Faut-il avoir peur des implants médicaux ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 354 du 01/01/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 354 du 01/01/2019

 

SÉCURITÉ SANITAIRE

ACTUALITÉ

Héloïse Rambert  

Une enquête journalistique de très grande ampleur a mis en lumière de graves lacunes de sécurité en amont et en aval de la mise sur le marché des dispositifs médicaux implantables. Le point sur la situation, dans laquelle les infirmières libérales ont aussi un rôle à jouer.

Valves cardiaques, pacemakers, stents, prothèses mammaires, prothèses orthopédiques… Tous ces dispositifs médicaux implantables représentent indéniablement une formidable opportunité pour résoudre de nombreux problèmes de santé. Mais, depuis quelques semaines, le doute sur leur sécurité s’est installé chez les professionnels de santé et les patients. Une enquête, baptisée « Implant Files », menée par plus de 250 jour-nalistes du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), a jeté la lumière en novembre dernier sur un encadrement réglementaire de leur mise sur le marché trop laxiste et des effets secondaires sous-évalués. En effet, contrairement aux médicaments, la commercialisation des dispositifs médicaux n’est pas soumise à une autorisation de mise sur le marché (AMM). Pour accéder au marché européen, les dispositifs médicaux doivent obtenir le marquage CE. Ce marquage n’est pas spécifique aux dispositifs médicaux même si les attentes prévues par la réglementation sont certes différentes selon les domaines industriels.

« Les exigences du marquage CE fixent les objectifs à atteindre pour que le dispositif soit conçu de façon que son utilisation ne compromette ni l’état clinique ni la sécurité et la santé des patients et des utilisateurs », affirme l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Pour obtenir ce marquage, les industriels ne s’adressent pas à des autorités de santé officielles mais à des organismes notifiés qui leur facturent l’examen des dossiers. « Les organismes notifiés délivrent ou non le marquage selon des “guidelines” plus ou moins détaillées, explique le Pr Éric Vicaut, responsable du Centre d’évaluation du dispositif médical à l’AP-HP. L’évaluation technique est de bon niveau. Mais elle témoigne d’une vision d’ingénieur et non pas de médecin. »

Absence d’AMM

Alors que pour les médicaments, les laboratoires doivent présenter des études cliniques pour obtenir leur AMM, rien d’aussi contraignant du côté des implants. Les fabricants peuvent s’appuyer sur la littérature scientifique sans avoir à apporter la preuve que leur produit est sûr et efficace. Pas d’obligation non plus pour eux de le comparer à un dispositif déjà existant ou toute autre option thérapeutique disponible. Pour le Pr Éric Vicaut, c’est là le cœur du problème : « Pour les dispositifs à visée thérapeutique, les exigences contenues dans l’idée du marquage CE ne sont pas adaptées parce qu’en médecine, mesurer le risque sans estimer le bénéfice n’a aucun sens. Il y a un défaut majeur du système. » Les mé-thodes d’évaluation, déjà peu solides scientifiquement, sont aussi peu transparentes.

Organismes notifiés

« En France, il n’y a qu’un seul organisme notifié : la branche santé G-MED du Laboratoire national d’essai (LNE), un établissement public à caractère industriel et commercial. Mais il y en a des dizaines en Europe », explique Pierre Chirac, directeur de la publication de la revue Prescrire et cosignataire d’une tribune intitulée « Pour une véritable autorisation de mise sur le marché des dispositifs médicaux les plus à risques ». « Quand on demande au LNE la liste des dispositifs médicaux auxquels il a accordé ou non le marquage CE, il refuse, au motif que ces informations relèvent du secret des affaires », ajoute-t-il. En revanche, comme pour les médicaments, la Haute autorité de santé (HAS) procède à une évaluation scientifique des dispositifs médicaux des fabricants qui le demandent pour éclairer la décision des pouvoirs publics quant à leur remboursement.

Matériovigilance

Après la mise sur le marché, les éventuels effets secondaires des dispositifs médicaux doivent être rapportés aux autorités à chaque fois qu’ils surviennent : c’est ce qu’on appelle la matériovigilance. En France, un registre permet de tracer les incidents liés à ces dispositifs. Cette base de données, appelée MRVeille, est essentiellement alimentée par les signalements des médecins et des fabricants. Problème : il y a une véritable sous-déclaration. D’après le Pr Éric Vicaut, ce processus de surveillance « ne fonctionnera jamais » tant qu’il restera sur le principe de l’autodéclaration. « Chaque implant doit avoir un numéro d’identification unique. Et cette identification doit être incorporée dans les bases de données nationales pour faire remonter très rapidement des signaux d’alerte, d’une façon exhaustive et non biaisée », plaide-t-il. Le nouveau règlement européen sur les dispositifs médicaux, de mai 2017, a rendu obligatoire la mise en place d’un système d’identification unique et une base de données européenne devrait être opérationnelle en 2020.

VERS UN NOUVEAU RÈGLEMENT TOUJOURS INSUFFISANT ?

Un nouveau règlement européen sur les dispositifs médicaux devrait entrer en vigueur en 2020. Plus ambitieux, il prévoit la mise en place d’un panel d’experts européens. De plus, des « investigations cliniques » devront être menées sur les produits. Mais une évaluation de la balance « bénéfice/risque » et une véritable AMM, comme elles sont prévues pour les médicaments, ne sont pas au programme. Par ailleurs, les autorités de santé officielles ne reprendront pas la main : les évaluations resteront les prérogatives des organismes notifiés.

QUE PEUVENT FAIRE LES IDELS ?

En l’état actuel des choses, les infirmières libérales peuvent jouer un rôle dans la surveillance des dispositifs. « Le rôle des infirmières est avant tout de rassurer leurs patients porteurs d’implants, qui s’inquiètent alors qu’ils ne présentent aucun signe, rappelle Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI). Cependant, si elles constatent que des patients évoquent des problèmes avec un dispositif implantable, elles doivent les encourager à consulter. Et, au-delà, elles doivent elles aussi faire remonter les informations. La base MRVeille est réservée aux médecins. Mais les infirmières peuvent déclarer des effets indésirables graves auprès des agences régionales de santé (ARS). » S’agissant, par exemple, des implants de renfort pour le traitement du prolapsus génital et de l’incontinence urinaire féminine, l’ANSM a récemment rappelé aux patients et aux professionnels de santé qu’ils doivent déclarer les éventuels effets indésirables sur le portail : signalement-sante.gouv.fr. L’Agence va également réunir le 22 janvier les patients et les professionnels de santé (urologues, gynécologues, médecins généralistes, infirmiers, sages-femmes…) en vue d’une évaluation partagée sur l’intérêt de ces dispositifs.