE ET IPA : DES DIFFÉRENCES MAJEURES

→ Les protocoles : l’infirmier Asalée exerce dans le cadre de protocoles de coopération, en application des dispositions de l’article 51 de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST). Son activité est ainsi encadrée et il agit sous délégation médicale. L’IPA (créé par la loi de modernisation de notre système de santé de 2016) agira dans le cadre d’un protocole d’organisation. Il n’y aura pas de désignation des tâches.

→ Les compétences : alors que l’infirmier Asalée est principalement destiné à la prévention et à l’ETP, avec quelques actes dérogatoires mais délégués, l’IPA aura une multitude de compétences “avancées” cliniques et thérapeutiques (suivi de cohortes, enseignement, recherche, introduction d’innovations dans les pratiques…).

→ La formation : l’infirmier Asalée bénéficie d’une formation privée d’une dizaine de jours. L’IPA suivra quatre semestres d’études à l’université ainsi que deux stages de deux et quatre mois.