L’intensification de la prise en charge des soins à domicile ainsi que la volonté des patients de terminer leur vie chez eux ont pour conséquence une augmentation de la prise en charge des soins palliatifs à domicile. Mais celle-ci ne s’improvise pas. Et malgré leur bonne volonté, les Idels se trouvent parfois confrontées à des difficultés. Des ressources existent.
Face aux inégalités d’accès aux soins palliatifs, le Plan national 2015-2018 pour le développement des soins palliatifs et l’accompagnement en fin de vie répond à deux priorités : placer le patient au cœur des décisions qui le concernent et développer la prise en charge au domicile. Celle-ci requiert une organisation entre les professionnels du domicile, au premier rang desquels les infirmières libérales (Idels), les médecins traitants et les pharmaciens, pour s’assurer de respecter au mieux la volonté des patients. Mais la réalité n’est pas toujours aussi rose. « Les Idels peuvent être confrontées à une absence du médecin, qui d’ailleurs fait de moins en moins de visites à domicile ou n’est pas forcément formé aux soins palliatifs », explique Marie-Claude Daydé, Idel près de Toulouse et membre de l’équipe d’appui du réseau Relience, dédié aux soins palliatifs ainsi qu’aux douleurs et maladies chroniques. Pour la prise en charge de la douleur, par exemple (l’une des principales préoccupations des Idels), ces dernières peuvent être confrontées à la réticence des médecins à prescrire des antalgiques. La prescription peut aussi ne pas être à la hauteur de ce que l’état de santé du patient nécessite. « Il arrive qu’ils “subissent” des pressions des familles ou des patients qui ne souhaitent pas d’antalgiques », rapporte Marie-Claude Daydé. Aux difficultés de coordination en ville s’ajoute un manque de coordination ville-hôpital. « Nous sommes la dernière roue du carrosse, fait savoir Julien Bastide, Idel installé depuis 2007 à Clermont-Ferrand. Obtenir le compte rendu de l’hôpital est souvent compliqué. » L’infirmier garde un peu d’espoir avec le dossier médical partagé (DMP), qui devrait permettre un accès aux informations de manière plus rapide. De plus, à partir du mois d’avril, le DMP donnera aussi au patient la possibilité de saisir directement ses directives anticipées, « afin que les professionnels de santé puissent tenir compte de ses dernières volontés pour sa fin de vie » explique la Cnam.
Autre point non-négligeable : la nomenclature des actes, avec une rémunération qui n’est pas adaptée à la prise en charge des soins palliatifs à domicile. Le temps n’est pas compté ni rémunéré, tout comme la coordination. Pour cette raison, certains cabinets sont obligés de refuser des prises en charge.
Pour éviter à l’Idel de se sentir seule sur le terrain, il est impératif qu’elle connaisse les différents acteurs de son territoire pouvant l’aider dans la prise en charge. La Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) répertorie dans un annuaire en ligne les ressources disponibles en France, comme les unités d’hospitalisation dédiées, les équipes de soins palliatifs ou encore les réseaux de soins. Les professionnels soignants ne doivent pas hésiter à faire appel à une aide extérieure. Pour gérer des situations ponctuelles, des hospitalisations de courte durée peuvent être organisées pour adapter le traitement antalgique. « Cela peut être une soupape pour les soignants mais aussi pour les malades », considère Sandrine Braud, administratrice de la Sfap, infirmière de formation et cadre responsable du réseau départemental de soins Palliadôm (Clermont-Ferrand).
Les réseaux de soins et les équipes mobiles de soins palliatifs ont un fonctionnement à peu près identique. C’est leur présence sur le territoire qui diffère, en fonction des départements. Certaines régions, comme le Centre, la Basse-Normandie ou encore la Franche-Comté, ont historiquement favorisé les équipes mobiles plutôt que les places d’hospitalisations. Dans les réseaux comme dans les équipes mobiles, exercent des médecins, des infirmiers mais aussi des psychologues et des assistantes sociales tous spécialisés en soins palliatifs, qui vont apporter une aide aux soignants, aux familles et aux patients, pour la mise en place des soins palliatifs et des soins de confort. Elles peuvent être sollicitées par la famille ou par les soignants. Généralement, elles se rendent au domicile du patient, en binôme médecin/infirmier, par exemple, et organisent une réunion de concertation, de coordination et d’évaluation, à laquelle elles convient l’ensemble des intervenants. « Mais il nous faut toujours l’accord du patient et du médecin traitant prescripteur, indique Tanguy Aucher, infirmier au sein de l’équipe mobile de l’Estey, réseau situé à Bordeaux. Nous sommes présents uniquement en soutien, nous n’allons pas faire de soins ni prescrire. » Ensemble, ils réfléchissent aux solutions pour une prise en charge optimale et adaptée du patient, et une ligne directrice est définie entre eux. L’organisation de cette réunion constitue généralement une première aide pour les Idels, car tous les professionnels, qui ne se connaissent pas nécessairement, se rencontrent, ce qui peut faciliter la coopération pour la suite de la prise en charge.
L’équipe extérieure rédige ensuite un compte rendu qu’elle adresse à l’ensemble des intervenants au domicile, avec des propositions sur le plan de la prise en charge médicamenteuse, de l’organisation du domicile ou encore de la mise en place d’un soutien psychologique.
« Lorsque nous recevons des appels des Idels, c’est le plus souvent pour une demande de moyens humains supplémentaires pour la prise en charge du patient, ou parce qu’elles sont en difficulté avec le médecin traitant, soutient Sandrine Braud de la Sfap. Elles peuvent aussi avoir besoin d’aide pour le suivi et le soutien psychologique à apporter au patient et à la famille. Nous pouvons alors les écouter ou proposer un accompagnement au patient. »
Les réseaux et équipes mobiles peuvent aussi dispenser des conseils dans la réalisation de soins techniques, mais en aucun cas ils ne prennent le relais sur les soins. L’aide peut également concerner les soins de confort. « Nous pouvons être aidants à l’Idel car nous la soutenons pour la prise en charge de la douleur, indique Laurence Baudery, infirmière au sein de l’équipe mobile de soins palliatifs intra et extrahospitalière rattachée à l’hôpital d’Orléans. Les médecins utilisent parfois des molécules auxquelles elles ne sont pas habituées. Nous venons alors faire de l’appui thérapeutique avec des évaluations pour être certains que le traitement est le plus adapté. »
Il arrive à l’équipe de soins palliatifs ou au réseau de proposer l’élaboration d’une fiche d’urgence palliative. Remplie par le médecin traitant, elle permet de déterminer les envies du patient face à certaines situations, par exemple s’il souhaite être réanimé. « Si jamais un médecin autre que le médecin traitant se trouve au chevet du patient, notamment un week-end, et qu’il ne le connaît pas, la fiche va lui permettre de savoir comment réagir », explique Marie-Claude Daydé, Idel, membre du réseau Relience. « Nous pouvons aussi réfléchir à l’indication d’une sédation transitoire sur des syndromes rebelles ou réfractaires afin de soulager le patient, précise Sandrine Braud. Nous étudions en équipe et avec le patient la situation aiguë qu’il pourrait être amené à vivre et décidons de la thérapeutique à mettre en place. » Trois situations sont concernées par cette prescription anticipée personnalisée afin d’éviter à l’équipe de gérer une urgence : l’hémorragie, le risque d’asphyxie et la détresse psychologique extrême. « En revanche, sur le terrain, je n’ai jamais été confrontée à une demande expresse de patients à mourir », témoigne Sandrine Braud.
Quant à la sédation profonde et continue jusqu’au décès, elle est extrêmement encadrée par la loi. Ainsi, il n’y a aucune interdiction à ce que celle-ci se fasse également au domicile. Cependant, il faut que les critères d’indication aient été validés, ce qui implique que les professionnels du domicile puissent avoir recours à une équipe spécialisée (équipe mobile ou réseau) ou, au moins, avoir échangé par téléphone avec l’Unité de soins palliatifs (USP) pour s’assurer d’être dans ces critères. Elle est aussi évidemment réfléchie entre le patient, ses proches et l’ensemble des professionnels de santé. Dans les faits, la sédation profonde et continue est encore très rare au domicile. « Les patients souhaitent en priorité être soulagés de leurs symptômes », rapporte Sandrine Braud. Les équipes sont donc attentives à traiter les douleurs, la fièvre, les infections. « Nous allons suivre le patient et l’évolution de sa maladie quotidiennement, et dès qu’il se passe quelque chose, nous mettons en place les traitements, c’est le patient qui nous guide », ajoute-t-elle.
L’équipe extérieure assure par la suite un suivi téléphonique auprès du médecin et des Idels. « S’il faut retourner au domicile du patient, on le fait », indique Tanguy Aucher. Généralement, à la fin d’une prise en charge, l’équipe réunit les soignants pour analyser son déroulement, faire le point sur ce qui s’est bien passé, les difficultés rencontrées et ce qui aurait pu être amélioré.
« L’une des missions des équipes mobiles est aussi de former et de sensibiliser pour approfondir les connaissances en soins palliatifs, souligne Laurence Baudery. Les Idels peuvent faire appel à nous pour être formées. » La formation aux soins palliatifs (diplôme universitaire ou développement professionnel continu) permet de faire le point sur la loi Claeys-Leonetti, les prescriptions anticipées, la prise en charge de la douleur, les traitements médicamenteux et non-médicamenteux. Elle peut apporter une distance à l’Idel sur ce qu’elle a vécu. Certaines infirmières libérales suivent d’ailleurs le DU pour acquérir des connaissances complémentaires, notamment sur le versant pluridisciplinaire. « C’est important car les Idels ne savent pas toujours s’appuyer sur les professionnels qui les entourent, rapporte Sandrine Braud de la Sfap. Elles pourraient solliciter davantage les réseaux, les médecins traitants, les auxiliaires de vie. Elles doivent s’ouvrir aux autres, ce qui permettrait d’ailleurs plus de cohérence dans la prise en charge. »
Apport théorique
« Lorsque nous avons monté notre cabinet, mon collègue, qui est très intéressé par les soins palliatifs, m’a dit qu’il fallait que je me forme, indique l’Idel Julien Bastide. J’ai fait un DU en soins palliatifs en 2010 et j’ai enchaîné avec un diplôme interuniversitaire (DIU) de prise en charge de la douleur en 2016, qui est complémentaire. » Il ajoute : « Nous n’avons pas forcément besoin d’être formés au palliatif car nous y sommes confrontés dans la pratique libérale. Mais la formation offre des apports théoriques importants dans la réflexion, notamment sur les symptômes d’inconfort, et elle permet le partage de pratiques entre les différents acteurs du soin palliatif. » L’infirmier a été particulièrement intéressé par l’approche philosophique : « Je pense qu’il est nécessaire de savoir quels sont les rapports des gens à la mort en fonction de leur origine, leur culture, leur religion. Car en soins palliatifs, il faut aussi prendre en charge l’entourage. Plus on est formé, mieux on est armé. » Mais tout est question de temps et de financements.
« Les patients en soins palliatifs font partie de notre prise en charge habituelle. La première des difficultés à laquelle nous pouvons être confrontées porte sur la connaissance qu’ont les patients de leur maladie et leur avenir. Car les équipes hospitalières ne leur disent pas toujours tout et nous avons très peu de liens avec elles. Nous n’avons jamais de compte rendu en dehors de ceux qui nous sont envoyés par les équipes de soins palliatifs. Si je le pouvais, dans 100 % des cas, je ferais intervenir ces équipes pour faire un point sur les spécificités de la prise en charge au regard de la pathologie du patient, les aides à déclencher pour organiser les soins à domicile, soulager le conjoint ou encore programmer la vie à la maison, le matériel. C’est confortable pour nous et pour la famille. Au sein de notre cabinet, en fonction de nos vécus, il peut nous arriver de nous passer le relais. Nous sommes vigilantes afin d’éviter d’être en difficulté. »
« En Poitou-Charentes, nous n’avons ni réseau ni équipe mobile extra-hospitalière. On se retrouve seule avec le médecin traitant, qui n’est pas forcément toujours joignable. Les prescriptions anticipées personnalisées élaborées avec le médecin afin de disposer des molécules au domicile pourraient être la solution. Mais je constate auprès des Idels, que je forme dans toute la France, que très peu de praticiens le font, sauf lorsqu’un réseau et/ou une équipe mobile interviennent. Or, les patients sont quand même en soins palliatifs. On se doit de prendre en charge leurs symptômes et de les anticiper. Il n’y a rien de pire que d’hospitaliser un patient en bout de course parce qu’on ne dispose pas de thérapeutique à domicile, alors que son souhait était de rester chez lui. »
« Dans la majorité des cas, nous ne savons pas lorsque nos patients sont considérés comme étant en soins palliatifs.Car il n’y a pas de communication entre l’hôpital et les soins de ville, et difficilement avec le médecin traitant. Nous devons adapter notre comportement au patient et/ou à sa famille, qui ne savent pas forcément qu’il s’agit de soins palliatifs, qui ne l’ont pas compris ou qui sont dans le déni. Notre positionnement est difficile à trouver. L’équipe mobile de soins palliatifs est très présente. En Sologne, les médecins traitants sont vraiment réceptifs et acceptent l’intervention d’un tiers, la mise en place de prescriptions anticipées lorsque nous percevons la douleur, l’angoisse. Malheureusement, l’équipe mobile ne peut pas intervenir à chaque fois. La famille redoute parfois ces moments, d’autant plus que cela la confronte à l’approche de l’échéance finale. Nous voyons des patients qui partent rapidement et les familles n’ont pas le temps de se préparer. »
L’Association des réseaux de santé d’Île-de-France (RéSIF) a lancé début 2018 une application, Appl’Idel, à destination des infirmières libérales pour les aider à prendre en charge les patients en soins palliatifs. L’application embarquée, didactique et intuitive, est une aide à la démarche clinique infirmière. Elle « offre aux Idels un soutien au diagnostic avec des fiches et des outils pratiques sur les principaux symptômes rencontrés en soins palliatifs », indique Mathilde Pousséo, directrice de RéSIF. Elle ajoute : « L’application peut aussi aider l’Idel, lorsqu’elle arrive au domicile du patient, à évaluer ou réévaluer la situation, les symptômes d’inconfort, car souvent les patients ne parviennent plus à exprimer une douleur. » Ces symptômes sont présentés par ordre alphabétique, avec pour chacun une sous-catégorie sur ce que l’Idel doit observer, évaluer, les actions à mener, les supports et les transmissions, la réévaluation. L’infirmière a accès à un arbre décisionnel avec des outils d’aide à la décision et des check-lists. L’application référence aussi les ressources auxquelles les Idels peuvent s’adresser en cas de besoin. Appl’Idel, qui vise à éviter les hospitalisations ou les passages aux urgences inutiles, a reçu le soutien logistique et financier de l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France ainsi que celui de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) infirmiers d’Île-de-France.
→ Société française d’accompagnement et de soins palliatifs
Annuaire : http://www.sfap.org/annuaire
Orientations sur la sédation : http://www.sfap.org/rubrique/les-recommandations-sur-la-sedation
→ Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie
https://www.parlons-fin-de-vie.fr/
→ Capalliatif
Cellule d’animation régionale pour les soins palliatifs qui a publié un guide régional en Aquitaine : http://www.capalliatif.org/
→ RéSIF
Association des réseaux de santé d’Île-de-France, qui a créé une application pour les Idels de toute la France : http://asso-resif.fr/
→ Le plan national soins palliatifs
1 Quels outils le CNSPFV met-il à disposition des soignants ? Notre site Internet regroupe des fiches avec les principales informations sur les grands thèmes de la loi, comme la personne de confiance ou les directives anticipées. Il existe également un livret papier qui rassemble des fiches thématiques sur la fin de vie que les soignants peuvent se procurer en contactant le CNSPFV. Nous sommes aussi en train de concevoir un kit d’information interactif en ligne (un Mooc de six à huit séances de deux heures environ) à destination de tous les professionnels concernés par la prise en charge de la fin de vie, de façon transversale, avec l’idée que cela peut créer un réseau et qu’ils pourront discuter ensemble de cette prise en charge. Il devrait être prêt en septembre 2019.
2 Comment ces outils peuvent-ils aider les Idels ? Les libérales sont face à un paradoxe : avoir choisi de travailler seules et la difficulté que cela représente. Beaucoup manifestent aujourd’hui l’envie de travailler en équipe, notamment pour la prise en charge de la fin de vie. Il est important pour certains patients de pouvoir terminer leur vie à domicile. Les Idels doivent savoir assurer cette prise en charge. Même en exerçant en maison de santé pluriprofessionnelle (MSP), elles devront toujours se rendre au domicile. Nos outils peuvent les aider tout comme la ligne téléphonique de support.
3 Une formation dédiée en soins palliatifs est-elle indispensable ? Je plaide pour que cela ne soit pas le cas car, selon moi, cela fait partie des bases du métier d’Idel d’accompagner la fin de vie. Si certaines infirmières sont plus intéressées ou motivées, elles peuvent effectivement faire un DU. Mais il leur faut surtout un minimum d’informations, voire une possibilité de coaching au moment où elles sont confrontées en direct à un patient en fin de vie. Il me semble qu’un DU n’est pas forcément nécessaire quand on n’a que deux ou trois patients par an à accompagner. C’est lourd professionnellement et de toute façon, la médecine évoluant, les connaissances acquises devront être remises à niveau régulièrement. C’est pourquoi nous avons eu l’idée de ce Mooc, plus léger et plus informatif que réel outil de formation.
Ligne téléphonique de support : 01 53 72 33 00.