Chirurgie
CAHIER DE FORMATION
POINT SUR
Isabel Soubelet* professeur Éric Lambaudie**
*MD, chirurgien oncologue,
Institut Paoli-Calmettes, PhD,
Laboratoire d’oncologie moléculaire,
Centre de recherche en cancérologie
de Marseille, Inserm UMR 1068,
Aix-Marseille Université
De plus en plus utilisée, la réhabilitation améliorée après chirurgie se met en place au sein d’une équipe pluridisciplinaire. Grâce à l’implication de tous, elle offre une meilleure satisfaction du patient et permet une durée moyenne de séjour (DMS) plus courte.
Mise en évidence à la fin des années 1990 par l’équipe danoise du professeur Henrik Kehlet, la réhabilitation améliorée après chirurgie (RAAC)(1) connaît depuis une évolution constante. La RAAC est une approche de prise en charge globale du patient favorisant le rétablissement précoce de ses capacités après chirurgie. Elle lui donne un rôle actif. Initialement développée pour les interventions lourdes en chirurgie colorectale, chirurgie digestive (gastrectomie) et en chirurgie bariatrique, elle s’est élargie à de nombreuses autres spécialités, en particulier la chirurgie orthopédique (prothèses totales de hanche et de genou), urologique (prostatectomie, cystectomie…), gynécologique (hystérectomie, curages ganglionnaires…) et la chirurgie cardiovasculaire et thoracique. Aujourd’hui, elle s’étend à tous les patients et toutes les spécialités.
La RAAC s’inscrit dans un projet global et se fonde sur un chemin clinique pour les trois temps qui se déroulent avant, pendant et après la chirurgie. Il s’agit donc d’un ensemble de mesures pré, per et post-opératoires tendant à réduire l’agression chirurgicale propre à chaque prise en charge. Il n’y a, a priori, pas de contre-indication à la RAAC, mais une adaptation des protocoles au contexte de la prise en charge et des patients. Les résultats de la RAAC sont dans la majorité des cas une amélioration de la convalescence, une réduction de la morbidité globale et par conséquent une réduction de la durée de séjour postopératoire. En cela, elle s’inscrit pleinement dans le développement du virage ambulatoire.
Le patient est informé de manière très précise sur le geste opératoire et le déroulé de la prise en charge lors d’une consultation dédiée. Les jours précédant l’intervention, il est important de le préparer afin de l’amener dans les meilleures conditions au bloc opératoire. On évalue les comorbidités et on optimise sa condition physique (adaptation des traitements, anémie, nutrition, sevrages, kinésithérapie ou rééducation préopératoire). On examine les conditions de sa sortie, son environnement personnel et social. Le jour de l’intervention, il ne prend pas de préparation colique et ne reçoit pas de prémédication. La veille et le matin, il prend une solution enrichie en carbohydrates par voie orale afin de lutter contre l’apparition de la résistance à l’insuline. Il ne suit pas de jeûne préopératoire prolongé mais un jeûne hydrique de deux heures. Il part au bloc opératoire en marchant et porte des bas de contention au bloc.
La phase peropératoire concerne deux types de facteurs. Premièrement, les facteurs anesthésiques. Avec notamment une prise en charge individualisée des apports hydriques, la prévention de l’hypothermie peropératoire, une analgésie multimodale qui épargne le plus possible les analgésiques morphiniques, et une prévention des nausées et des vomissements postopératoires. Deuxièmement, les facteurs chirurgicaux, qui sont à adapter en fonction de la spécialité et de la procédure. Ces derniers intègrent des techniques d’abord chirurgicales mini-invasives, la prise en compte des complications potentielles de la chirurgie, et la réduction de l’usage des drains, des sondes naso-gastriques en chirurgie abdominale.
Cette phase comprend deux temps forts : la mobilisation et le suivi. On favorise le lever et la mobilisation précoces, si possible le soir même de l’intervention. Mais aussi la réalimentation précoce, avec une alimentation solide le jour même. On propose une analgésie multimodale et non de la morphine. L’ensemble de ces facteurs participe en particulier à stimuler la reprise du transit. Dans la RAAC, la phase de suivi est très importante. Il faut l’assurer dès la sortie de l’hôpital. C’est ici que ressort tout l’intérêt du contenu de l’entretien préopératoire, qui porte sur l’environnement du patient, son degré d’isolement social et les mesures à mettre en œuvre en fonction des résultats de l’analyse. Cela permet de planifier les soins de suite avec l’entourage, la reprise des activités de la personne, et une évaluation de son retour sur l’expérience patient.
Le patient est acteur de ses soins tout au long de la période. Il est, avec son entourage, impliqué dès la phase préopératoire. Il doit bien sûr adhérer à la démarche. L’objectif principal est de faire en sorte qu’il retrouve un statut fonctionnel proche de celui antérieur à l’intervention chirurgicale et ce le plus rapidement possible. Tout est fait pour lutter contre les facteurs qui retardent la récupération, à savoir : les douleurs, nausées, vomissements, le stress (métabolique, physique, psychique), le retard de reprise du transit et l’immobilisation, l’hypoxie, l’hypothermie, la perturbation du sommeil et la fatigue, les sondes et les drains, la dénutrition et le jeûne prolongé. Toutes les données concernant le patient sont enregistrées grâce à un suivi médical quotidien. À l’Institut Paoli-Calmettes (IPC) à Marseille, le suivi de la RAAC a mené à la création d’un carnet de bord qui comporte deux volets, un pour le patient et un pour l’infirmier. Ce suivi est numérisé (application IPC Connect) pour l’essentiel des patients traités depuis 2017. Tout le parcours du patient est ainsi géré grâce à la création d’un poste d’infirmier coordonnateur, qui fait ensuite le lien avec les équipes médicales et paramédicales de ville. Le retour à domicile est sécurisé au maximum avec un système de sentinelles pendant quinze jours après l’opération.
La RAAC s’adresse à de nombreux corps de métiers impliqués dans la prise en charge d’un patient : anesthésistes, chirurgiens, gériatres, oncologues, médecins généralistes, nutritionnistes, infirmiers et infirmiers libéraux, aides-soignants, kinésithérapeutes, personnels administratifs, à la fois dans le secteur public et privé. Dans cette démarche, l’esprit d’équipe est essentiel. C’est même une des clés de réussite. Elle demande aux chirurgiens et aux médecins de se questionner sur leurs pratiques, notamment en termes de pré, per et post-opératoire. Elle apprend à travailler de manière globale et transversale et aide à mieux se structurer par spécialité et entre spécialités médicales. Il s’agit là d’une nouvelle façon d’exercer qui fait que chacun est concerné par son geste de manière transversale.
(1) Ou Fast-Track Surgery ou Enhanced Recovery after Surgery.
L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêts.
→ Cours en ligne : MOOC (http://www.mooc-raac.com). Ce cours, coordonné par le Pr Éric Lambaudie, est organisé par l’Institut Paoli-Calmettes en collaboration avec l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille et Aix-Marseille Université, avec le soutien de l’ARS PACA.
→ À consulter : « Programmes de récupération améliorée après chirurgie (RAAC) : état des lieux et perspectives », Rapport d’orientation de la HAS, juin 2016 (sur : https://bit.ly/2RerxkA).
→ Groupe francophone de réhabilitation améliorée après chirurgie (Grace) : leur 5e Symposium aura lieu à Paris, le 5 avril prochain (https://www.grace-asso.fr).