La santé, première victime des fake news - L'Infirmière Libérale Magazine n° 355 du 01/02/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 355 du 01/02/2019

 

POINT(S) DE VUE

INTERVIEW

Adrien Renaud  

Rumeurs, fausses informations, croyances erronées… La santé est un sujet propice pour ce qu’on appelle désormais les fake news. Comment se propagent-elles ? Que peuvent les soignants pour lutter contre elles ? Le point avec Caroline Faillet, qui dirige le cabinet d’études et de conseil en stratégies digitales Bolero.

Comment définiriez-vous les fake news ?

Caroline Faillet : Les fake news correspondent à de la désinformation assistée par ordinateur. La désinformation a toujours existé, mais le côté numérique constitue une nouveauté. Ces technologies ont en effet apporté aux émetteurs d’informations falsifiées des armes de propagation massive. Il peut s’agir d’armes de création, comme par exemple Photoshop, ou d’armes de diffusion, avec les réseaux sociaux.

La santé est-elle un territoire de choix pour leur propagation ?

C. F. : Oui. Il s’agit même peut-être du sujet sur lequel il existe à mon sens le plus de fake news. Pour qu’une fake news se propage, il faut qu’il y ait de l’émotion, il faut qu’elle touche les gens. C’est pour cela que celles qui touchent aux valeurs qui sont chères au public se diffusent si bien. Mais en la matière, il n’y a rien de mieux que d’agir sur la peur que nous éprouvons tous pour notre propre santé.

Quels sont les exemples les plus criants de fake news en santé ?

C. F. : On peut citer le mouvement « antivax », qui avait compris l’importance d’Internet bien avant l’émergence des réseaux sociaux, et qui propage l’idée du lien [qui a été totalement démenti par les études scientifiques, NDLR] entre vaccination et autisme. On voit par ailleurs beaucoup de fake news liées à la peur des ondes. Celles-ci sont assez intéressantes car les technologies évoluent (antennes relais, portables, et maintenant compteurs Linky), mais la peur reste la même. Il y en a aussi énormément autour de l’alimentation, cela concerne presque un article sur deux de Santé+ Magazine, le site français qui émet le plus de fake news en santé.

La plupart des articles propageant des fake news en santé citent des études publiées dans des revues dites scientifiques. Comment cela est-il possible ?

C. F. : Il y a plusieurs phénomènes. Tout d’abord, il existe de fausses revues à comité de lecture, qui ne demandent en réalité aux auteurs que de payer pour être publiés. Ceci explique en partie l’explosion du nombre d’articles scientifiques douteux à laquelle on a assisté ces dernières années. On peut également constater que les carrières des chercheurs sont liées au nombre de leurs publications : quand ils ont obtenu un peu de visibilité sur un sujet, certains sont donc tentés de chercher à confirmer leurs premiers résultats coûte que coûte, en s’éloignant parfois de la rigueur qui devrait les caractériser.

Est-ce que les médias ont également une responsabilité ?

C. F. : Oui. Ceux-ci trouvent toujours une figure de proue scientifique, une sorte de porte-drapeau qui va faire autorité. La figure la plus connue est celle du Pr Henri Joyeux, brandie par le mouvement « antivax ». On remarque également que les médias ont tendance à ne reprendre que les annonces des premières études sur un sujet donné. Or, le principe en science, c’est celui de la réplicabilité des résultats. Si jamais des résultats ultérieurs viennent contredire la première étude, l’effet d’annonce étant passé, les médias n’en parlent pas. Le temps médiatique n’est malheureusement pas le temps de la science.

Quelles sont les conséquences de ces fake news pour les patients ?

C. F. : Sur les sujets santé, qui sont à forte connotation émotionnelle, les fake news génèrent de la peur, ce qui fait entrer en jeu tous les biais cognitifs qui conduisent à prendre les mauvaises décisions. Sur la vaccination, par exemple, certains vont être amenés à surévaluer les risques des effets secondaires des vaccins par rapport aux risques de l’absence de vaccination, et ils ne vont pas se faire vacciner. Il s’agit donc d’un véritable sujet de santé publique.

Les soignants sont-ils également victimes des fake news ?

C. F. : Malheureusement, oui. Les soignants, même s’ils sont plus armés que le grand public grâce à leur formation scientifique, ne peuvent pas être experts en tout. D’autant plus que les articles scientifiques eux-mêmes sont contaminés par les fake news.

Leur conseillez-vous donc de se fermer aux réseaux sociaux ?

C. F. : Bien au contraire. Le danger pour les soignants consiste justement aujourd’hui à rejeter tout ce qui vient d’Internet d’un revers de la main. Il faut bien comprendre que la plupart des patients arrivent dans le cabinet du médecin en ayant lu quelque chose sur la Toile à propos de leur maladie. C’est donc aux soignants de se mettre à la place du patient, et de se renseigner pour savoir ce qui fait le buzz sur les maladies qu’ils traitent au quotidien. Il leur est donc nécessaire d’être présents sur les réseaux sociaux, et de suivre les bons hashtags.

La présence des soignants sur les réseaux sociaux vous semble-t-elle suffisante ?

C. F. : Concernant les infirmières, on voit surtout des pages Facebook, comme celle de la Brigade des nurses, où elles se retrouvent entre elles pour partager leurs pratiques, échanger sur les difficultés de leur métier. C’est une présence sur les réseaux sociaux qui est assez peu tournée vers les patients. Les médecins sont quant à eux peu présents, même si on commence à les voir sur Twitter. Pour la première fois l’année dernière, des hashtags autour de colloques médicaux ont été repris de manière importante. On voit par ailleurs émerger sur les réseaux sociaux une réaction des soignants contre les différentes croyances. Le hashtag #FakeMed, qui tourne depuis l’année dernière contre les médecines alternatives, en est une illustration.

Faut-il, selon vous, légiférer contre les fake news en santé ?

C. F. : Une loi est passée en France contre les fake news en novembre dernier, mais elle a deux limites. Tout d’abord, elle ne concerne que les périodes électorales. D’autre part, son objet principal est d’exiger de la part des plateformes comme Facebook la transparence sur le financement des campagnes massives de ciblage utilisées par les candidats. Il s’agit plutôt de bonnes nouvelles, bien que je sois convaincue que les enjeux se situent davantage au niveau européen. La loi prévoit également des mesures pour favoriser l’éducation à l’information, ce qui est positif car c’est une palette de réponses qui va permettre de résoudre le problème. Je déplore, en revanche, que la loi ne parle pas des fake news en santé, qui ont des conséquences très importantes sur les décisions prises par les patients.

le contexte

Les fake news sont au centre du débat politique depuis l’élection américaine de 2016 : le candidat Donald Trump avait alors été accusé de désinformer les électeurs, accusations qu’il avait retournées contre les médias.

La question s’est depuis propagée à d’autres pays, dont la France, qui a adopté en novembre dernier une loi sur le sujet.