L'infirmière Libérale Magazine n° 355 du 01/02/2019

 

CAHIER DE FORMATION

SAVOIR FAIRE

L’hypersensibilité aux médicaments est fréquente. Mais dans 95 % des cas, il s’agit d’une hypersensibilité non-allergique, qui est bénigne. Distinguer les cas menaçants pour la santé des patients des situations sans caractère de gravité, et réagir de manière adaptée nécessite de savoir interpréter les signes cliniques et leurs circonstances d’apparition.

« VRAIE » OU « FAUSSE » ALLERGIE ?

« L’hypersensibilité aux médicaments est fréquente mais exceptionnellement sévère et elle n’est allergique que dans 5 % des cas », rappelle le Pr Jean-François Nicolas, dermatologue, spécialisé en immunologie clinique et allergologie, praticien hospitalier co-responsable du service d’allergologie et immunologie clinique au Centre hospitalier Lyon-Sud. « Dans les 95 % cas restants, les symptômes ressemblent à des symptômes allergiques, mais il ne s’agit pas d’une allergie véritable : aucun mécanisme immunologique spécifique n’est impliqué. » Les hypersensibilités allergiques et non-allergiques impliquent toutes deux les mastocytes mais l’allergie est un mécanisme immunologique, avec des anticorps (ou des lymphocytes) spécifiques au médicament qui sont responsables de l’accident. L’hypersensibilité non-allergique, elle, implique d’autres mécanismes : les patients ne sont pas immunisés, ils sont simplement sensibles, dans la plupart des cas, à l’effet toxique d’un médicament. « Il ne faut pas perdre de vue que, même s’ils rendent de fantastiques services, les médicaments restent des produits toxiques, poursuit le spécialiste. Et plus les patients prennent de médicaments, plus ils ont de risques de s’y sensibiliser. Leur toxicité est additive. L’hypersensibilité non-allergique est en fait un signal d’alerte que le corps envoie. » L’allergie nécessite une phase de sensibilisation, et de réexposition. Alors que la réponse d’hypersensibilité non-allergique peut survenir n’importe quand. Devant un tableau clinique évocateur d’une allergie, il est préférable d’utiliser le terme d’hypersensibilité plutôt que celui d’allergie, qui fait peur au médecin et au patient et entraîne des complications pour la prise en charge médicamenteuse ultérieure du patient.

LES MÉDICAMENTS INCRIMINÉS

Tous les médicaments peuvent en théorie, comme c’est le cas avec les aliments, donner des réactions allergiques. « Les réactions d’hypersensibilité, qu’elles soient allergiques ou non, concernent les médicaments que l’on utilise le plus souvent, rappelle le Pr Jean-François Nicolas. Les antibiotiques, et en particulier les bêta-lactamines, sont les principales substances à l’origine de l’hypersensibilité. Viennent ensuite les anti-inflammatoires non-stéroïdiens et l’aspirine et les myorelaxants utilisés en anesthésie générale. À noter que le diagnostic des allergies aux antibiotiques, chez les enfants et les adultes, est souvent abusif et que nombre de patients se voient contre-indiquer ces médicaments à tort. »

LES SYMPTÔMES DE L’HYPERSENSIBILITÉ

Les réactions anaphylactiques sont classées en quatre grades de sévérité. La sévérité de l’accident et sa nature allergique sont corrélées.

Réactions de grade I

→ Elles sont bénignes et correspondent à des signes cutanéo-muqueux isolés : prurit généralisé, urticaire superficielle du corps ou urticaire profonde du visage se présentant comme un angio-œdème sans signe d’atteinte laryngé. Il s’agit des réactions d’hypersensibilité les plus fréquentes. « En général, les réactions d’hypersensibilité ne sont pas sévères, explique le Pr Jean-François Nicolas. La grande majorité d’entre elles sont des urticaires aux médicaments, dont l’apparition ne se reproduira pas forcément. Seuls 5 % des urticaires aux médicaments sont allergiques. » La fréquence de l’urticaire médicamenteuse s’explique par la fréquence de l’urticaire en tant que telle dans la population. « Les patients qui déclarent une urticaire médicamenteuse font en fait une poussée de leur maladie à eux qui est induite par le médicament, sans aucun caractère de gravité », précise le médecin.

À noter : dans le cas de Mme R., son angio-œdème du visage ne présente pas de signe de gravité car il est isolé. Il ne s’accompagne ni de dysphagie ni de dysphonie, ou de dyspnée qui témoigneraient d’un œdème laryngé et d’un risque potentiel d’asphyxie.

Réactions de grade II à III

→ Elles se manifestent par des signes d’atteinte multiviscérale et peuvent s’accompagner ou non de signes cutanéo-muqueux. Les réactions de grade II sont modérées : tachycardie, hypotension légère, hyperréactivité bronchique, toux, dyspnée, nausées. L’évolution est généralement favorable si le traitement est instauré rapidement. En cas de retard à la prise en charge, une aggravation secondaire vers un grade III est possible. Les réactions de grade III sont plus sévères : état de choc, tachycardie ou bradycardie, troubles du rythme cardiaque, bronchospasme, trouble de conscience, vomissements et diarrhées, œdème de Quincke. Le pronostic vital du patient est fortement engagé.

Réactions de grade IV

→ Elles sont mortelles et correspondent à un arrêt cardiocirculatoire et/ou ventilatoire. La mort peut survenir par arrêt circulatoire, par bronchospasme majeur, ou par œdème pulmonaire.

QUE FAIRE EN CAS DE SUSPICION ?

L’Idel Nicolas Schinkel, ancien infirmier urgentiste, est en charge de la formation « Prise en charge des urgences à domicile », au sein de l’Agence pour la formation continue des professionnels infirmiers libéraux (Afcopil). « Face à une réaction anaphylactique, l’infirmier doit savoir faire une évaluation de l’état du patient et alerter les secours en cas de nécessité, explique-t-il. Il s’agit de surveiller la ventilation, la circulation et les signes neurologiques. Les réactions de grade II et plus nécessitent d’appeler un médecin régulateur du Samu. Il faut aussi essayer de savoir quel médicament a été nouvellement introduit, si cela est possible. » En tout état de cause, le traitement responsable, si il a pu être identifié, doit être arrêté. Le médecin traitant doit être prévenu.

LES TRAITEMENTS POSSIBLES

Après la suspension de la prise du médicament, un traitement adapté à la situation doit être rapidement mis en place.

→ Les réactions de grade I non-allergiques les plus fréquentes sont traitées par antihistaminiques par voie orale ou injectable. La survenue de la réaction n’empêche pas, dans le futur, la reprise du médicament. « La très grande majorité des signes cutanés peuvent être prévenus grâce à la prise d’antihistaminiques », assure le Pr Jean-François Nicolas. Le médecin traitant pourra orienter le patient vers un allergologue, qui fera un bilan allergologique complet s’il le juge nécessaire.

→ Les réactions de grade II et plus, avec des signes muqueux et généraux, sont des urgences traitées par l’adrénaline, antidote de l’histamine. Une surveillance clinique aux urgences est ensuite indispensable (de 6 à 12 heures pour les grades II, et 24 heures pour les grades III) pour prévenir la phase secondaire du choc, observée dans 10 à 20 % des chocs anaphylactiques. Évidemmentes, les médicaments concernés seront désormais contre-indiqués. L’infirmier libéral Nicolas Schinkel rappelle aux Idels qu’elles ont le droit d’être en possession d’adrénaline à injecter depuis un arrêté du 23 décembre 2013. « Détenir ne veut pas dire injecter, souligne-t-il. Mais il peut être utile de signaler que nous en avons sur nous au médecin régulateur du Samu. »

Cas pratique

Madame R., 62 ans, prend depuis plusieurs années des traitements chroniques contre son hypertension et son hypercholestérolémie. Depuis deux jours, elle prend 1 gramme d’amoxicilline matin et soir pour soigner une infection. Elle présente depuis le matin un évident œdème au visage, ce qui l’inquiète fortement, et elle vous demande ce qu’il se passe.

Vous demandez à Mme R. si elle a récemment changé quelque chose dans ses habitudes de vie ou si elle prend un nouveau médicament. Mme R. vous répond qu’elle prend un antibiotique depuis quelques jours, mais qu’elle l’a déjà pris plusieurs fois par le passé, sans rencontrer de problèmes. Vous expliquez à Mme R. qu’il faut arrêter l’amoxicilline et que vous allez prendre contact avec son médecin traitant. En l’absence d’autres signes cliniques que l’œdème du visage, vous rassurez la patiente.

20 % des réactions aux produits de contraste en radiologie sont de réelles allergies

Une équipe mixte (Pôle imagerie-explorations-recherche de l’Hôpital européen Georges-Pompidou AP-HP, université Paris-Descartes, Inserm, CHU et université de Caen-Normandie) a mené la première étude multicentrique prospective nationale sur les réactions allergiques aux produits de contraste en radiologie. Trente et un centres en France réunissant des investigateurs radiologues, allergologues, anesthésistes et biologistes ont permis d’étudier 245 cas d’hypersensibilité aux produits de contraste. Résultat : l’allergie est responsable de plus de 20 % des réactions d’hypersensibilité aux produits de contraste. Les chercheurs recommandent que les patients diagnostiqués allergiques, ayant un grand risque de récidive, fassent l’objet d’un suivi s’appuyant sur des tests cutanés réalisés chez un allergologue spécialisé en allergologie médicamenteuse.

Point technique

« Attention pendant l’injection d’antibiotiques et d’anti-inflammatoires »

Nicolas Schinkel, infirmier libéral

« Nous injectons quotidiennement des antibiotiques et des anti-inflammatoires. Si le patient y est sensible, les premiers signes peuvent apparaître en moins de 2 minutes. Il faut injecter doucement et demander au patient si il se sent bien. Si, par exemple, il ressent des bouffées de chaleur ou se plaint de douleurs à la poitrine, il faut arrêter l’administration immédiatement. »